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musiquePierre Lapointe : "Ça fait du bien de voir des chansons d'amour chantées par deux mecs"

TÊTU : Bonjour Pierre Lapointe ! Tu dévoiles ce vendredi "Chansons Hivernales". C'est un album de Noël. On peut le qualifier ainsi ?  Je pense qu'on peut le dire oui ! En tout cas c'est un album du temps des fêtes. Je parle de faire un album de Noël depuis quinze ans, et tout le…

Crédit photo : Kelly Jacob

TÊTU : Bonjour Pierre Lapointe ! Tu dévoiles ce vendredi "Chansons Hivernales". C'est un album de Noël. On peut le qualifier ainsi ? 

Je pense qu'on peut le dire oui ! En tout cas c'est un album du temps des fêtes. Je parle de faire un album de Noël depuis quinze ans, et tout le monde fronçait un peu les sourcils autour de moi. Ici, au Québec, il y a une connotation un peu négative par rapport à l'album de Noël. Il y a des grands disques qui ont été faits, mais c'est malheureusement souvent un moyen rapide pour les labels de faire de l'argent. Ils ont fait des albums de merde avec des reprises de reprises de reprises... C'était du fast-food ! Pour ma part, j'avais vraiment envie d'écrire des nouveaux classiques, de faire des morceaux raffinés autour de Noël sans tomber dans le mauvais goût. Et puis me suis surpris à écrire des chansons qui m'ont rendues hyper fier, comme Maman, Papa, qui va bien au delà de l'objectif que je m'étais fixé au départ.

Justement, cette chanson, Maman, Papa, est probablement la plus belle chanson qu'on ait entendue sur le coming out depuis longtemps. Tu y racontes, à la première personne, un coming out qui tourne mal, un soir de Noël. C'est ton histoire que tu racontes ? 

C'est une chanson qui est dédiée à un ami, mais cet ami a joué le rôle du catalyseur. Ce titre pour moi raconte l'histoire de plein de personnes que je connais ou que j'ai connues. Il raconte toutes ces fois où j'ai eu envie de prendre le téléphone et d'appeler les parents pour leur dire à quel point ils étaient cons. C'est une chanson cathartique pour moi, mais je crois qu'elle peut aussi faire du bien aux gens qui ont vécu des histoires horribles comme celle ci. Et en même temps, c'est aussi un outil de compréhension pour les gens qui sont les ""rejeteurs" dans l'histoire. J'ai fait exprès de la chanter très doucement, comme quelqu'un qui a dépassé le stade de la rage, qui est dans la tristesse pure. L'émotion, je crois, passe aussi parce qu'on est pas en train de vouloir détruire quelqu'un, parce qu'on explique plus qu'on accuse.

 

Dans "Six Heures d'Avion Nous Séparent", tu chantes la fin d'un couple à distance avec Mika. C'est rare les duos entre hommes, et a fortiori, les chansons d'amour... 

Effectivement, je ne pense pas que ça ait déjà été fait en chanson francophone ! C’est assez nouveau et tant mieux. Ça fait du bien de voir des chansons d'amour chantées par deux mecs. Quand j'ai écrit la chanson avec Alma Forrer et Benjamin Porraz, mes amis parisiens, je me suis dit que ça serait drôle de la chanter avec un homme, et je voulais quelqu'un qui habite en Europe. Avec mon équipe on a tout de suite pensé à Mika. Je n'étais pas sûr qu'il soit à l'aise avec cette idée, mais finalement, il a accepté tout de suite. A posteriori, ce duo paraît évident parce qu'on a plein de points communs : on est tous les deux out, dans la trentaine avancée, on fait de la chanson depuis presque 20 ans... 

C'est une chanson que tu n'aurais pas pu faire il y a vingt ans ? 

Pas du tout. Au début de ma carrière, je me taisais non pas par honte, mais par respect pour les gens autour de moi, ma famille, mes amis. Ils n'étaient à mon sens pas prêt à assumer que le chanteur, la personne à succès, soit gay. Aujourd'hui je me dis que ça aurait peut-être fait avancer les choses plus vite, et en même temps, ça les aurait peut-être trop bousculées. Mais mon écriture aussi a changé. A 20 ans, je décrivais des émotions plutôt que des histoires, et je n'aurais jamais écrit cette chanson là. En tout cas, pas de cette façon.

Dans Le Premier Noël de Jules, tu es la "marraine la bonne fée" d’un petit garçon, et tu lui adresses des recommandations pour sa vie à venir.  Tu lui chantes que "l'amour est sans issue" et qu'il finira “abîmé mais fort comme un roi”... C'est pas un peu violent pour un enfant ? 

C’est une façon de pas tomber dans un texte ultra cucul à la "Prendre un enfant par la main". C'est une très belle chanson mais elle est trop premier degré. Je suis assez à l'aise avec l'honnêteté de dire à un enfant qui vient de naitre "tu vas trouver ça beau et laid, la vie" . L'existence, elle n'est pas toute rose ou toute noire. Elle est grise, rosacée, parfois rouge sang, mais c'est ce qui la rend belle, c'est ce qui nous construit. Je suis parrain depuis quelque mois, et si un jour je ne suis plus là pour lui, je me dis qu'il écoutera peut-être cette chanson et ça lui donnera un peu d'espoir. 

Aujourd'hui tu chantes "Les soirées où l’on fait semblant de s’amuser / Le champagne qui nous donne envie de dégueuler / La musique trop forte /  Les amitiés d’une soirée / Ça va, j’ai donné…” Elles sont loin les fêtes de "Nos joies répétitives" qui te faisaient du bien ? 

C'est vrai que ça ne m'intéresse plus tellement. J’ai eu des super belles fêtes mais je crois que quand t’es amoureux, tu veux juste t’installer, rester à poil dans le lit, faire l’amour.

Tu ne vas rien faire pour le nouvel an alors ?

Le nouvel an, c'est souvent raté. On se fait chier pour avoir un taxi, on se force pour avoir du plaisir... Les meilleures fêtes sont toujours improvisées. 

Pourtant on a un peu envie de danser ivre sur Noël Lougawou, ton duo avec Mélissa Laveaux, une autre collab très queer de ton disque ! 

C'est vrai ! On chante en haïtien sur ce titre, c'était la première fois que je chantais dans une autre langue que le Français. Et ça donne ce morceau, très différent, qui me rappelle beaucoup Manno Charlemagne, le brassens haïtien, de qui je suis extrêmement fan. Quand j'ai contacté Mélissa, j'avais un album assez queer : des arrangements d'Owen Palett, un duo avec Mika, un visuel de Pierre et Gilles. Je me suis dit "tiens ça va être bien d'avoir une fille hétéro sur le disque". Et puis j'ai découvert qu'elle n'était pas hétéro ! (rires)

Tes orchestrations sont très cinématographiques,  avec un côté grande chanson française qui rappelle parfois Aznavour... C'est un retour en arrière ? 

Un retour en arrière je ne sais pas, mais en tout cas, c'est un classicisme assumé. Je ne comprends rien à la culture urbaine, j'ai une façon d'écrire assez surannée, et je suis obsédé par la pop. Déjà, je vais les ressortir tous les ans ces morceaux, comme Mariah Carey, donc il faut quelque chose qui vieillisse bien ! (rires) Et je voulais écrire des nouveaux classiques, m'incruster dans le patrimoine. Les chansons de Noël ont tellement été reprises qu'elles en deviennent horribles. La consécration ultime, ce sera d'entendre ces chansons là massacrées. 

Par Antoine Patinet le 20/11/2020