Ce jeune illustrateur mexicain dessine des corps ronds et réalistes dans des positions kinky. Des créations explicites qui jouent avec les conditions d'utilisation d’Instagram et qui ont tapé dans l'oeil de Sam Smith.

Javier Ramos est un illustrateur gay qui sévit notamment sur Instagram. Ce dessinateur autodidacte de 26 ans, originaire de Monterrey, au Nord Est du Mexique, dessine des garçons ronds et poilus dans une démarche d'acceptation de tous les types de corps. 

Il y a quelque jours, Javier est devenu un phénomène lorsque la popstar, Sam Smith a partagé sur son compte instagram quelques uns de ses dessinsTÊTU a voulu en savoir plus sur ce jeune créateur gay et fier. De ses influences à sa relation amour/haine avec Instagram.

Tu dessines des personnages plutôt ronds, souvent dans des positions sexuelles ou suggestives. Est-ce ta façon d'introduire le "bodypositivisme" dans la communauté gay ?

On peut dire ça ! Des tas de gens m’ont contacté pour me dire qu’ils se sentent compris et qu’ils se retrouvent dans mon travail. Ça me plait beaucoup. Ça me donne l’impression de faire quelque chose de bien. Je sais d’expérience que nous pouvons être très cruels entre nous, notamment sur nos physiques. On a tendance à instantanément se ranger les uns les autres dans des catégories. Je n’aime pas ça.

Tout a commencé le jour où j’ai décidé de dessiner des hommes sexys. Inktober allait commencer (chaque année en octobre, des tas d’artistes à travers le monde font un challenge en dessinant un dessin à l’encre par jour pendant un mois, ndlr) et j’ai saisi l’opportunité. J’ai eu envie de dessiner des gens qui seraient plus à l’aise avec leurs corps, sans « six pack » ou gros bras.

On ne devrait pas être si durs envers nous-mêmes. Y compris au sein d'une même "niche", il y a certains standards que les gens se sentent obligés de suivre pour être acceptés. Tous les corps sont beaux et même si tu ne le ressens pas toi-même, tu peux être sexy et désirable aux yeux des autres. Je veux que les gens comprennent cela.

"Tom of Finland est une influence incontournable de l'art homoérotique."

Sur ton Instagram, on peut voir que tu utilises plusieurs techniques et que ton style est très éclectique. Quelles sont tes influences ? Tom of Finland ? Le manga japonais ?

Mes influences viennent de tas d’endroits. Tom of Finland est incontournable quand il s’agit d'art homoérotique. Il figure dans à peu près dans toutes les listes d’influences d'artistes queers. J'ai également lu beaucoup de bandes dessinées. J'adore des artistes comme Fiona Staples, Olivier Coipel, Jae Lee et Rusell Dauterman… Il y en a des tas d’autres mais ceux sont les premiers qui me viennent à l'esprit en ce moment.

Je suis aussi très influencé par des artistes « Bara », un genre des mangas japonais avec des bears. Spécialement ceux de Jiraiya et bien sûr de Gengoroh Tagame. Il y a un autre illustrateur érotique japonais que j’adore et qui s’appelle Namio Harukawa. Son travail est très axé sur le femdom. Je devrais également mentionner certains de mes collègues artistes queer sur Instagram, ils représentent un flux non stop de créativité pour moi. Mon influence la plus improbable doit être Quino (le créateur de « Mafalda », ndlr). C’est un cartooniste argentin qui a fortement influencé la façon dont je dessine un petit personnage que j'ai créé pour répondre aux questions des gens sur Instagram. C'est à la fois drôle et mignon !

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Tu te représentes parfois dans tes dessins. Ces histoires sont-elles autobiographiques  ?

Absolument ! La plupart de mes dessins sont en lien avec ma propre anxiété et ma dépression. D’autres m’aident à surmonter les migraines chroniques dont je souffre régulièrement. Chaque fois que je me sens déprimé, j'essaie de canaliser cela dans une image, juste pour moi. Puis quand je me sens mieux, je la poste sur les réseaux sociaux, car quelqu'un pourrait peut-être aussi se reconnaitre dans cette sensation ! C'est un processus très cathartique.

Je communique beaucoup mieux à travers des images plutôt qu'avec des mots, surtout quand cela concerne mes sentiments... Tu sais ce qu’on dit : « Une image vaut plus que mille mots ». Les dessins coquins et kinky ont peut-être aussi une dimension autobiographique, il doit bien exister un endroit dont je tire tout cela, n'est-ce pas?

