À l'affiche de la série La Maison, en streaming sur Apple TV+, l'acteur Antoine Reinartz incarne Robinson, un designer héritier d'une grande famille de la mode, prêt à tout pour s'imposer.
Pugnace président d'Act Up dans 120 battements par minute, avocat détestable dans Anatomie d'une chute… Entre ces deux rôles-clés, Antoine Reinartz, 39 ans, creuse son sillon dans le paysage audiovisuel français. On retrouve l'acteur lorrain dans La Maison, la première série originale française d'Apple TV+, une histoire de guerre entre des maisons de mode. En incarnant le contrarié Robinson, designer mais surtout héritier, il donne vie à un personnage gay complexe et pas toujours attachant. Le pied pour ce comédien qui aime secouer le public…
- Après les AG d'Act Up, une cour d'assises et la salle de classe (Petite nature), tu évolue cette fois dans le milieu de la mode. C'est un monde que tu connais ?
Il y a quelque chose avec l'univers de la mode que je trouvais fascinant car c'est un endroit artistique singulier. C'est un monde qui prend de plus en plus de poids avec les réseaux sociaux ; les défilés prennent une ampleur colossale aujourd'hui. Mais c'est un secteur qui interroge, par exemple sur la question du développement durable… La mode, c'est aussi les plus grosses fortunes de France. Posséder un empire comme ça ne devrait pas exister.
- Ton personnage, Robinson, est d'ailleurs l'héritier d'une énorme fortune. Mais sa vie n'est pas forcément tout en rose…
On stigmatise vachement les "nepo babies" [les enfants de parents célèbres] – je déteste cette expression d'ailleurs. On réduit ces gens à leur héritage. Or être héritier ne doit pas être si facile : tu ne sais pas ce qui est dû à ton mérite. En plus, tu as tellement de chances de réussir que tu ne peux pas te rater.
Finalement, mon personnage est très seul. Il n'a aucun souci d'argent mais sa vie est complètement destroy. La mode est son exutoire. Il est d'ailleurs hyper extraverti dans ses fringues. C'est à travers elles qu'il s'assume. J'avoue que j'aurais voulu jouer un mec beaucoup plus simple, un peu comme le directeur artistique de Paco Rabanne, Julien Dossena, ou celui de Courrèges, Nicolas Di Felice.
- Robinson n'est pas toujours agréable : il peut être hautain, parler trop durement, comploter contre sa famille… Votre rôle dans Anatomie d'une chute en avait déjà énervé plus d'un. Retirez-vous un plaisir particulier à jouer des personnages désagréables ?
Je sais que des gens me détestent. (Rires.) Il doit y avoir un problème parce que dans ma vie j'ai une peur panique qu'on ne m'aime pas. Sur les plateaux, je suis le mec le plus obséquieux du monde avec les équipes de tournage. J'ai clairement une névrose. (Rires.) Peut-être que ça me libère de jouer ces rôles-là. Quant à Robinson, c'est vrai qu'il est bitchy, nombriliste, il ne fait pas très attention à l'autre…
- Mais l'imperfection est intéressante à jouer !
Ça permet aussi de se regarder en face : on est tous pleins d'imperfections. Et ce n'est pas en étant binaire qu'on va réussir à mieux comprendre notre société. Je n'en peux plus de la binarité, je trouve ça trop facile. Du coup, je vais vers des rôles et des projets qui la titille, parce que c'est là qu'on trouve la vérité.
- Ta carrière au cinéma a commencé avec 120 battements par minute. Comment ce rôle décisif s'est-il retrouvé sur votre chemin de carrière ?
Ça a été dur d'obtenir ce rôle, mais je le voulais vraiment. Rien à voir avec les droits LGBTQI+ ou la lutte contre le VIH mais j'avais une expérience dans des associations de soutien scolaire et de réinsertion sociale. En découvrant le personnage de Thibault, j'ai aimé son humour et son engagement dans la nuance. Le casting a duré neuf mois. Je savais qu'ils pouvaient trouver mieux, mais c'était impossible pour moi de passer à côté de ce rôle.
- Jouer un président d'Act Up, ça vous a donné un élan militant ?
J'ai énormément accompagné le film dans des forums de lutte contre le VIH et dans les écoles, face à des gens qui étaient pas toujours au fait du sujet. Pendant un an, je n'ai fait que parler du sida. J'étais très engagé et je suis bizarrement bien moins radical aujourd'hui. Je baigne dans des milieux d'extrême gauche donc je suis plus nuancé sur la radicalité, j'en vois davantage les dérives.
- Ton militantisme passe donc davantage par vos rôles ?
C'est là que je préfère le montrer, ou alors à travers des dons à des associations car je n'ai pas assez de temps libre pour m'engager personnellement. Par mes rôles, j'ai l'impression qu'en étant dans le vrai et dans la subtilité, c'est là qu'on peut réfléchir, faire avancer le débat et ne pas stagner.
- Entre 120 BPM, Les damnés ne pleurent pas, maintenant La Maison… Vous avez joué plusieurs rôles gays très différents ces dernières années. Avez-vous ressenti une peur d'être catalogué comme "acteur gay" ou d'être limité à ce genre de rôle-là ?
Si un rôle me plaît, je fonce. Je ne refuserai jamais un rôle gay en me disant "merde, ça fait trop". Côté vie privée, j'ai l'impression qu'il faut garder du mystère. C'est important. Pour revenir sur le discours de Muriel Robin, je peux dire que je la comprends. Mais je me dis aussi que plus tu affiches ta vie personnelle, moins tu laisses de possibilités à l'imagination. Notre métier d'acteur est de faire croire à un tas de choses différentes. Ce n'est pas une question d'homophobie pour moi aujourd'hui.
- Est-ce qu'on vous propose beaucoup de rôles gays aujourd'hui ?
Plutôt oui ! Mais aussi beaucoup de rôles asexués je dirais, un peu comme dans Anatomie d'une chute où on ne connaît pas sa sexualité. Pour les rôles gays, j'ai envie qu'ils amènent quelque chose d'important ou de différent à chaque fois. Il faut que le scénario soit un peu fin. Si le réalisateur qui a fait Challengers me contacte, j'y vais direct.
- Quel rôle vous a le plus marqué jusqu'ici dans votre carrière ?
Au théâtre, j'ai joué Louis XIII entouré de ses mignons et c'était hilarant à faire. Mais je dirais que là où j'ai pris le plus de plaisir à jouer, c'était dans Anatomie d'une chute. Je me sentais à l'aise, très powerful et j'étais surtout très autonome, peut-être parce que j'avais acquis de l'assurance grâce à mes rôles précédents. Je savais où j'allais.
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Crédit photo : Apple TV+