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interviewChristiane Taubira : "L’urgent, ce n’est pas la gauche, ce sont les gens"

Par Nicolas Scheffer le 01/03/2022
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[RENCONTRE] Elle a renoncé à être candidate à l'élection présidentielle 2022, mais son regard n'en reste pas moins exigeant. Christiane Taubira ne mâche pas ses mots sur la gauche qu'elle juge "insignifiante" si elle ne parvient pas à placer "les gens" avant les ambitions personnelles.

Il est de ces campagnes électorales étranges, où les candidatures fleurissent et fanent en quelques semaines. Ainsi en est-il de l'élection présidentielle 2022 dans laquelle, après avoir longtemps assuré qu'elle n'y songeait pas, Christiane Taubira a fini par se lancer en décembre, pour être investie le 30 janvier par la Primaire populaire avant de se retirer le 2 mars, faute d'avoir pu réunir les 500 parrainages nécessaires à sa qualification. Naturellement têtu·, qui avait attentivement chroniqué l'hypothèse du retour de l'égérie du mariage pour tous, a voulu rencontrer la désormais ex-candidate, et ce fut fait dix jours après son investiture. Nous avions alors parlé de PMA, de GPA, de la gauche et ses renoncements... Depuis notre rencontre, donc, Christiane Taubira a renoncé à briguer la magistrature suprême. Mais son regard compte toujours dans cette campagne, d'autant qu'elle a annoncé lors de son retrait qu'elle ferait connaître "dans les prochaines semaines" son vote pour le premier tour. Entretien.

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Certains avancent que membre du gouvernement de François Hollande, vous avez appartenu à la gauche qui a capitulé devant le capitalisme. Qu’est-ce qui vous fait penser que cinq ans plus tard, cette gauche est encore appelée au pouvoir ?

Christiane Taubira : Par quel acte, quel propos, quel engagement aurais-je capitulé devant le capitalisme ? Je ne me réclame pas de la gauche sociale démocrate, mais de la gauche de fidélité à la lutte contre les injustices, de l’exigence des services publics pour les personnes les plus vulnérables. Je suis de la gauche d’une exigence d’éducation partout sur le territoire. Je ne suis encartée dans aucun parti. Si la gauche n’a rien d’autre à faire que de jeter des anathèmes, elle est inutile.

La gauche a dépénalisé l’homosexualité en 1982, on a obtenu le mariage en 2013, depuis l'ouverture de la PMA a été votée et les “thérapies de conversion” enfin interdites. Quels sont vos chantiers LGBTQI+ pour la suite ?

Il y a eu des progrès indiscutables, la PMA enfin inscrite dans la loi alors que le gouvernement auquel j’ai appartenu ne l’a pas mise en place malgré l’avoir promis. Il y a des progrès à faire quant à son application et notamment sur la reconnaissance de la filiation qui n’est pas la même pour les lesbiennes que pour les couples hétérosexuels. Lorsque je me suis battue pour le mariage, j’ai tenu à ce que la loi n’opère pas ce type de discrimination. La majorité actuelle aurait pu s'en inspirer.

"Nous devons livrer cette bataille et faire bouger la société pour une meilleure acceptabilité de la transidentité."

Une seconde discrimination concerne les hommes trans qui sont exclus de la loi bioéthique. Souhaitez-vous également revenir là-dessus ?

Nous devons livrer cette bataille et faire bouger la société pour une meilleure acceptabilité de la transidentité. On ne va pas bouder les progrès qui sont faits sur les droits des personnes trans. Je sais la difficulté que c’est de faire avancer ces dossiers, j’ai participé à la loi sur la justice du XXIe siècle [qui a abouti à la dépsychiatrisation du changement d’état civil, ndlr], que j’ai portée au Sénat en première lecture. Aujourd’hui, le changement d'état civil nécessite une audience devant des magistrats, ce qui demande du temps mais assure une solennité : la société ancre que l’institution judiciaire décrète ce changement. Il faut trouver un juste équilibre.

Vous avez récemment abordé la question de l'autorisation de la GPA pour aussitôt… fermer la porte à ce débat. N'est-ce pas un peu court ?

