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mariageNajat Vallaud-Belkacem : "Nous aurions dû inclure la PMA dans le texte du mariage pour tous"

Par Marie-Pierre Bourgeois le 04/05/2021
najat vallaud-belkacem

ENTRETIEN. Candidate face à Laurent Wauquiez pour prendre la tête de la région Auvergne-Rhône-Alpes aux élections de juin, Najat Vallaud-Belkacem a accepté de répondre aux questions de TÊTU. Histoire de dissiper quelques malentendus. Et d'en assumer d'autres.

Propos recueillis par Marie-Pierre Bourgeois et Romain Burrel 

Après quatre ans en retrait de la vie politique, Najat Vallaud-Belkacem fait son come-back. À 43 ans, après un pas de côté dans l'édition (elle a dirigé une collection chez Fayard), si la socialiste se lance une nouvelle fois dans une campagne électorale, c'est pour défier Laurent Wauquiez, le VRP de la Manif pour tous, sur ses terres. Cela ne manque pas de panache. Mais l’équation pour gagner la Région Auvergne-Rhône-Alpes s’annonce compliquée pour l’ancienne ministre des Droits des femmes et de l'Éducation nationale. "Si elle gagne, c'est fantastique. Elle aura déjoué l'impossible. Si elle perd, il faut que ce soit avec un score relativement élevé. Sinon ça va être difficile nationalement" commente, lucide, un socialiste.

Commencer notre série d'interviews consacrées aux élections régionales par NVB s'est imposé comme une évidence. La socialiste a longtemps été chargée des questions LGBT+ au PS. Elle fut également une avocate zélée et précoce du mariage pour tous, quand la plupart des ministres du gouvernement - jusqu'au président de la République de l'époque - préféraient raser les murs. Mais en 2021, Najat Vallaud-Belkacem assume le bilan de la présidence Hollande. Tout en esquissant aujourd'hui quelques regrets.

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Vous êtes candidate aux élections régionales pour la région Auvergne-Rhône-Alpes face à Laurent Wauquiez. Aurait-on tort de voir dans ce combat électoral un match retour entre la défenseure du mariage pour tous et l’un des principaux détracteurs de la loi Taubira ?

Laurent Wauquiez est un fervent opposant aux droites des personnes LGBTQI, qui peut en douter un seul instant ? Quand il était encore maire du Puy-en-Velay (Haute-Loire), il avait indiqué qu’il ne marierait jamais deux personnes homosexuelles. Et puis rappelons-nous qu’en 2018, il liait PMA et eugénisme devant Sens commun (l'émanation politique de la Manif pour tous au sein des Républicains, ndr). Encore aujourd’hui, il ne regrette pas et il l’assume. Ce genre de propos a forgé ma conviction que je devais m’engager pour les régionales. Ses discours forment tout un imaginaire qui n’est pas celui auquel j’aspire pour la France. Un discours homophobe entraîne des actes homophobes. Je veux tenir un langage de concorde qui n’instrumentalise pas les anxiétés ou les clivages.

"Nous avons aujourd’hui un président de Région qui a supprimé à la fois les subventions aux associations LGBT et celles aux festivals dédiés", Najat Vallaud-Belkacem à propos de Laurent Wauquiez

En quoi une présidente de région peut-elle changer concrètement la vie des personnes LGBTQ+ ?

J’ai une priorité : améliorer le bien-être des habitants de la région Auvergne-Rhône-Alpes et ce, quel que soit leur genre ou leur orientation sexuelle. Nous avons aujourd’hui un président de région qui a supprimé à la fois les subventions aux associations LGBT et celles aux festivals dédiés. Il faut renouer le dialogue avec le secteur associatif et assurer de tout notre soutien les structures qui font avancer ces sujets. Je souhaite également que nous progressions sur la question de l’éducation dans les lycées en mettant en place dans chaque établissement une personne-ressource qui permettrait de traiter toutes les discriminations. Je tiens également beaucoup à lancer un observatoire des droits LGBTQI qui vérifierait que les critères de non-discrimination sont bien respectés, notamment dans les services publics. La Région peut faire avancer ces sujets tout autant qu’un gouvernement qui a de l’ambition.

