[Article à lire dans le dossier spécial GPA du têtu· de l'hiver, ou sur abonnement] Si tous les homos n’éprouvent pas de désir de parentalité, beaucoup y renoncent, soit à force de difficultés à y accéder, soit même très tôt, comme une fatalité de la condition gay.
Illustration : Sophie Della Corte pour têtu·
“Je me suis réveillé vers 45 ans en me disant, un peu bêtement, que j’aurais aimé être père”, confie d’une voix douce Ludovic, Parisien de 52 ans, patron d’une agence d’événementiel. Beaucoup d’hommes gays partagent ce désir d’avoir un enfant. Qu’on rêve de jouer avec un petit être babillard, qu’on veuille l’aider à grandir et à affronter le monde, qu’on ait envie de transmettre son expérience, son savoir ou même son nom… Le souhait de faire famille est un sentiment humain qui traverse la communauté gay autant que la société. Mais les réalités de nos vécus font que nous sommes nombreux à abandonner, parfois très tôt, l’idée même de devenir un jour parent. Ludovic s’est résigné : “Jusqu’à la fin de mes jours, je serai « l’enfant de » et pas « le père de ».”
À lire aussi : Annie Ernaux sur la GPA : "Porter l’enfant de quelqu’un d’autre est un choix"
Pendant très longtemps, la parentalité n’était même pas une perspective envisageable pour les gays. Ce n’était d’ailleurs pas une revendication des militants LGBTQI+ dans les années 1960 et 1970. Au contraire, certains la rejetaient avec le modèle hétéro. Pour les volontaires, relève la sociologue Gabrielle Richard, autrice du livre Faire famille autrement, le choix était celui d’un sacrifice : "On pouvait vivre sa vie sentimentale et sexuelle en tant que gay, sans enfant, ou bien construire une famille mais en tant qu’hétérosexuel."
Gays et parentalité
Pour la génération suivante, celle qui a eu vingt ans dans les années 1980-1990, "le combat était d’exister plutôt que de faire famille", rappelle Ludovic. Mais si l’épidémie de VIH a fait passer à l’arrière-plan le désir d’enfant, les survivants de la période ont pu ressentir d’autant plus le besoin de transmettre. Restaient, à nouveau, les limites biologiques et légales : "Un paquet de mecs de ma génération ont préféré se marier avec une femme et fonder une famille, observe le quinquagénaire. Avant de divorcer ensuite pour vivre leur homosexualité." L’autre solution est la coparentalité, mais encore faut-il trouver la femme ou le couple avec qui envisager de partager l’éducation d’un enfant.
"Les chances de pouvoir adopter un enfant sont très faibles pour les hétéros, et c’est pire pour les couples homosexuels".
"Les hommes gays ont longtemps baigné dans une société qui leur faisait comprendre que la parentalité n’était pas pour eux", résume Gabrielle Richard. Résultat : "Les hommes gays sont parmi les personnes queers qui se sentent le moins légitimes à entrer dans la parentalité, parce qu’il y a parfois un grand décalage entre les avancées juridiques et la manière dont on considère qu’on peut se prévaloir de certains droits." L’adoption par les couples de même sexe est autorisée depuis 2013. Daniel*, fonctionnaire limousin, s’est lancé avec son époux dans ce parcours difficile : entretiens intrusifs, formulaires non adaptés, procédures longues… "Quand on a fini par obtenir notre agrément, ils nous ont dit qu’avoir un bébé serait quasiment impossible, soupire l’aspirant père de 44 ans. Il faut vraiment être un couple solide pour entreprendre de telles démarches." À son tour, il a abandonné, mais en conserve comme Ludovic une blessure : "J’ai fait mon deuil d’enfant. Ça a été un déchirement de tout arrêter."
L'option GPA
Pascal*, 28 ans, principal adjoint d’un collège en région parisienne, envisageait lui aussi de passer par l’adoption, mais "peu de couples homosexuels peuvent adopter, et c’est encore plus difficile pour les hommes célibataires". "C’est une démarche très longue, nous confie-t-il. Psychologiquement difficile et vouée à l’échec." Même si la situation semble s’améliorer peu à peu, les opinions très conservatrices des conseils de famille chargés de gérer l’adoption en France ont mis fin à de nombreux projets. Tandis qu’après plusieurs scandales, les adoptions à l’étranger sont devenues très compliquées – certains pays les interdisent purement et simplement aux couples de même sexe. "Les chances de pouvoir adopter un enfant sont très faibles pour les hétéros, et c’est pire pour les couples homosexuels", constate Fabien Joly, avocat et porte-parole de l’Association des familles homoparentales (ADFH). Nicolas Faget, le porte-parole de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), abonde : “Certains renoncent après avoir attendu plusieurs années. Ils n’en peuvent plus et se résignent à ne pas avoir d’enfant.”
Face à ces difficultés, beaucoup d’hommes gays en désir de parentalité se tournent vers la gestation pour autrui (GPA) à l’étranger. Mais le coût représente alors un gros frein. “C’est l’obstacle numéro 1 à la GPA à l’étranger, confirme Nicolas Faget. Il y a une vraie discrimination par l’argent, qui empêche beaucoup de couples d’accéder à la GPA et stoppe même des projets déjà entamés." L’ensemble de ces difficultés, tous les gays en sont conscients. Beaucoup les ont tellement intégrées que le renoncement à la paternité est pour eux livré avec l’acceptation de leur homosexualité. Comme un package libération-deuil, par réalisme ou par intégration de l’homophobie. Cadre parisien quadragénaire, Heri a toujours voulu un enfant. En couple depuis une dizaine d’années avec un homme, il a pourtant “renoncé” à son rêve au moment d’assumer son homosexualité : "J’ai grandi dans une famille traditionnelle et je n’arrive pas à me faire à l’idée d’élever un enfant avec un homme." Combien de nos mères, au moment de notre coming out, ont fondu en larmes non pas tant à cause de la nouvelle en soi que de la certitude que nous ne leur donnerions pas de petits-enfants ?
*Les prénoms ont été changés
À lire aussi : GPA pour toustes : il est temps !
À lire aussi : "C’est la clandestinité qui fait la précarité" : paroles de femmes porteuses