Avec son objectif affûté, le photographe arlésien capture les errances de jeunes apollons dans leur habitat naturel.

S'il y a bien un photographe qui arrive à nous faire ressentir l'énergie du sud à travers ses portraits, c'est bien Marc-Antoine Serra. Ex-habitant de la capitale, Marc-Antoine Serra a pris ses cliques et ses claques il y a quelques années. Il s'épanouit désormais à Marseille, délivrant fréquemment des portraits d'hommes à la fois naturalistes et intimistes. À l'occasion de son exposition estivale, TÊTU a pris l'initiative d'échanger avec lui afin de mieux cerner son art, son attrait pour le masculin et son amour croissant pour la cité phocéenne.

De manière générale, vos photos mettent à l'honneur la figure masculine. Qu'est-ce qui vous attire dans le fait de photographier l'homme ?

En effet, les modèles dit "masculins" sont dominants dans ce que je photographie mais aujourd’hui le questionnement sur le genre rend plus complexe le sujet. Les notions de masculin et de féminin sont à revisiter. Disons que je photographie des corps dans leur énigme mais ils sont aussi inséparables du lieu où ils se trouvent, la lumière, tout le hors-champ. Derrière chaque photographie il y a une sorte de scénario invisible. Le modèle capté devient un personnage de fiction que je cadre à un moment d’immobilité provisoire. Certains sont des modèles professionnels, rencontrés lors de mon travail sur la mode, d’autres pas.

Il y a aussi les hasards de la vie, les rencontres. Par exemple, Rayan Mazuel [présent dans les photos plus bas, ndlr], je l’avais connu il y a plus d’un an en backstage de défilé ; je l’ai retrouvé à Marseille cet été où il était de passage. Il a accepté de poser pour moi autrement. J’ai l’impression d’être un guetteur qui travaille avec ses yeux, qui cherche des décors et des personnages en vue d’une histoire à raconter. La trace fixe de chaque tirage serait un épisode de cette histoire sans texte. En ce sens, la photographie est peut-être le plus silencieux des arts.

Vous exposez cet été sur l'Île du Levant une série intitulée "Le sourire de Rita Renoir". Comment est né ce projet-là ?

À l’invitation de Marc Turlan et Jean-Pierre Blanc, j’ai participé au festival NU2 sur l’île du Levant. Durant ma "résidence", en juin dernier, j’ai réalisé ces photographies. Le modèle Nathan Gombert est un danseur du Ballet National de Marseille (LA)HORDE avec lequel j’avais déjà travaillé. J’ai découvert la maison et le fantôme de Rita Renoir, personnage dont j’ignorais tout. Cette artiste étonnante et en partie effacée aujourd’hui était effeuilleuse, actrice, chorégraphe… Cette série de photographies lui est adressée en hommage posthume.

Par ailleurs, "faire du nu" sur une île naturiste avait quelque chose de singulier. L’affichage sauvage de grands tirages des œuvres sur l’île a été vandalisé : "Arrêtez de coller des queues partout !". J’ai trouvé ça intéressant.

Vous résidez à Marseille après de longues années à avoir habité Paris. Ce déménagement a-t-il eu un impact sur votre photographie ?

J’ai passé mon adolescence à Marseille. J'y suis donc retourné, après 25 ans de vie parisienne. C’était un choix inséparable de celui de devenir photographe, donc cette ville est inscrite dans mon travail. Même si économiquement, ça devient de plus en plus difficile.

Marseille est une ville qui attire de plus en plus de créatifs et où l'art semble prendre une place de plus en plus importante. Comment l'expliquez-vous ? Qu'est-ce qui vous inspire dans cette ville ?

C’est une ville économiquement sinistrée et où vivre n’est pas aussi simple qu’on le croit. J’habite rue d’Aubagne où des immeubles se sont effondrés. Les loyers sont moins chers qu’à Paris, c’est sans doute ce qui attire de jeunes artistes. Une paupérisation grandissante des milieux culturels éclaire sans doute ce déplacement de population. Mais il faut y vivre, certains repartent car ce n’est pas simple. C’est aussi une ville violente qu’il faut apprendre à connaître en l’aimant.

Quoi qu’on en dise, un véritable centralisme parisien persiste dans le domaine de l’art. Marseille est une ville méditerranéenne qui brasse une population d’une grande mixité. Sans doute la seule ville de France où les pauvres peuvent encore vivre dans le centre malgré la charogne immobilière et les efforts de gentrification. Je marche beaucoup dans la ville et c’est pour moi un territoire étonnant.

Vous avez justement travaillé en tant que directeur artistique ici même, chez TÊTU. Quels souvenirs gardez-vous de cette collaboration avec le magazine d'un point de vue artistique ?

J’ai travaillé comme DA pour Têtu de 2004 à 2010. Expérience pénible et passionnante. Passionnante parce que j’y ai rencontré des artistes intéressants et collaborer avec eux m’a beaucoup appris. Je pense par exemple à Lise Sarfati, Walter Pfeiffer, Jack Pierson, Bruce LaBruce… Pénible parce que le rythme des publications (à l’époque mensuelles) est terrible à tenir. Au passage, j’ai un souvenir ému pour Pierre Bergé sans lequel ce type de publication n’aurait pas existé. Aujourd’hui, le retour d’une forme d’homophobie et de racisme me fait penser que l’existence d’un magazine comme TÊTU est vraiment nécessaire....