La question de la GPA m’a été posée à la toute fin d’une émission. J’ai dit que la GPA ne faisait pas partie de mon programme, mais pas que mes convictions étaient définitives. Ce n’est pas un débat simple, mais je ne trouve pas anodin de faire porter un enfant par une femme.

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Que pensez-vous du fait que la dernière loi bioéthique oblige les pères d’intention à adopter leur propre enfant s’il est né d’une GPA à l’étranger ?

Quand j’étais ministre, j’ai signé une circulaire pour que l’état civil étranger soit reconnu en France. L’état civil est le premier bien d’un enfant. On ne peut pas les en priver au prétexte qu’ils sont nés d’une GPA à l’étranger. 

"Penser à Éric Zemmour comme rempart contre l’homophobie m’est difficile."

Lorsqu’on interroge des gays qui votent Éric Zemmour, ils justifient leur suffrage par l’homophobie qu’ils imputent à l’islam. Comment leur répondre ? 

J’ai beau avoir de l’imagination, penser à Éric Zemmour comme rempart contre l’homophobie m’est difficile. Plus sérieusement, on doit lutter contre l’homophobie et contre toutes les formes de discrimination. Je n’ai cure de savoir quel dieu prie une personne homophobe. Il faut combattre l’homophobie d’où qu’elle vienne, et de grandes campagnes de sensibilisation doivent être déployées, en priorité dans les lieux où l’homophobie est prégnante. 

En Europe, des dirigeants font voter des lois ouvertement homophobes. Que doivent faire selon vous les institutions européennes ?

L’Union européenne doit prendre des sanctions et elle en a les moyens. Jusqu’à présent, elle a écrit aux dirigeants. Il faut arrêter les courbettes envers des gouvernements infréquentables. Derrière cette homophobie, il y a des personnes en danger, des crimes et des assassinats. En entrant dans l’Union européenne, ces pays se sont engagés à respecter un ensemble de valeurs. Et les gouvernements dont vous parlez ont trahi les engagements de leur pays.

Quelle diplomatie proposez-vous face à la Hongrie de Viktor Orbán ?

Il faut être ferme, sinon l'on prend le risque de donner de l’oxygène aux gouvernements populistes, avec tout ce que cela représente. Cela signifie mettre la pression en bilatéral, par exemple en conditionnant l’avancée de certains dossiers au respect de valeurs qui nous tiennent à cœur. Il ne faut également pas sous-estimer l’effet des déclarations de soutien à la société civile qui se bat là-bas.

Donnez-vous le point au secrétaire d’État à l’Europe, Clément Beaune, qui s’est rendu au côté des associations LGBTQI+ en Pologne ?

Oui, cela compte beaucoup. Lorsque j’étais parlementaire, il m’est arrivée d’aller dans des pays, notamment en Afrique, pour donner de la force à des personnes qui luttent contre les gouvernements corrompus. 

"La gauche ne peut pas s’offrir le luxe de faire durer cela cinq années supplémentaires."

Comptez-vous inscrire votre retour sur la scène politique au-delà de l’élection présidentielle ?

Il y a une urgence. L’urgence d’installer et de rétablir de la justice sociale, de veiller aux services publics. L’urgent, ce n’est pas la gauche, ce sont les gens. Je ne suis pas d’accord pour qu’un président engage, par le fait du prince, la France pour les trente prochaines années dans le nucléaire. La gauche ne peut pas s’offrir le luxe de faire durer cela cinq années supplémentaires, sauf à proclamer aux yeux du monde son insignifiance et son inutilité. Je ne cours pas derrière une ambition personnelle, mais suis préoccupée par ce qu’on doit aux personnes en difficulté.

Il y a une barrière infranchissable entre votre gauche et celle de Jean-Luc Mélenchon ? Pourquoi ne pas vous rallier à la candidature de gauche qui a la meilleure dynamique ?

Je porte un renouveau démocratique que je n’ai pas constaté dans d’autres programmes : stabilisation de conventions citoyennes, renouveau du Parlement, introduction de la parité sociale, séparation des pouvoirs… Je suis la seule dont la candidature est issue d’un mouvement populaire. Cela compte.

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