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interviewEmmanuel Moire : "En ne faisant pas son coming out, on passe à côté de soi"

Par Alexis Patri le 16/01/2019
Emmanuel Moire

Emmanuel Moire participe à la deuxième demi-finale de Destination Eurovision. Il nous a parlé de sa participation au concours, des gens dans le RER, de matriarcat et de son nouvel album, Odyssée, qui sortira en février prochain. Interview.

C'est un Emmanuel Moire qui se dit à la fois très excité et un peu stressé que l'on retrouve entre deux répétitions de "Destination Eurovision". C'est pourtant sur un ton jovial et détendu qu'il a répondu à nos questions. Le chanteur tentera de gagner ce samedi 19 janvier sa place pour représenter la France au concours international. Il a choisi pour cette aventure "La Promesse". Une chanson qui parle de coming-out et d'acceptation de soi.

C'est la première fois que le chanteur de 39 ans - qui vit ouvertement son homosexualité depuis son coming-out en 2009 dans les pages de TÊTU - chante le sujet, après sa participation au clip "De l'amour" d'Urgence Homophobie. Désormais "en paix avec lui-même", Emmanuel Moire semble prêt à s'engager de plus en plus. Mais à son niveau et à sa manière, car il n'est ni un égotique, ni un révolutionnaire. "La Promesse" figurera sur "Odyssée", son nouvel album disponible à partir du 15 février 2019. Un disque de chanson française aux accents pop, qui raconte des histoires intimes et personnelles, et dont il signe les textes pour la première fois.

Tu es en pleines répétitions pour les demi-finales de "Destination Eurovision". Comment on se prépare pour ce type de concours ?

Emmanuel Moire : C’est la semaine fatidique ! Je suis à la fois un peu stressé - c’est quand même pas rien - et à la fois excité parce que j’ai envie d’y aller. Mais ça va, je gère. Je suis un bon élève : ce qui me rassure, c’est le travail. Donc je bosse depuis plusieurs semaines mon titre, mon cours de chant… Et oui, je prends encore des cours de chant ! La version de « La Promesse » que je présente samedi n’est pas totalement celle que les gens ont pu écouter. On a aussi travaillé le côté visuel. J’ai eu des répétitions avec mon équipe : on va essayer de reproduire ce qu’on fait pour le clip, que l'on n'a pas encore diffusé (il n'en dira pas plus).

"J’ai cru que me cacher allait m’aider. Je me suis trompé."

Pourquoi défendre ta place avec "La Promesse", une chanson sur le coming-out ?

Cette chanson parle précisément de l’engagement, mais envers soi. On s'est tous menti à soi-même sur sa sexualité à un moment de sa vie. J’ai cru que me cacher allait m’aider. Je me suis trompé. Ce n’est jamais facile et il n’y a pas de bon moment pour faire son coming-out. Mais si on ne le fait pas, on passe à côté de soi. Ça demande du courage et de l’audace, mais on récolte beaucoup plus que quand notre vie est régie par la peur.

C'est la première fois que tu abordes le sujet dans une chanson. Pourquoi maintenant ?

Je parlais déjà de mon homosexualité évidemment, mais je ne l’avais jamais chanté. On me donne la parole, je veux en profiter pour faire quelque chose qui me paraît important. C’est presque un devoir en tant qu’artiste, de ne pas dire n’importe quoi. Je fais ma part. La musique, c’est pas seulement « je chante, je suis connu, c’est super ! » (rires). C’est cool, mais il faut qu’il y ait autre chose derrière. Sinon c’est un peu léger comme fonction. J’ai aussi pris conscience de ça avec le temps. Tu sais, je n’ai plus 20 ans ! (rires).

"Ma grand-mère appartient à cette époque des familles matriarcales. Elle a laissé une empreinte très forte dans ma vie."

Est-ce que ta célébrité change ton rapport à la drague, aux applis de rencontre ?

Je suis en couple donc j’échappe à ça, tant mieux. Dans la rue, je ne cache pas ma vie amoureuse. Je le faisais peut-être plus avant. De manière générale, la notoriété parasite forcément l’envie de vivre comme tout le monde. Quand je prends le RER, je vois bien les gens un peu qués-blo qui se disent « Ah bah non ça peut pas être lui, il prend pas le métro ». Et siii ! (rires).

Dans ton nouvel album Odyssée, tous les titres semblent très intimes. Par exemple, "La Femme Au Milieu" parle-t-elle de quelqu'un de ta famille ?

Oui, c’est un beau portait de ma grand-mère maternelle qui est partie il y a deux ans. Elle a laissé une empreinte très forte dans mes souvenirs et dans ma vie. Elle appartient à l’époque d’avant, des familles matriarcales, dirigées par nos grand-mères. Ce système s’est complètement écroulé à son départ et il est à réinventer autrement aujourd’hui. Beaucoup d’amis ont retrouvé leur mamie dans cette chanson, je crois qu’on a tous ce genre de femme dans notre famille.

Emmanuel Moire

Quels sont les artistes que tu écoutes en ce moment ?

J’adore la langue française, donc en ce moment beaucoup de choses différentes me parlent. Ça va du dernier album d’Orelsan à Eddy de Pretto, Angèle, Zazie, Calogero. Ce sont des univers qui n’ont rien à voir. Mais ces artistes ont des choses à dire sur notre époque, ça fait toute la différence.

Avec qui aimerais-tu travailler ?

J’ai écouté tous les titres de « Destination Eurovision », et j’adore par exemple la voix de Seemone. J’adore sa chanson. Elle est vraiment dans la tradition de la chanson française, et c’est ce qui me parle. J’ai très envie de travailler avec d’autres, je l’ai déjà fait comme avec Chimène Badi pour qui j'ai écrit deux titres. Tout dépend du projet.

"Je ne vais pas présenter quelque chose d’excentrique. Mais c’est bien de le faire quand ça nous ressemble."

A quoi doit-on s'attendre pour ta performance de samedi ?

Tout le monde a son idée des codes de l’Eurovision, de ce que doivent être les chansons et les visuels. Je pense surtout qu’il faut que ce soit sincère. On me connaît, je ne vais pas présenter quelque chose d’excentrique. Mais c’est bien de le faire quand ça nous ressemble. Je ne suis pas qu’un chanteur : j’ai fait énormément de choses dans ma carrière et j’ai envie de montrer tout cela samedi (il tape dans ses mains d’excitation). Mais je ne peux pas t'en dire plus (rires) !

Comment est née l'idée de participer à l'émission ?

Ce n’était pas du tout mon idée. J’avais en projet de proposer des titres, mais en tant qu’auteur-compositeur uniquement. Je connais le directeur de casting de l’émission Bruno Berberes. Quand il a entendu la chanson de mon nouvel album « La Promesse », il a tout de suite pensé à l’Eurovision. Se remettre en position de concours, d’être jugé, ça ne me disait pas trop. J’ai d’abord dit non. Bruno est revenu vers moi, j’ai réfléchi pendant une dizaine de jours. J’ai décidé de calmer mon ego et les questions ridicules du type « Est-ce que c’est bien pour moi ? Est-ce que c’est le bon moment ? », et j’ai dit oui. Dans ma petite carrière, tout ce qui n’était pas prévu a donné des super choses. Surtout, j’ai envie que cette chanson, qui transmet un message important, soit entendue par le plus grand nombre. 

Emmanuel Moire polaroid TÊU
Crédit photo : Alexis Parti pour TÊTU

>> "La promesse", le nouveau single d'Emmanuel Moire, est disponible chez Mercury/Universal.

Crédit photo : DR