Dans la continuité de son premier ouvrage, l'illustrateur parisien inaugure un nouveau tome de 40 LGBT+ qui ont changé le monde et valorise les grandes figures de la communauté LGBT+.
Fort de son livre 40 LGBT+ qui ont changé le monde paru en 2019, Florent Manelli signe un deuxième volet stellaire. Toujours aussi finement illustré par ses dessins à la ligne pure, cette nouvelle parution entend réhabiliter et/ou visibiliser une quarantaine d'autres figures de la communauté LGBT+. De Tom of Finland à Sylvia Rivera en passant par l'inévitable RuPaul, l'artiste natif de Perpignan poursuit sa volonté première : commémorer celles et ceux qui se sont battu·e·s pour les droits des personnes queers aux quatre coins du globe. Parce qu'il est sans nul doute le mieux placé pour nous parler de son œuvre, TÊTU a passé un petit coup de fil à l'illustrateur.
Tu signes donc un deuxième tome des 40 LGBT+ qui ont changé le monde. C'était prévu, cette suite ?
Florent Manelli : Le deuxième tome est né d'une frustration de ne pas avoir pu mettre tout ce que je voulais dans le premier. J'avais envie de parler d'autres personnes, d'autres parcours. Chaque livre fait plus de 220 pages, ce qui est quand même conséquent. J'avais été assez restreint sur le premier tome, j'avais du faire des choix éditoriaux. Et puis j'ai aussi un cheminement militant qui a évolué entre l'idée du premier livre et la conception du deuxième. Il y a des connaissances que j'ai développées au fil des rencontres, des lectures que j'ai faites. J'avais envie que ce second livre ait une portée un peu plus politique.
Combien de temps as-tu mis à réaliser ce deuxième ouvrage ? Est-ce que ça a été plus difficile à mettre sur pied sur le premier ?
J'ai mis à peu près un an et demi. Sur certains aspects, ça a été plus simple, notamment visuellement parce que j'avais déjà fait des choix graphiques dans le premier que je souhaitais conserver pour le deuxième. En revanche, ça a été plus délicat émotionnellement. Parce que quand on écrit sur des parcours de vie qui ne sont pas toujours positifs, voire parfois très douloureux et violents, c'est difficile de s'en détacher. J'ai trouvé que c'était plus compliqué d'enchaîner rapidement, de continuer sur la même lancée que le premier. J'ai dû faire des petites pauses.
As-tu l'impression d'avoir appris autant de choses que sur le premier tome ?
C'est un projet qui, au tout départ, était un petit peu égoïste. Je voulais m'informer et m'éduquer sur l'histoire de la communauté, sur ses enjeux, sur l'état des droits LGBT+ dans certains pays, sur des figures qui ont composé le mouvement, sur des dates-clé... Donc oui, j'apprends à chaque fois des choses même si je ne découvre pas tout évidemment.
Comment as-tu sélectionné les 40 nouvelles figures incluses dans ce deuxième volet ? Quels sont tes critères de sélection ?
C'est une question qu'on me pose souvent et qui est assez difficile parce que dans le fond, il n'y a pas que 80 personnes qui ont milité dans le monde, et heureusement. À chaque fois, l'idée est d'avoir une diversité de personnalités avec des outils de militantisme variés. Je pense qu'on ne milite pas de la même façon quand on est artiste, sportif, politique ou activiste. Une diversité aussi dans les identités de genre, les couleurs de peau, les sexualités, les parcours de vie… Dans ce deuxième tome, j'ai panaché tout ça avec des profils qui mélangent différentes discriminations. Les questions de handicap sont vraiment intéressantes. La position des personnes queers racisées aussi. J'ai tenu à aborder ces questions-là.
Comment te renseignes-tu sur les personnalités choisies ? Car il faut réaliser le portrait dessiné, mais aussi écrire le texte biographique qui accompagne tes dessins...
Pour ceux qui étaient vivants, en général, je les ai contactés. Soit par mail, soit par visio, parce qu'il y a aussi le confinement qui est passé par là. Ces gens-là m'ont envoyé des biographies, des infos, de la documentation. Après, il y a beaucoup de recherches que j'ai faites moi-même avec des livres, des docus, des films, des articles de presse, des études… Finalement, pour certaines personnes qui sont un peu moins connues ou qui vivent dans des pays sur lesquels on a moins d'informations en Occident, je me suis rendu compte de la difficulté de recherche.
