Vous avez peut-être déjà aperçu quelques-unes de ses pièces sur Instagram, où il partage volontiers les photos de ses #LGNfriends en slip, débardeur ou pantalon appartenant à la ligne portant son nom. Ou encore à la Fashion Week de Paris, où il défile dans le calendrier officiel de la mode masculine. Dernièrement, ce sont Troye Sivan et Paul Forman qui s’arrachent ses vêtements, entre tailoring et détails sensuels. Rencontre avec le créateur Louis Gabriel Nouchi pour parler chiffons, littérature et inclusivité.
Tu es né à Paris et tu as grandi en banlieue. Quel a été le déclic mode pour le petit garçon ou l’adolescent que tu étais alors ?
J’ai 35 ans, et il est vrai qu'à l'époque, pour moi, c’était un peu plus compliqué qu'aujourd'hui. D'ailleurs il n’y avait pas internet ! Mes grands moments de mode, c’était à la télé quand on regardait le journal de M6 et ses reports de la Fashion Week. Et bien sûr les magazines que ma mère achetait. Mais mes premières expériences mode, c’est surtout quand on allait à Paris. Premier gros choc : les gens qui sortaient de la boutique Yohji, rue Etienne Marcel. Je ne pensais pas qu’on pouvait s’habiller comme ça. Et c’est de là qu’est venue mon obsession du Japon. On ressentait la mode dans la rue, d’une manière très différente d’aujourd’hui, très 2D, sur nos téléphones. Mais dehors tu aperçois, tu ne peux pas prendre de photo, et donc tu te sers de ta mémoire.
Et sont des références que tu utilises encore aujourd’hui ?
Je pense. Comment construire le vêtement, le côté très radical, très souple…
Et le confort aussi…
Voilà, tu te rends compte de l'importance du choix des matières, de la finition… Et comme il y a un côté "obsessionnel" sur les formes, tu retravailles encore et encore les mêmes choses… Il y a un côté uniforme.
"L’élégance et la sensualité se situent dans l’espace entre la peau et le vêtement."
Et n'est-ce pas justement ce côté uniforme qui libère, en permettant de tout faire dedans ?
C’est ça. C’est complètement la philosophie japonaise. L’élégance et la sensualité se situent dans l’espace entre la peau et le vêtement.
Je voulais justement te parler de sensualité. J’ai l’impression qu'elle est très importante pour toi, que ce n’est pas juste une posture.
Avec la sensualité, et c'est ce qui me semble important, tu n’es plus dans le genre, tu ne parles plus de sexe. C’est une notion plus difficile à travailler, car moins tangible.
Une différence entre sensuel et sexy donc ?
Une vraie différence, oui. Quand tu dis “sexy”, c’est plus frontal, donc peut-être aussi plus facile à exprimer. Parler de sensualité, et encore plus à l’homme, je trouve que ça a été beaucoup moins fait. La manière dont je l’exprime, c’est un ensemble de choses : le choix des couleurs, des matières… C’est conscientiser la souplesse, le confort. La sensualité est intéressante aussi parce qu’elle montre une fragilité.
D’ailleurs en ce moment, dans le menswear, on a l’impression d’un immense espace de liberté…
Dans le calendrier de la mode masculine, je trouve qu’il y a des points de vue intéressants, sur la place
de l’homme, l’inclusivité, le durable… Je trouve ça très intéressant, car les habitudes de consommation montrent qu’il y a peut-être plus un carcan. Mais c’est en train de s’ouvrir : par l’émancipation, par tout ce que les gens ont fait avant et qui amène une plus grande ouverture d’esprit…
La littérature est importante pour toi, chacune de tes collections est inspirée d'un livre. Tu lis quoi en ce moment ?
Je suis en train de finir L’art de la joie de Goliarda Sapienza. C’est génialissime. Sincèrement, ça faisait longtemps que je n’avais pas autant aimé un livre.
Tu as un fichier avec toutes tes lectures ?
Tu sais qu’on a déjà les trois ou quatre prochaines collections de prévues. Les choix des personas sont hyper travaillés et étudiés, aussi parce qu’on est une petite équipe et qu’on ne peut pas se permettre de développer pour rien. On réfléchit énormément à ce qu’on fait, mais on n'a pas trop envie que ça se sente.
"Très clairement, la masculinité toxique est un sujet pour nous depuis trois ou quatre saisons…"
C’est très difficile à faire, et en même temps on n'a pas envie d’une collection premier degré…
Exactement. Il faut que ce soit très clair, que tu comprennes tout de suite quand tu vois la collection. C’est pour ça qu’on choisit des livres qui parlent à un imaginaire collectif, juste à l’évocation du titre. Tu n’as pas besoin de l’avoir lu pour comprendre. Puis quand tu rentres un peu dedans, tu vois notre angle d’approche, et c'est ce qu’on trouvait intéressant de mettre en lumière. Très clairement, la masculinité toxique est un sujet pour nous depuis trois ou quatre saisons…
Et également l’anti-héros, avec les collections basées sur Les Liaisons dangereuses ou American Psycho ?