"Les culs poilus sont beaucoup plus communs que ce que les gens pensent ! Et on ne les voit pas assez dans les médias !"

Certaines de tes illustrations sont clairement portées sur le cul. Instagram n'est pas un réseau social très ouvert d'esprit. Tu n'as pas peur que ton compte saute ? 

Tout le temps ! Surtout depuis que ça marche un peu pour moi. Instagram m’a déjà supprimé plusieurs dessins. Même si la nudité, logiquement, est autorisée dans les illustrations. C’est une sorte de zone grise mais la sanction, elle, est unilatérale. Avoir des posts supprimés, ça arrive très souvent à d’autres collègues artistes queer.

Mon compte s’est plusieurs fois retrouvé « shadow banned » (un dispositif mis en place par Instagram pour lutter contre les contenus homophobes ou pornographiques. Le réseau social empêche les personnes qui ne vous suivent pas de voir vos publications. Par exemple, via la recherche de hashtags. Cette mesure impacte négativement les professionnels et diminue leur chance de se faire connaître auprès d’une nouvelle audience et de gagner des followers, ndlr)

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C'est relou parce que c’est une forme de censure très ciblée. Je dessine juste des corps humains ! Les culs poilus sont beaucoup plus communs que ce que les gens pensent ! Et on ne les voit pas assez dans les médias ! Comment se fait-il que nous soyons, en tant que société, si effrayés par quelque chose d'aussi central dans nos vies que notre corps et la manière dont nous interagissons avec lui ?

"C'est super flatteur d'être reconnu par une personnalité aussi éminente que Sam Smith."

Cette censure influence-t-elle ton travail ? Essaies-tu de produire un dessin plus soft pour ne pas "choquer" Instagram?

Sûrement, oui. Il y a certains illustrations que j'ai faites exclusivement pour cette raison. Par exemple, juste après avoir été censuré, il m’est arrivé de dessiner plusieurs illustrations dans une sorte de rage. Des dessins très explicites mais où rien n'est montré. Il faudrait vraiment avoir une imagination vraiment sale pour remplir les blancs, littéralement ! Avec le temps, j’ai développé un certain talent pour passer entre les gouttes des «directives communautaires» d'Instagram.

Par exemple, je me concentre sur un seul petit détail d’une scène que j’ai en tête et je laisse le spectateur imaginer le reste. Je pense que cela fonctionne mieux que quelque chose d'explicite : c'est plus stimulant et cela permet au public de projeter leurs propres expériences, fantasmes et désirs. Heureusement, mon public aime mon travail et il me soutient beaucoup.

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Ça fait quoi « d’obséder » Sam Smith ? (la pop star anglaise a récemment posté des illustrations de Javier via sur son compte instagram expliquant être « obsédé.e » par ses images)

Honnêtement, j’essaie encore de comprendre ce qui s'est passé ! C'est super flatteur d'être reconnu par une personnalité aussi éminente. Quelles étaient les chances que cela arrive ? C’était comme gagner un ticket d’or à la loterie car mon travail a été exposé à près de 15 millions de personnes ! Je vivais ma vie pépère et soudain BOUM : tout a explosé en une heure ! Tout le monde m'a dit que Sam Smith avait partagé mon travail. Des tas de gens m'ont envoyé des messages et mon nombre de followers a augmenté de façon exponentielle ! Sam Smith a posté deux de mes images - probablement retirées par Instagram même si je n'en suis pas sûr. J’ai aussi vu beaucoup de commentaires négatifs parce que, bien sûr, je devais aller les regarder. Mais j'étais extatique ! J'avais aussi un peu peur car je n’arrivais pas à pleinement saisir la portée de ce qui venait de m’arriver. Je veux dire, 15 millions de personnes, ça fait beaucoup de monde ! Et d'autres célébrités ont dû voir mon travail aussi du coup. C’était beaucoup d’émotion. On a eu une conversation très courte mais ça a fait ma journée. Mon mois, même ! Maintenant que le contact est pris, j'espère qu'on pourra faire quelque chose ensemble. Qui sait ?

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Javier participe avec d'autres illustrateurs à un ouvrage d'art érotique baptisé "Butt Is It Art?" et actuellement financé par crowfunding sur Kickstarter.

Illustration: Javier Ramos