"Il s’est écoulé un an seulement entre l’élection de François Hollande et l’adoption du mariage pour tous. Cela fait quatre ans qu’Emmanuel Macron a été élu et la PMA pour toutes n’a pas été adoptée."

On a l’impression qu'en 2013, la gauche a voté le mariage pour tous à reculons… C’était pourtant une promesse de campagne partagée par tous les candidats à la primaire de la gauche en 2011. Il a fallu atteindre le printemps 2013 pour qu'elle soit votée. Beaucoup d’associations s’attendaient à ce que cette loi soit l’une des toutes premières mesures de François Hollande...

Je ne suis pas d’accord avec vous. Les grandes lois prennent du temps. Il s’est écoulé seulement un an entre l’élection de François Hollande et l’adoption du mariage pour tous. Cela fait quatre ans qu’Emmanuel Macron a été élu et la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes n’a pas été adoptée. S’agissant du mariage pour tous, il faut aussi rappeler que cette loi est l’aboutissement d’un long combat. Quand j’ai pris des responsabilités au sein du Parti socialiste en 2009 et que je suis devenue chargée des questions de société, j’ai fait partie de ceux qui, avec d’autres depuis plus longtemps encore, ont élevé au rang d’engagement présidentiel cette avancée . Cette loi vient de loin et elle est une fierté pour toute la gauche.

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Najat Vallaud-Belkacem : "Nous aurions dû inclure la PMA dans le texte du mariage pour tous"
Crédits image: L'Alternative 2021 - DR

Quand François Hollande évoque au Congrès des maires "la liberté de conscience", ouvrant ainsi la porte à la possibilité de refuser de marier des couples homosexuels, ce n’est pourtant pas le sentiment qu’il donne à son électorat... 

 Quand il annonce cela devant plusieurs milliers de maires, je suis avec lui sur l’estrade. L’expression de “liberté de conscience” n’est pas dans son discours. Quand il utilise ces mots, il est dans l’improvisation. Et j'avoue que je suis devenue livide en les entendant. Une fois sortie du Congrès des maires, je file à l’Elysée pour me renseigner auprès de son équipe. C’est “panique à bord” et personne ne comprend vraiment ce que François Hollande a voulu dire. Très vite, on cherche comment revenir sur ses propos d’autant que lui-même les regrette déjà. Je suis alors la porte-parole du gouvernement et je sais pertinemment que les journalistes vont m’interroger sur ce sujet dès le lendemain, à la sortie du Conseil des ministres. Après un temps d’échange avec le Président qui me réaffirme à nouveau son attachement au mariage pour tous, j’en tire la conclusion que “la liberté de conscience” ne sera pas dans la loi. Et c’est d’ailleurs ce que j’annonce ensuite.

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Comment expliquer que la PMA pour toutes qui était, elle aussi, une promesse de campagne présidentielle, n’a pas pu aboutir sous la gauche ?

Je le dis clairement : cela fait partie de nos ratés et c’est un regret profond pour moi. Nous aurions dû inclure la PMA dans le texte du mariage pour tous. J’avais d’ailleurs écrit une lettre au Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, pour lui signifier mon sentiment.

Plus largement, la gauche n’est pas toujours montée au créneau pour défendre les sujets que vous portiez, comme les "ABCD de l’égalité" par exemple. Ce dispositif visait à lutter contre le sexisme et les stéréotypes de genre dans les écoles maternelles et primaires. Quand vous avez quitté votre poste de ministre de l’Éducation nationale, c’est Benoît Hamon, votre successeur qui choisit d'enterrer cette expérimentation…

Nous avons pris ensemble cette décision. On a décidé de retirer ce programme le jour où une enseignante s’est vue menacée de mort, avec la publication de son adresse en ligne. Difficile de ne pas penser à la mort de Samuel Paty quelques années plus tard qui montre les foudres de la folie mensongère dans le pays. Rappelons-nous la mécanique de ce phénomène. Nous avions des anti-mariage pour tous qui lancent des “journées du retrait” pour appeler les parents à enlever leurs enfants des écoles. On entendait alors que les ABCD de l’égalité avaient pour but d’apprendre aux élèves à changer d’orientation sexuelle ou même à se masturber... Puis des irresponsables politiques à l’instar de Jean-François Copé se sont précipités sur ce sujet pour en faire un grand feu sur les plateaux télés. Dans un tel contexte, nous n’avons pas choisi de plier mais de dépassionner le débat. L’expérimentation a tout de même été pérennisée dans la formation des enseignants autour des inégalités filles-garçons. C’est évidemment un chantier qu’il faut poursuivre.

