Treize prévenus âgés de 18 à 30 ans ont comparu au tribunal de Paris pour harcèlement, parfois accompagné de menaces, dans l'affaire Mila. Ils étaient cités par le parquet dans le cadre d'une enquête du nouveau pôle national de lutte contre la haine en ligne.
À la barre du tribunal de Paris ces 21 et 22 juin, c'était un défilé d'inconsciences. "J'ai pas réfléchi", "J'ai tweeté comme ça", "J'ai dit n'importe quoi", "J'aurais dû réfléchir"… En tout, treize prévenus y ont comparu durant deux jours pour le harcèlement de Mila. Cette jeune femme lesbienne est l'objet d'une déferlante de haine et de menaces de mort qui la contraignent à vivre sous protection policière depuis qu'elle a, en janvier 2020 alors qu'elle n'était encore qu'une adolescente de 16 ans, critiqué l'islam de manière virulente sur Instagram après y avoir reçu des insultes lesbophobes.
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Les prévenus sont âgés de 18 à 30 ans. Athées ou de confessions diverses, ils ont été cités par le parquet dans le cadre d'une enquête du nouveau pôle national de lutte contre la haine en ligne, les accusant d'avoir participé au harcèlement de Mila sur internet, parfois accompagné de menaces. Les peines encourues pour ces chefs d'accusation vont jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende. Au terme des deux jours de procès, l'avocat général a requis ce mardi une "peine d'avertissement" : trois mois de prison avec sursis pour trois d'entre eux et six mois avec sursis pour neuf autres. Pour le treizième prévenu, la relaxe a été demandée, au bénéfice du doute sur son intention. Le tribunal correctionnel a mis son jugement en délibéré au 7 juillet.
"J'aurais dû réfléchir"
Les internautes renvoyés devant la justice avaient réagi à une nouvelle vidéo très critique envers l'islam publiée par Mila, dix mois après le premier post qui avait lancé l'affaire éponyme et dans lequel elle qualifiait cette religion "de merde". Cette fois, le 14 novembre sur le réseau social Tik Tok, Mila avait dit : "Et dernière chose, surveillez votre pote Allah, s'il vous plaît. Parce que mes doigts dans son trou du cul, j'les ai toujours pas sortis".
En grande majorité, les prévenus ont reconnu être les auteurs des messages reprochés, mais en assurant n'avoir pas réalisé qu'ils participaient à un "raid" numérique et en contestant toute infraction pénale. Ainsi le 16 novembre dernier, Lauren G., étudiante en licence d'anglais de 21 ans, écrivait sur son compte Twitter : "Que quelqu'un lui broie le crâne par pitié", rapporte L'Obs. "Sur le moment, j'étais pas au courant que (Mila) était harcelée. C'était stupide et j'aurais dû réfléchir", explique-t-elle aujourd'hui, justifiant : "J'en avais ras-le-bol de voir son prénom tout le temps dans mon fil d'actualité alors qu'elle ne m'intéresse pas".
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"J'ai réagi à chaud, j'ai dit n'importe quoi", admet Enzo C., chrétien pratiquant de 22 ans, qui avait écrit en novembre "Tu mérites de te faire égorger salle grosse pute" avant de supprimer son message. "J'espère que tu pourras reprendre ta vie normale", a-t-il lancé lundi à Mila au tribunal, après lui avoir présenté ses excuses. Jordan L, cuisinier au chômage de 29 ans et poursuivi pour harcèlement après avoir écrit vouloir mettre "un coup de b*te" à Mila, "cette mal baisée", "regrette" pour sa part des propos "bêtes, graveleux", mais assume le fond de son message au nom de la liberté d'expression. Alyssa K., étudiante en "licence humanité" de 20 ans, en service civique dans une mairie et musulmane, affirme qu'elle n'avait pas conscience de la connotation menaçante de son message. "Donc quand vous dites 'qu'elle crève', pour vous ce n'est pas menaçant?", lui demande le président du tribunal Michaël Humbert, interloqué.
"Poser les règles de l'acceptable et de l'inacceptable"
Interloqué, le président du tribunal l'était aussi par les profils "surprenants" des accusés, la plupart sans antécédents judiciaires. Pendant près de 14 heures d'audience de neuf des 13 prévenus lundi (les autres étaient entendus le lendemain), Michaël Humbert a souvent rappelé son rôle : "comprendre" un "phénomène de société", sans "excuser" ni "légitimer", sans "faire un exemple" non plus. "Il y aura un avant et un après ce procès. Nous sommes en train de poser les règles de l'acceptable et de l'inacceptable", a estimé le magistrat, alors que l'affaire Mila a rouvert le débat sur les limites de la liberté d'expression.
"Je ne menace pas une personne de mort parce que ce qu'elle a dit ne me plaît pas", a rétorqué Mila, aujourd'hui âgée de 18 ans, quand le président lui a demandé si ses harceleurs avaient pu être "heurtés" par la virulence de ses propos contre l'islam. "Je suis certaine que si j'avais critiqué l'islam sans gros mots, ils auraient réagi de la même manière et trouvé d'autres arguments", estime la jeune femme, devenue de facto la porte-voix du droit au blasphème, et qui assure : "On veut m'interdire de parler d'islam. (...) Je ne me soumettrai pas".
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