justiceEn Turquie, des étudiants risquent la prison pour avoir célébré une marche des Fiertés

Par Nicolas Scheffer le 10/12/2020
Turquie

La justice doit rendre sa décision concernant 19 personnes poursuivies en Turquie. Elles sont accusées d'avoir organisé et participé à une Marche des Fiertés pacifique sur le campus de leur université en 2019. Les étudiants et leur professeur encourent jusqu'à trois ans de détention.

Dix-huit étudiants et un professeur de l'Université technique du Moyen-Orient sont poursuivis par la justice Turque. Ils risquent jusqu'à trois ans de prison. Leur crime ? Avoir organisé et défilé lors d'une marche des Fiertés sur le campus de l'université alors que la direction leur avait interdit. Leur jugement doit être rendu ce jeudi 10 décembre.

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"À l’été 2019, des étudiants et d’autres personnes participant à une fête de l’amour et de la solidarité pacifique ont dû faire face à des tirs de gaz poivre, de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène par la police. Dix-neuf d’entre eux sont aujourd’hui traînés devant les tribunaux pour des chefs d’accusation dénués de tout fondement et encourent des peines de prison absurdes", décrit Nils Muižnieks, directeur régional pour l’Europe d'Amnesty International.

Mise à jour le 11 décembre à 9 heures - La justice turque a repoussé le délibéré à avril 2021. "Le procureur aurait pu demander dès aujourd’hui l’acquittement de l’ensemble des étudiant·es et du professeur injustement poursuivis ! Il ne faut pas oublier que l’interdiction de la Pride en mai 2019 n’avait aucune base légale, comme l’a confirmé le tribunal administratif d’Ankara en juin.  Nous allons continuer à nous mobiliser jusqu’à leur acquittement complet et j’invite tous les lecteurs et lectrices de TETU à exprimer leur solidarité en signant la pétition d’Amnesty France", réagit auprès de TÊTU Sébastien Tüller, responsable des questions LGBTI pour l'association.

"Aucun motif juridique"

"L'interdiction de la Marche des Fiertés n'était justifiée par aucun motif juridique. Ces étudiants courageux qui l'ont bravée n'ont fait qu'exercer leur droit à la liberté d'expression et de réunion pacifique, qui a été bafoué. Ils doivent être acquittés", poursuit l'ONG. En février 2019, la cour d'appel administrative d'Ankara avait pourtant levé l'interdiction totale de tous les événements, décrétée en raison de l'état d'urgence. C'est cet état d'urgence que l'université avait invoqué pour interdire l'événement par l'université, indique Amnesty. Le recteur de l'université a qualifié les manifestants de"groupes de LGBT, de marxistes, d’extrémistes et de HDP (le parti prokurde de Turquie)".

Alors que les étudiants étaient assis pacifiquement sur l'herbe de l'université, la police a utilisé du gaz de poivre, des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène pour les disperser. Plusieurs étudiants ont été blessés et certains ont même été arrêtés. Depuis, en juin 2020, la cour administrative d'Ankara a jugé illégale l'interdiction de la part de l'université. "Dans un contexte d'homophobie croissante en Turquie, des étudiants et des membres du personnel de l'université défilent chaque année sur leur campus pour célébrer les Fiertés et exiger l'égalité et la dignité pour les personnes LGBTI+ et ils en ont tout à fait le droit", poursuit Niels Muižnieks.

Des actes LGBTphobes réguliers

L'homosexualité est vilipendée en Turquie. Selon Courrier international, le quotidien islamiste Yeni Akit a décrit l'événement de cette manière : "les pervers homosexuels ont organisé leur marche immorale dans ce nid de terroristes et ce lieu de scandales qu’est l’Odtü. (…) Ils tentent de normaliser l’immoralité en Turquie et piétinent les valeurs morales des Turcs musulmans". Rien que ça.

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Les dirigeants turcs sont, jour après jour, un peu plus homophobes. Ce 9 décembre, des membres du ministère du Commerce ont proposé que les "produits LGBT+" soient accompagnés de la mention "+18 ans". Le entreprises qui le refusent auront interdiction de faire de la publicité pour leur produits. Des sources ministérielles ont déclaré à la BBC que cette mesure était une "décision pour protéger les enfants". Cet été, c'est une série Netflix qui s'est attirée les foudres du gouvernement... parce qu'elle comportait un personnage gay. Recep Tayyip Erdogan, le président turc a défendu un religieux qui associe homosexualité et maladie. Depuis 2017, les Marches des Fiertés sont violemment réprimées. Le pays a également boycotté l'Eurovision... en raison de la participation de la drag-queen Conchita Wurst.

 

Crédit photo : Capture d'écran Facebook / Odtulgbti