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magazineMon histoire avec têtu· : "Je le dissimulais sous mon matelas à la manière d’un ado"

Par Nicolas Scheffer le 05/01/2024
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[Article à retrouver dans le têtu· de l'hiver disponible chez votre marchand de journaux ou sur abonnement.] On a tous une histoire avec têtu·, qu'on l'ait acheté ado ou feuilleté la première fois chez un ami. Dans chaque numéro, on vous donne la parole afin de connaître votre histoire avec nous.

Récit de Philippe Puech
Propos recueilli par Nicolas Scheffer

Je m’en souviens comme si c’était hier, il pleuvait des cordes quand j’ai acheté têtu· pour la première fois. Tous les week-ends, en revenant d’Amiens, où habitent mes parents, je passais devant les kiosques à journaux de la gare du Nord, à Paris. Mais je n’osais pas m’y arrêter ; j’avais une peur bleue qu’on me reconnaisse. J’en avais repéré un autre dans le sous-sol de la station de métro Havre-Caumartin. Immédiatement après avoir attrapé têtu·, qui se trouvait dans les rayons du bas, je l’ai recouvert d’un autre magazine avant de les tendre au caissier, un étudiant aux cheveux longs qui n’en avait certainement rien à faire de ce que j’achetais. Sur le chemin du retour, j’ai mis le numéro dans mon manteau, moins pour le protéger de la pluie que pour le cacher.

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Je lisais têtu· quand mon coloc était absent, et je le dissimulais sous mon matelas à la manière d’un ado avec sa revue porno… Au-delà du cover boy, il y avait quelque chose de jouissif à laisser s’exprimer mon homosexualité. C’était en 2008 : il n’y avait pas le mariage pour tous, Grindr n’existait pas, la représentation de l’homosexualité se résumait au Sidaction et aux actions d’Act Up… Dans ma famille, qui m’a donné une éducation religieuse, il y avait peu de place pour exprimer mon intimité. À la fac, je n’osais pas aborder les mecs de l’amphi qui me faisaient pourtant tourner la tête… J'avais passé mon adolescence amiénoise à vivre mon homosexualité comme un tabou ; je n’avais jamais mis les pieds dans un bar communautaire. têtu·, dont j’ai appris l’existence grâce aux affiches, m’ouvrait à un monde qui me paraissait très sulfureux.

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têtu· de novembre 2008

Différentes manières d'être gay

J’y trouvais des témoignages de gays qui ne vivaient pas comme moi, chez qui je pouvais me projeter et me sentir moins seul. Je voyais qu’il existait différentes manières d’être gay et que je pouvais à mon tour en construire une qui me ressemble. Finalement, têtu· m’a permis de comprendre que j’étais beaucoup plus alternatif que je ne l’imaginais. C’est pour cela que j’ai toujours apprécié que le mag dise les termes sans fard, sans euphémisme, notamment en parlant de sexualité, rendant cela tout à fait légitime et respectable. 

Ce fameux jour, j’étais très fier d’avoir réussi à franchir le pas, d’avoir dépassé ma timidité pour acheter mon premier têtu· et enfin accéder à autre chose. C’est la raison pour laquelle je ne me suis jamais abonné au magazine, alors même que je collectionne chaque numéro. Je ne me sens plus gêné de l’acheter chez le buraliste, et je ne le couvre plus d’une autre revue, pas plus que je ne le retourne pour ne montrer que la publicité au dos. Aujourd’hui, au contraire, je suis fier de le tendre !

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Crédit photo : Philippe Puech, collection personelle