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Marche des fiertés"Nous ne sommes pas des ennemis de la Hongrie" : à Budapest, des milliers de personnes défient Viktor Orbán

Par Nicolas Scheffer le 25/07/2021
Budapest Pride

REPORTAGE. Des milliers de personnes ont défilé samedi à la Pride de Budapest. Un défilé teinté d'inquiétude et de colère, alors que le gouvernement de Viktor Orbán se fait de plus en plus menaçant envers les droits des personnes LGBTQI+.

Samedi 24 juillet, il règne un climat étrange à Budapest. Sur le parcours de la Marche des fiertés hongroise, comme dans toute la ville, des affiches s'étalent sur les colonnes publicitaires. "Avez-vous peur que votre enfant soit victime de propagande sexuelle ? Participez au référendum", peut-on lire au dessus d'énormes emojis pas contents. Trois jours plus tôt, le premier ministre Viktor Orbán a annoncé un référendum sur sa loi de "protection de l'enfance", censée limiter la "représentation" de l'homosexualité et de la transidentité dans l'espace public.

"Nous ne sommes pas des ennemis de la Hongrie" : à Budapest, des milliers de personnes défient Viktor Orbán

Qu'à cela ne tienne, plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont défilé samedi 24 juillet pour marquer leur opposition à Viktor Orbán. Mot d'ordre : "reprenons le contrôle de notre avenir".

Sur la place Deák Ferenc, il faisait chaud lorsqu'un char a lancé la musique ouvrant la marche. Sous les applaudissements, les sifflements et les houras, la foule s'est élancée rapidement derrière de lourdes barrières métalliques pour protéger les manifestants d'autres Hongrois hostiles aux personnes LGBTQI+. Car depuis l'arrivée de Viktor Orbán au pouvoir, la rhétorique anti-LGBTQI+ ne fait que monter dans la société.

Une violence qui augmente

"Le gouvernement fait de la propagande pour dire que nous serions des ennemis de la Hongrie. Résultat, la violence envers les personnes LGBTQI+ ne fait qu'augmenter. Un de mes amis a tenté de mettre un drapeau arc-en-ciel sur son balcon. Ça n'a pas duré longtemps puisque pendant la nuit, des personnes ont arraché le drapeau et ont tenté de s'introduire chez lui. Lorsqu'il s'est réveillé, il y avait un sticker homophobe sur sa porte", regrette Rachel, une jeune lesbienne de 23 ans.

Comme pour lui donner raison, une trentaine de contre-manifestants, à une dizaine de mètres du cortège, hurlent dans leur mégaphone des "PÉDÉS ! Rentrez chez-vous !", traduit Rachel, un peu désespérée. Les slogans et les banderoles des homophobes de l'autre côté des barrières et des cordons de police - impassibles - deviennent même des points de repères pour les manifestants LGBTQI+. "Tu as passé la banderole 'Ne touchez pas à mes enfants' ?", écrit l'un des participants pour retrouver un autre.

"C'est la première fois que je viens manifester, indique Tamas, âgé de 45 ans. À Budapest, on sent un sentiment d'insécurité grandissant avec une police qui laisse faire. Pour la seconde fois, j'envisage de quitter le pays. La rhétorique homophobe, on s'y habitue. Mais là, le référendum, c'est trop", pointe ce Hongrois.

"Nous ne sommes pas des ennemis de la Hongrie" : à Budapest, des milliers de personnes défient Viktor Orbán
Crédit : TÊTU

Une loi homophobe fourre-tout

Le 15 juin, Viktor Orban a fait adopter une loi interdisant toute représentation positive de l'homosexualité auprès des mineurs. Ainsi, les livres pour enfants n'ont plus le droit de promouvoir des personnes LGBTQI+. Les publicités ne peuvent plus montrer des couples de même sexe. Les professeurs s'inquiètent même car ils pourraient ne plus avoir le droit d'enseigner des vers de Paul Verlaine. Évidemment, cette loi est contraire à de nombreux engagements du pays, notamment concernant les valeurs européennes. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a donc lancé une procédure d'infraction contre la Hongrie, pouvant aboutir à des sanctions importantes.

En réponse, Viktor Orbán a donc annoncé la tenue d'un référendum - sans préciser une quelconque date. "Les questions sont particulièrement biaisées, regrette Judith, hétéro venue avec sa fille de deux ans. Mais les Hongrois croient à ce que les médias d'État leur disent. Ils croient que les personnes LGBTQI+ en veulent vraiment à leurs enfants. Ils pensent que leur montrer des personnes LGBTQI+ vont changer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre".

Un soutien des Hongrois

"Nous appelons à ne pas voter pour ce referendum, particulièrement biaisé, indique Viktória Radványi, organisatrice de Budapest Pride. Le scrutin doit recueillir plus de la moitié des suffrages pour être valide et lors du dernier référendum, Viktor Orbán n'a pas recueilli les 50% de votants nécessaires". Les Hongrois seraient même une majorité à soutenir les personnes LGBTQI+. Selon un récent sondage d'Opinio, 60% des Hongrois considèrent la loi homophobe comme une restriction sévère des droits des personnes LGBTQI+. À peine 10% pensent que leurs enfants sont susceptibles de devenirs homosexuels s'ils sont au contact de personnes LGBTQI+ pendant leur jeunesse.

Près du village des associations, Micky porte un t-shirt avec une photo de deux enfants. Si le père de deux filles n'est pas hostile, il ne soutient pas la Marche des Fiertés. "Je pense que l'homosexualité est contre-nature. C'est écrit dans la Bible, dit-il naïvement. Je suis venu voir de mes propres yeux ce qu'il en est réellement." Alors ? "Il y a beaucoup d'étrangers à cette Pride...", assure-t-il reprenant le bréviaire de Viktor Orbán associant mouvements pour les droits des personnes LGBTQI+ à des forces venues de l'étranger. "Je suis fier d'être hétéro et j'en fais pas toute une manifestation", lâche-t-il avant que l'on s'éloigne.

Une invisibilisation forcée

Cette invisibilisation des personnes LGBTQI+ a une conséquence : le mal-être de jeunes LGTBQI+. "Je suis venue pour m'amuser, car le reste de l'année, ce n'est pas facile d'être lesbienne dans un pays comme la Hongrie. À la maison, c'est difficile, et à l'école, avec cette loi, on ne pourra pas discuter de nos doutes avec nos profs. C'est difficile n'avoir personne sur qui s'appuyer", déplore Sacik. Devant une délégation d'eurodéputés venus écouter les militants, Maya Fenyvesi, coordinatrice de projet chez Amnesty International résume : "Quand nous étions adolescents, nous nous sommes posés beaucoup de questions. Cela n'a pas toujours été facile d'accepter qui l'on est. Aujourd'hui, toute une jeunesse grandit dans un environnement hostile. Ces jeunes ne voient pas que d'autres personnes sont comme eux, et heureux".

Yazmin, une adolescente blonde de 17 ans est venue à la Marche alors que sa famille n'est pas au courant de son orientation amoureuse. Elle habite une petite ville à une centaine de kilomètres de Budapest. "Je pense que mon père me renierait s'il savait. Ma mère ferait comme si je n'avais rien dit. Ils sont homophobes depuis longtemps, mais depuis qu'Orbán s'en prend aux personnes LGBTQI+, à la maison, j'entends des discours homophobes en permanence", dit-elle les larmes aux yeux. Pour la jeunesse queer hongroise, le slogan "It Gets Better" apparaît de plus en plus comme une fausse promesse.

 

Crédit photo : TÊTU