Tout ça questionne évidemment le manque d'un centre d'arLGBT+ en France, dont on parle depuis 20 ans et qui n'a toujours pas ouvert. C'est un lieu qui est censé collecter les archives, les rendre accessibles et vivantes, et faire ce travail de mémoire dont on manque cruellement. Pour certain·e·s militant·e·s français·es, c'est difficile de trouver des informations qui soient bonnes. C'est d'une tristesse infinie, parce que c'est notre mémoire collective qui se meurt. C'est une meilleure compréhension de nos enjeux politiques qui se joue dans l'archive.
Tes deux livres sont-ils un moyen pour toi de participer à la préservation du patrimoine LGBT+ ?
D'une certaine façon, c'est ça. Il faut se demander ce qui se passe aujourd'hui pour que des personnes LGBT+ ne soient même pas au courant de l'existence de ces gens-là. Il y a des personnes qui ont découvert ce qu'était Stonewall il y a à peine deux-trois ans, qui ne savent pas qui est Jean Le Bitoux ou Marsha P. Johnson… C'est une invisibilisation flagrante et extrêmement douloureuse pour des personnes qui sont concernées ou qui ne grandissent pas nécessairement avec des modèles pour se construire. Donc oui, cette question-là est vraiment le fil rouge de ce projet, tout en rappelant que je passe par le prisme du portrait et de l'unicité. Mais il faut rappeler que tous ces combats sont l'effort d'un groupe, d'un collectif, et que ce n'est pas le résultat d'une seule personne.
C'est un ouvrage où il y a beaucoup de diversité raciale, avec des personnalités que l'on connaît moins car souvent invisibilisées... Une conséquence des mouvements Black Lives Matter ?
La question des personnes racisées est là depuis longtemps. C'est quelque chose que j'avais déjà pris en compte dès le premier ouvrage parce que ça me semblait essentiel d'avoir ce panel-là et de sortir du regard neutre qui est celui du Blanc. C'est sûr que le climat actuel a résonné dans mon livre mais j'avais déjà sélectionné mes portraits et mes personnes avant que le mouvement Black Lives Matter prenne un sursaut en 2020. Notre communauté a beaucoup de travail à faire sur la visibilisation des personnes queers racisées.
Tu as inclus des personnalités controversées, comme RuPaul qui est sous le feu de critiques depuis quelques années. Comment expliques-tu le changement de discours vis-à-vis de ces icônes désormais décriées par une partie de la communauté LGBT+ ?
Je pense que ce sont des gens qui sont peut-être restés, dans le cas de RuPaul en tout cas, coincés dans quelque chose qui était considéré comme subversif ou militant à une époque et qui aujourd'hui est plus conventionnel. Ils ont peut-être du mal à passer à d'autres modes de pensée, à comprendre une plus grande complexité des questions queers. Les questions de société en 20 ans ont fait un bond gigantesque sur ces sujets-là. Aujourd'hui, on parle beaucoup plus de non-binarité qu'il y a 20 ans par exemple. Il faut réaliser le bond qui a été fait et comprendre que certains soient un peu "à la traîne".
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Je ne suis pas fan du bashing qui est fait sur RuPaul, même si j'ai pu trouver certaines de ses sorties choquantes et offensantes. Je pense qu'on ne peut pas nier l'apport considérable de RuPaul dans les années 80 et 90, dans un contexte politique et socio-culturel qui n'était pas du tout celui d'aujourd'hui. Cela ne veut pas dire qu'on doit excuser les propos qu'elle tient aujourd'hui sur les questions trans par exemple. Mais en revanche, faire une croix sur tous les apports de RuPaul me semble extrême.
Penses-tu qu'il y ait encore des figures LGBT+ à mettre en avant dans un troisième tome ?
J'aimerais bien. Après, je pense que j'ai envie de laisser mûrir ces deux livres et de leur laisser vivre un peu leur vie. Ce fut beaucoup de travail à un rythme très intense. Mais il y a clairement de la place pour 20 tomes même, parce que la liste est longue !
Le deuxième tome des 40 LGBT+ qui ont changé le monde est disponible en librairie dès le 9 octobre 2020.