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NetflixPrivés de perspectives et d'entourage : après un an de pandémie, les jeunes LGBT+ à bout de souffle

Par Nicolas Scheffer le 24/02/2021
jeunes

Depuis le début des mesures sanitaires pour endiguer le Covid-19, les jeunes souffrent. Lorsqu'ils sont LGBT+ ces nouveaux adultes sont d'autant plus touchés par la précarité. Et les solutions du gouvernement semblent bien insuffisantes pour y faire face.

"Au début de la pandémie, j'avais le sentiment que c'était un peu les vacances. J'étais à la maison, j'avais du temps pour moi. Maintenant, c'est devenu l'enfer : je tourne en rond. Mes parents ne comprennent pas que je ne supporte pas de perdre les meilleures années de ma vie. Et les souvenirs que je ne me fais pas maintenant, je ne me les ferai jamais à un autre moment. Au lieu de ça, je dors, j'étudie, je m'ennuie", regrette Miléna à 21 ans.

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Du spleen au mal être profond, les jeunes LGBTQI+ vivent mal, depuis le début de la pandémie. Pendant le premier confinement, le nombre de jeunes chassés de chez eux est monté en flèche. La Dilcrah a financé plus de 1.300 nuitées pour les accueillir. Entre l'obligation d'être confiné avec des personnes pas toujours bienveillantes et la quasi-impossibilité d'avoir des espaces de décompression, au mieux, on a le moral dans les chaussettes. Mais de nombreux jeunes sont tombés dans la précarité, faute de pouvoir trouver un petit boulot. Pour couronner le tout, ils sont régulièrement accusés de tous les maux, et notamment de propager le Covid à coup de fêtes clandestines.

Aucune perspective

"Le premier confinement a été une catastrophe. Je n'avais aucune perspective. Cette incertitude était épuisante à la longue. J'aime bien parfois être dans ma bulle et être tout seul, mais j'ai besoin de décider pour combien de temps", regrette Grégoire, en troisième année de licence à La-Roche-sur-Yon. En temps ordinaire, il aime sortir en boite, "maquillé et en talons" avec ses amis. Désormais, il reste à la maison avec ses collocs à regarder Netflix. Sa fac a rouvert un mois et demi en septembre. Depuis, il n'a pas revu ses camarades, si ce n'est sur le chat de la visio.

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Dans sa team de coloc, il était le seul à avoir une vie sexuelle. Mais son expérience s'est arrêtée rapidement. "Pendant le premier confinement, mes collocs m'ont demandé de ne pas faire de plan cul pour ne pas rapporter le Covid. Pendant le déconfinement, j'ai eu un date et j'ai été cas contact alors... je me suis rapidement arrêté", rapporte-t-il, déçu. Alexandre, un jeune originaire de Montpellier regrette que sa vie gay se soit arrêtée d'un coup. "C'est quand on a 20 ans qu'on construit notre identité et nos repères, qu'on expérimente des choses. J'ai le sentiment d'avoir tout mis entre parenthèses. C'est pas sur Zoom que tu rencontres de nouvelles personnes. Or, c'est maintenant que se font les amitiés les plus solides", se lamente cet étudiant en lettres

Pas que les étudiants

"Ne pas avoir de perspective et ne rien pouvoir faire pour y remédier, c'est la déprime", renchérit Hugo, un strasbourgeois qui a récemment déménagé à Paris. Lorsqu'il a démissionné de sa boîte pour habiter avec son copain, son entreprise était bien contente de payer un salaire de moins. "Depuis, c'est la galère !". "Pour les jeunes LGBTQI+, la situation est encore plus précaire qu'en dehors du confinement", pointe Luc Duponcel, délégué à la jeunesse auprès de l'Inter-LGBT. "Dans l'accès à l'emploi, les jeunes LGBTQI+ sont plus régulièrement discriminés", dit le militant.

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Le gouvernement a annoncé des mesures à destination des étudiants sans cibler les jeunes travailleurs : un dispositif pour que les jeunes puissent entrer en apprentissage plus facilement, un bonus de 150 euros pour les APL des boursiers qui pourrait être renouvelé, des repas à un euro au CROUS ou encore des consultations gratuites chez des psy. Mais "la situation ne concerne pas seulement les étudiants. Quand on est diplômé et qu'on déprime parce qu'on n'arrive pas à trouver un premier job, on n'a pas accès au chèque psy ou au repas à un euro du Crous", déplore Omar Didi, président du MAG jeunes LGBT.

Une politique spécifique

"Le gouvernement fait comme s'il n'y avait pas de problème spécifique aux personnes LGBTQI+. Il ne se rend pas compte qu'être LGBTQI+ dans cette situation, c'est encore pire or, il faut une politique spécifique !", s'agace Luc Duponcel. Le militant souligne qu'être cloitré avec une famille fermée d'esprit, l'augmentation du harcèlement en ligne, les difficultés pour rencontrer des personnes ressources, renforcent une situation déjà peu enviable. L'Inter-LGBT et le MAG jeunes rappellent la difficulté pour les assos d'aller chercher ces jeunes en difficultés.

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"En physique, nos permanences sont limitées à huit personnes. Alors, beaucoup de jeunes ne viennent pas 'pour laisser leur place'", regrette Omar Didi. "Les associations sont à la fois sur-sollicitées et à la fois pas assez, note Luc Duponcel. Les associations font des distributions alimentaires, mais les jeunes ne savent pas nécessairement qu'ils peuvent faire appel à nous. C'est l'État qui devrait faire ce travail."

Pas de sas de décompression

Sarah, une jeune pansexuelle de 21 ans a fait son coming out à sa mère lors du premier confinement. "Je me suis sentie libérée. Mais très seule une fois que je l'avais fait. J'avais besoin de la présence de mes ami·e·s pour m'accompagner dans ce moment unique de ma vie", souffle-t-elle. Jusqu'à il y a un an, Hugo allait en boîte gay "toutes les semaines, pour décompresser", assure-t-il. "Pendant le confinement du printemps, l'apéro Zoom, c'était un rituel. Mais ça s'est perdu, maintenant que la situation est ultra anxiogène. Du coup, on garde tout pour nous". Il n'attend qu'une chose "retrouver [sa] vie d'avant".

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"Il faut absolument prendre des mesures d'aide psychologique et d'aide pour palier la précarité des jeunes LGBT+", exhorte Luc Duponcel. Le militant, lui même en recherche d'emploi depuis qu'il est diplômé, regrette qu'aucune étude ne soit menée sur les difficultés des personnes LGBTQI+ en particulier. "L'État se défausse de sa responsabilité en ne cherchant pas à quantifier le problème".

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Omar Didi regrette lui, de devoir égrainer le nom de jeunes, notamment transgenres, qui se sont donné la mort depuis le début de la pandémie. Doona, étudiante transgenre à la fac de Montpellier s'est donnée la mort début septembre. À Lille, le suicide d'une lycéenne trans de 17 ans a particulièrement ému. Nicolas, un jordanien transgenre de 27 ans a mis fin à ses jours au Havre. Guillaume, initiateur du mouvement MeTooGay, a été retrouvé mort, dans sa chambre étudiante...