C’est plutôt la figure de l'outsider. Mais tu vois, c’est ça que j’aime avec la littérature : tu peux interpréter un livre différemment quand tu le lis à différentes étapes de ta vie, et plusieurs personnes peuvent lire le même ouvrage et ne pas avoir les mêmes interprétations… Pour moi, c’est comme un vêtement. Dix personnes qui mettent la même pièce ne vont pas du tout avoir la même attitude, le même ressenti, le même porté.
Créer une marque éponyme, c’est aussi, fatalement, devenir sa propre marque. Comment tu gères ça ?
Ça s’est fait naturellement. Au fil du temps, il y a des personnes qui arrivent, la marque grossit… Je dois beaucoup plus déléguer mais j’ai la chance d’avoir une équipe de fou, et je suis très fier de ça. Je n’ai pas basé la marque sur moi en tant que personne, d'ailleurs je me montre assez peu. On aime bien être proche des gens, surtout qu’on a une boutique. D’ailleurs, la moitié du casting pendant les shows, ce sont des clients. On pratique toujours l’open casting.
On parle beaucoup d’inclusivité en ce moment, et à raison…
Beaucoup en parlent mais peu font ce qu’il faut.
"Ouvrir une boutique, ça te sort de ta tour d’ivoire. Tu es confronté à la réalité."
J’ai l’impression que tu es l'un des seuls à embrasser ça, et surtout que tu l’as toujours fait. Tu n’as d'ailleurs pas attendu les grandes marques pour le faire. Quel rôle penses-tu que la mode a à jouer sur ces questions ?
C’est hyper important. On travaille de plus en plus sur les archétypes du vestiaire masculin, et tout a une portée sociale. Par exemple, un mec qui arrive et qui dit qu’il n’aime pas s’habiller, c’est déjà un statement. On est des vraies éponges par rapport à l’actualité. L’inclusivité fait partie de mes valeurs et c’est assez logique car nous sommes proches des gens. Ouvrir une boutique, ça te sort de ta tour d’ivoire. Tu es confronté à la réalité. On s’est
rendu compte qu’on avait une très grande variété de clients. On avait déjà une vraie demande sur les grandes tailles, donc on l’a proposé, assez naturellement. L’underwear, ça nous a aussi poussés à réfléchir à ces questions, car tu es purement dans la représentation du corps masculin.
Tu as récemment mis en scène les acteurs Lucas Bravo (vu dans Emily in Paris) et Stefano Gianino (au casting de la saison 2 de The White Lotus) dans le défilé et la campagne de ta dernière collection. Toi qui construis chaque collection comme une histoire, peux-tu nous dire quelles séries ou quels personnages de séries t’inspirent ?
C’est plutôt visuel. Par exemple, Euphoria je trouvais que c’était dingue. Ça m’a rappelé beaucoup de choses que j’aimais chez Michel Gondry. J’aime bien le côté mainstream des séries, avec plus de possibilités d’attachement émotionnel. Je suis obsédé par Succession en ce moment.
On en a déjà un peu parlé, mais si je te demande de choisir entre la littérature et la mode, tu me dirais quoi ?
Les deux sont tellement liées. J’ai toujours dessiné des fringues, des silhouettes… ça m’a amené à faire de la BD et du manga, et j’ai même voulu faire de l’animation pendant très longtemps. J’avais peur de la mode, ça me semblait très loin de moi. Et je ne voulais pas écrire. Pourtant les mots sont la base de tous nos moodboards. On crée un lexique avant chaque collection, et ensuite on ajoute les images. Mais le vêtement est mon médium principal. J’ai toujours lu et dessiné, donc j’associe les deux, mais à choisir, ce serait vraiment la mode.
J’ai une dernière question que j’aime bien poser parce qu’elle dit beaucoup des gens. Tu as carte blanche pour inviter cinq personnalités à dîner chez toi. Qui aimerais-tu voir à ta table pour des discussions enflammées ?
Virginie Despentes, direct. Marina Rollman, passion. Bon, on va rester en français pour pouvoir faire des jeux de mots et se plaindre… Blanche Gardin, pour qui j’ai beaucoup d'admiration. Qui d’autre… Mohamed Bourouissa. Et Miriam Cahn, dont j’ai vu l'expo au Palais de Tokyo.
C’est une belle table.
C’est chic non ?
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Crédit photo : Ismaël Moumin