Celle qui avait transmis à WikiLeaks des milliers d'informations classées secret défense a obtenu l'autorisation d'être opérée en prison pour son changement de sexe. Une première dans le milieu carcéral étasunien.
Connaissez-vous l'histoire de Chelsea Manning ? Le 21 août 2013, ce soldat de deuxième classe âgée de 25 ans fut condamnée pour violation de la loi sur l'espionnage. En 2010, avant de faire son coming out trans, elle avait livré des informations classées secret défense à l'organisme WikiLeaks créé en 2006 par l'australien Julian Assange ; parmi elles, des vidéos de bavures militaires en Irak et en Afghanistan, des informations confidentielles sur des détenus de Guatanamo, des documents relatifs à la guerre d'Irak et à d'autres exactions... Manning avait téléchargé ces données lorsqu'elle état analyste du renseignement en Irak, puis les avait communiquées au site lanceur d'alertes dans le but d'enclencher un "débat national sur le rôle de l'armée et sur notre politique étrangère".
Dénoncée au FBI par un hacker informatique, elle est accusée d'avoir transmis plus de 250.000 câbles - ou télégrammes - diplomatiques et 500.000 rapports militaires, soit plus de 700.000 documents confidentiels de l'armée américaine. Arrêtée par la police militaire, Manning passe plus de 1.200 jours en prison, dont plusieurs mois à l'isolement, avant son procès en Cour martiale en août 2013. Bien que le gouvernement américain réclame 60 ans d'emprisonnement, Manning échappe à l'accusation de "collusion avec l'ennemi" et écope alors de 35 ans de prison.
Coming-out trans 24 heures après sa condamnation
Alors que je tourne une page et entame une nouvelle période de ma vie, je veux que tout le monde sache qui je suis réellement. Je suis Chelsea Manning. Je suis une femme. Considérant la façon dont je me sens, et dont je me suis sentie depuis mon enfance, je veux commencer un traitement hormonal dès que possible. J'espère que vous me soutiendrez dans cette transition.
Dès le lendemain de sa condamnation, Chelsea Manning informe le public de son changement de sexe ; elle expliquera ne pas l'avoir évoqué plus tôt pour ne pas perturber le cours de son procès. L'année suivante, elle dépose une plainte devant le tribunal fédéral pour suivre un traitement hormonal arguant qu'un refus violerait le principe constitutionnel d'interdiction de châtiments cruels et inhumains. Le 5 février 2015, la commandante de la prison militaire de Fort Leavenworth au Kansas accède à se requête.
Dès lors, Chelsea Manning devient la prisonnière trans la plus célèbre des Etats-Unis, ainsi que nouvelle plume du Guardian pour laquelle elle écrit bénévolement des chroniques sur le genre, la guerre, et la liberté d'information. Soutenue par l'Association des libertés civiles américaines (ECLU), elle incarne pour beaucoup un symbole de liberté et de courage, et fut même proposée pour le Prix Nobel de la Paix par plusieurs collectifs de soutien. Or l'institution pénitencière ne réserve pas le même traitement aux lanceurs d'alertes.
La vie de Chelsea Manning en prison - plusieurs signaux de détresse
Alors qu'elle a obtenu son changement de nom et l'autorisation d'entamer un traitement hormonal, Chelsea Manning vit depuis trois ans dans les quartiers de haute sécurité réservés aux hommes de Fort Leavenworth. Son traitement ne lui est pas donné régulièrement et le personnel carcéral lui interdit de laisser pousser ses cheveux de plus de 5 cm. Elle réclame une aide psychologique qu'on lui refuse. Après avoir mené l'enquête pendant un an, un rapporteur des Nations Unies dénonce les conditions de détention de Chelsea Manning comme étant "cruelles, inhumaines et dégradantes".
Le 5 juillet dernier, la détenue fait une tentative de suicide. Un signal d'alarme interprété en contre-pied par la police militaire qui la place en isolement pour une période indéfinie. Le 9 septembre, Chelsea Manning lance un nouvel appel au secours. Pour obtenir les soins nécessaires à sa transition, et notamment une opération chirurgicale, elle entame une grève de la faim :
J'ai besoin d'aide. Mais au lieu de cela, je suis maintenant punie pour avoir survécu à une tentative de suicide. Lorsque j'étais enfant, mon père me battait régulièrement, simplement parce que je n'étais pas assez viril. La peine est allée de mal en pis, jusqu'à ce que je ne puisse plus la supporter (…). Aujourd'hui, j'ai décidé que je ne voulais plus me laisser intimider par la prison ou par quiconque appartenant au gouvernement américain. Je n'ai demandé qu'une chose : la dignité et le respect qui, avais-je cru alors, devaient être accordés à tout être humain vivant.
"Manning sera la première prisonnière des Etats-Unis à recevoir ce traitement médical"
Cette fois-ci, l'armée américaine a écouté. D'après un communiqué diffusé par l'entourage de la détenue, Chelsea Manning a stoppé sa grève depuis que des responsables gouvernementaux lui ont montré un document affirmant qu'elle pourra bénéficier d'une opération. "Si cela arrive, Manning sera la première prisonnière aux Etats-Unis à recevoir ce traitement médical, créant un précédent qui pourra bénéficier à des milliers de prisonniers transgenres" souligne le communiqué.
En 2010, le magazine Les Inrocks décrivait les conditions d'incarcération inhumaines des personnes transgenres. François Bès, de l'Observatoire international des prisons parle ainsi de "cellules individuelles des quartiers d'isolement normalement réservés aux délinquants "dangereux"" pour ces détenu.e.s qui "n'ont pas accès à la plupart des activités et se promènent à des heures différentes, dans une petite cour grillagée". Une ancienne détenue de Fleury-Mérogis et du tristement célèbre bâtiment D3 a ainsi récemment raconté à Yagg les calvaires de la transphobie en prison. En France, seules les "modifications physiques irréversibles liées au processus de réassignation sexuelle" permettent d'être affecté au quartier correspondant à l'identité de genre.
Aujourd'hui encore, de nombreux groupes de soutien œuvrent pour réduire la peine de "la taupe de WikiLeaks" derrière le mot d'ordre "Free Chelsea Manning". Le chanteur de REM s'est récemment engagé dans ce combat en exigeant l'annulation des sanctions réclamées contre Chelsea Manning suite à sa tentative de suicide.
Pour en savoir plus :
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Crédit photo couverture chelseamanning.org