"Je me refuse à considérer la prostitution comme un métier et je reste profondément abolitionniste."

 

Crédits image: L'Alternative 2021 - DR
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Vous avez aussi porté au printemps 2016 la loi qui pénalise les clients de la prostitution. Son bilan est contrasté. Le Strass (Syndicat du travail sexuel) dénonce ainsi un texte qui “met en danger la santé des travailleurs.euses du sexe et leur intégrité physique”...

Nous avons eu raison de faire cette loi. Le problème aujourd’hui est celui du manque de pilotage politique et de moyens qui lui sont attribués. Quand nous votons ce texte en 2016, nous l’accompagnons d’un fond de 20 millions d’euros qui doit permettre d’aider à sortir de la prostitution. Depuis 2017, ce fond n’est quasiment plus abondé. Certains expliquent par ailleurs que la loi donnerait plus de pouvoir aux clients, en mettant en danger les prostitué.e.s. C’est un raisonnement étrange. En pénalisant le client, cette loi lui rappelle, au contraire, qu’il participe à un système de traite des êtres humains et donne à l’inverse plus de pouvoir et donc de protection aux personnes prostituées. Il faut rappeler la situation qui existait avant cette loi : c’était les travailleurs.ses du sexe qui étaient poursuivis. Et quand une prostituée était victime de viol, les policiers refusaient bien souvent de prendre sa plainte comme si cela faisait partie de son sort. Un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales montre qu’aujourd’hui le nombre de contraventions de clients augmente, tout comme les stages de responsabilisation. C’est l’une des grandes avancées de la pénalisation du client. Plus largement, je me refuse à considérer la prostitution comme un métier et je reste profondément abolitionniste.

Crédits image: L'Alternative 2021 - DR
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Certaines associations dénoncent le désintérêt du Parti socialiste pour les questions LGBT+. Partagez-vous ce constat ?

Il y a eu deux générations au sein du PS qui auront marqué l’histoire : celle qui a dépénalisé l’homosexualité en 1981 et celle qui a fait voter le mariage pour tous. Le prochain grand combat, à côté de  la PMA qui doit être votée et de l’inclusion des personnes trans qui doit avancer, c’est celui de la vie de tous les jours. Pouvoir se tenir la main dans la rue, s’embrasser dans le métro, ne plus avoir à faire son coming out… Quand tout cela ne sera plus un sujet, nous pourrons dire que nous avons avancé. Je n’ai d’ailleurs pas l’impression que ces thématiques soient une priorité pour la droite ou le gouvernement, ni au niveau régional ni au niveau national.

Estimez-vous que l’autorisation de la GPA (gestation pour autrui) en France pourrait former cette troisième génération de combat à gauche ?

Je suis mère de deux enfants et j’en suis très heureuse. Je sais à quel point c’est douloureux de ne pas pouvoir avoir d’enfant et je connais des familles qui ont pu bénéficier d’une GPA. Mais c’est un sujet très difficile. Il y a d’un côté une réalité inhumaine avec parfois des usines à bébés et une autre situation qui peut être celle d’une pratique encadrée par la loi. Mais disons les choses, même encadrées par la loi, les circonstances restent souvent inégalitaires. On sait bien que les mères porteuses sont rarement dans des situations financières favorisées. Il va falloir encore beaucoup d’années avant de légiférer sur le sujet. La priorité aujourd’hui est la reconnaissance à l’état civil des enfants nés de GPA à l’étranger. Je me souviens de la violence qu’a pu subir Christiane Taubira quand elle s’est battue pour que cela soit le cas, preuve que, pour les homophobes, l’intérêt de l’enfant n’est jamais prioritaire.

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