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interviewPierre Palmade : "C’est la dernière interview sincère que je donne"

Par Romain Burrel le 20/10/2017
Pierre Palmade

Pierre Palmade n’avait plus accordé d’interview à Têtu depuis juin 2010. Entre l'homosexualité et lui, il y a longtemps eu un malaise, que nous avons pris le temps de dissiper.

Une incompréhension nourrie par un coming out douloureux, des sorties malheureuses dans la presse et une détestation (le mot n’est pas trop fort) de sa propre homosexualité. Et pourtant, il y a ces sketches d’anthologie et ces spectacles qui nous ont fait mourir de rire. D’Alex Lutz à Vincent Dedienne en passant par Jarry, Pierre Palmade est célébré comme le père de toute une génération d’humoristes. Un enfer pour celui qui ne supporte pas de se voir vieillir. À 49 ans, après plusieurs pièces de théâtre, le comédien renoue avec ses premières amours : le one-man-show. L’occasion de recevoir têtu·, histoire de dissiper quelques malentendus. Avant de commencer, il prévient : "C’est la dernière interview sincère que je donne". Profitons-en !

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Votre nouveau spectacle, Aimez-moi, signe votre retour au one-man-show. Le genre vous manquait ?

Pierre Palmade : Oui, c’est un retour aux sources ! Récemment, j’ai regardé mes anciens spectacles et je me suis dit "Mais c’était vachement bien !" Je sors d’une période où je me mettais beaucoup en scène. Je suis un peu à sec sur le côté autofiction comique. J’ai à nouveau envie d’incarner des personnages. De faire rire avec des sketches mais avec des moments un peu absurdes, un peu poétiques… Attention je ne déclame pas des alexandrins non plus ! Mais ma copine Mireille Dumas m’a dit : "Pierre, tu as aussi une part de poésie. Tu offres des choses que tout le monde n’offre pas". Alors je me suis dit qu’il fallait peut-être aller chercher un public de théâtre qui ne s’attend pas qu’à rire. C’est pour ça que je vais au Rond-Point. J’ai même passé une audition de débutant devant Jean-Michel Ribes (directeur du Théâtre du Rond-Point à Paris, ndlr) !

"Être moi, ça m'a pris du temps."

Vous vous sentiez limité en tant que comédien quand vous étiez plus jeune ?

Enormément ! Quand j'ai commencé à 20 ans, je n'avais que des aînés : Muriel Robin, Jean-Marie Bigard, Valérie Lemercier. Je me sentais toujours comme le cadet un peu fragile en comédie. J'avais une jeunesse un peu insolente mais eux étaient plus prêts que moi. Quand je me revois, je me dis que j'aurais dû prendre trois-quatre cours de comédie. J'imitais mes idoles : la façon de parler rapidement de Sylvie Joly, la diction saccadée de Jacqueline Maillan... Être moi, ça m'a pris du temps. Bref, je ne savais pas si j'avais envie d'être Claude François ou Guy Bedos !

Vous retrouvez des choses de vous chez certains comiques d'aujourd'hui ?

Oh oui ! Parfois, ça peut même bêtement m'agacer. Par exemple, chez Alex Lutz. Un jour, je lui ai dit : "Écoute, quand même, cette réplique..." Alex m'a répondu : "Ben oui Pierrot, mais toi aussi tu as piqué des trucs, non?" C'est inévitable. Comme il y a beaucoup de Muriel Robin chez Florence Foresti. Quand les gens le reconnaissent, ça se passe bien. Moi, il n'y a pas une seule interview où je ne cite pas mes idoles !

L’homosexualité était au centre de vos dernières pièces de théâtre, Le Comique, Le Fils Du Comique, c’était une façon de mettre les choses au point ?

En 2007, j’en ai eu marre d’affronter le double regard qu’on posait sur moi. Sur deux personnes que je croisais dans la rue, l’une me regardait en souriant, l’autre, qui peut-être savait que j’avais des soirées parisiennes arrosées, me jugeait comme un dépravé. J’avais l’impression d’être tour à tour un premier de la classe et un cancre. Alors je me suis dit, je vais faire une pièce où je vais brillamment parler de ma part d’ombre : l’alcool, la drogue, la différence d’âge quand on a 40 ans et qu’on drague des petits jeunes de 20 ans… C’était ma façon de dire : "J’assume tout ".

"À cette époque, j’avais besoin de boire pour vivre mon homosexualité. En étant gay, j’avais l’impression de décevoir des gens qui comptaient pour moi."

On vous a parfois reproché de ne pas assumer cette vie ?

Dans les années 90, il y avait une cloison énorme entre le Paris gay où on faisait ce qu’on voulait et le "bon peuple", qui lui n’était au courant de rien. Puis la paroi entre ces deux mondes est devenue poreuse et je l’ai mal vécu. À cette époque, j’avais besoin de boire pour vivre mon homosexualité. En étant gay, j’avais l’impression de décevoir des gens qui comptaient pour moi.

N’est-ce pas un parcours commun à beaucoup d’homosexuels ?

Peut-être. D’où ça vient ? Je ne sais pas. Après le décès de mon père, il n’y avait que des femmes dans ma famille. Je suis devenu protecteur. Très vite ce sentiment s’est confondu avec l’hétérosexualité. Je plaisais aux filles, je faisais rire les copains… Mais mon corps, lui, bandait plus pour les copains que pour les femmes. Pourtant je ne vivais bien le rapport de séduction et le romantisme qu’avec des femmes. Ça commence à me lâcher un peu mais je me trouvais romantiquement hétéro et sexuellement homo. J’ai eu des histoires d’amour avec des femmes, dont une très connue, avec Véronique Sanson. Personne n’y croit mais je m’en fous.

Ça vous a blessé qu'on ne croie pas à votre mariage avec Véronique Sanson ?

Ça m'a blessé pour Véronique. J'ai l'habitude de susciter la jalousie depuis la maternelle. Mais j'ai eu mal pour Véronique, car elle avait une jolie vie privée. J'ai l'impression d'avoir abîmé son image. Mais j'ai été heureux avec elle. J'avais 27 ans, c'était une époque où je ne me reconnaissais pas dans le milieu gay. En 1995, je me mets avec Véronique Sanson. Et en 1996, je monte sur scène avec Michèle Laroque. Je verrouille tout. À la vie et à la scène, je m'entourais de deux très belles femmes, qui font baver les hétéros. Comme ça si on me traitait de pédé, je pouvais dire : "Montre-moi ta femme. C'est la grosse derrière ?"

"Je n’ai jamais parlé que pour moi. J’étais triste d’être homo. Je pense que ma vie aurait été plus simple si j’avais été hétérosexuel."

On se souvient d’une interview où vous disiez vivre votre "homosexualité comme une maladie". D’une autre où vous expliquiez être "triste d’être homo". Ça va mieux ?

Tout le monde m’est tombé dessus ! J’ai dit que je le vivais comme une maladie et on a déformé ça en "Palmade déclare que l’homosexualité est une maladie". Mais je n’ai jamais parlé que pour moi. J’étais triste d’être homo. Je pense que ma vie aurait été plus simple si j’avais été hétérosexuel. Ça m’épuise d’être mal interprété. Cet entretien à Têtu, c’est la dernière interview sincère que je donne. Après je serai plus consensuel comme ça on ne parlera que de mes spectacles. Mais finalement, ces déclarations ont été thérapeutiques. En disant : "Je suis triste d’être homo", je me suis dit : "Pierre, faut que tu te consoles maintenant ! C’est fou de dire un truc pareil !" Et depuis trois ans, ça va mieux.

Votre complice Muriel Robin a eu un parcours parallèle au vôtre. Aussi long et difficile...

Dans les années 90, on s'est reconnus avec Muriel dans le fait qu'on vivait très mal notre orientation sexuelle. On se serait volontiers fait reprogrammer. L'éducation de province, sans doute... Mais on est aussi très différents. Muriel a le sens du couple. Moi pas. Je ne suis jamais resté plus de six mois avec un garçon. Finalement, la dernière grande aventure pour moi, c'est le couple avec un mec. Mais il n'est pas trop tard !

Comment avez-vous vécu la violence des débats sur le mariage pour tous ?

J'étais soulagé que cette homophobie éclate enfin au grand jour. Je savais qu'en France une personne sur deux était homophobe. Je n'en pouvais plus d'entendre des gens à Paris dire : "Mais non ça n'est plus un problème !" L'homosexualité reste tolérée mais pas acceptée. Même de la part des femmes ! J'ai une théorie : je pense qu'il y a des femmes qui ont très peur que, si on est trop tolérant avec l'homosexualité, leur mari va se barrer. Déjà qu'elles craignent les autres femmes, mais si en plus leur mari leur balance : "Tu me fais chier, je me barre avec Jean-Jacques", c'est trop ! Ceci étant, je pense qu'il y a plein d'homophobes guérissables. Si un camp hurle "à mort les homophobes" et que les autres crient "à mort les pédés", on n'y arrivera pas. Même moi, au départ, je n'étais pas très favorable au mariage pour tous. Je me disais : pourquoi aller faire chier les hétéros réacs sur leur terrain ? Puis j'ai assisté à deux mariages de garçons et j'ai trouvé ça très touchant. Je suis comme ça : je commence toujours par réagir comme le camp Fillon, puis je finis par penser comme Hollande !

L'humour, c'est un bon cheval de Troie ?

Oui. Quand j'écris, je n'ai pas cette distance. Mais si j'arrive à cerner un raciste, un homophobe ou un macho alors je suis fier de moi et je me dis : "Je suis La Bruyère !" Qu'est-ce que j'aime tuer les machos sur scène ! Dans Le Scrabble, L'Huile d'olive... J'ai horreur des hommes qui parlent aux femmes en leur rappelant leur force physique. Mais il y a aussi des sketches que je ne referais plus. Dans Ils s'aiment, il y a une saynète où j'incarne un homophobe fini qui dit des horreurs sur un couple homo. Tout le monde riait. Même les homophobes. Je me mettais tout le monde dans la poche. Aujourd'hui, je ne veux plus faire rire de manière ambiguë. Mais quand je regarde en arrière, jai l'impression d'avoir fait plus de bien que de mal. A travers mes spectacles, j'ai tenté de banaliser l'homosexualité. Peut-être maladroitement parfois, mais toujours en me mettant à nu. Je ne suis pas Harvey Milk, mais j'ai ma carte à jouer. Faites-moi confiance.

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Crédit photo : Eddy Brière