élection présidentielleLégalisation d'une GPA éthique en France : la décevante confusion de Taubira

Par Thomas Vampouille le 25/01/2022
Christiane Taubira a été interrogée dans "C à vous" sur la GPA

Interrogée sur son programme dans C à vous, Christiane Taubira a livré sur un sujet où elle était spécialement attendue, l'éventuelle légalisation en France de la gestation pour autrui (GPA), une réponse négative s'appuyant sur une analyse… hors sujet.

Les personnes, et elles sont nombreuses, qui comptaient sur l'irruption de Christiane Taubira dans la campagne présidentielle pour élever le niveau des conversations sur les dossiers LGBTQI+, en seront ici pour leurs frais. Invitée ce lundi 24 janvier dans l'émission C à vous, sur France 5, la candidate à la primaire populaire a développé sur la gestation pour autrui (GPA) une réponse à côté de la plaque.

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À sa décharge, précisons-le d'emblée : la question est la toute dernière d'une émission de 52 minutes (voir le replay ici). Une minute avant le générique de fin, donc, celle qui a laissé son nom à la loi sur le mariage pour tous s'entend demander ceci : "Quelle est votre position sur la GPA, la gestation pour autrui, aujourd'hui ?" L'ancienne garde des Sceaux commence par rappeler un fait : "La gestation pour autrui, très clairement, est interdite dans notre Code civil". Certes, d'où l'interrogation sur son programme. "Pour ma part, je sais que c'est un sujet extrêmement lourd", enchaîne la candidate. Bien entendu, c'est pourquoi ce débat nécessite du temps – qu'elle n'a pas ici – et du respect, dont elle fait preuve en prenant cette autre précaution : "Je fais très attention à ce que je dis, simplement parce qu'il y a des enfants qui sont nés de GPA et que je ne voudrais pas qu'un quart de virgule de mon propos soit vécu comme une agression contre ces enfants".

"GPA de solidarité" vs "commerce de gestation pour autrui"

Dont acte repetita pour le respect des familles concernées, sauf que le débat sur la GPA requiert aussi de la précision. Or, c'est là que le bât blesse… Christiane Taubira est pourtant bien placée pour savoir que la GPA est utilisée depuis 2012 par la Manif pour tous (LMPT) dans son opposition à toute ouverture de droits aux personnes LGBTQI+, ce qu'elle rappelle à juste titre : "À l'époque [du débat sur le mariage pour tous, ndlr], d'ailleurs, le sujet avait été mis dans le débat public" par les troupes de LMPT, agitant la théorie d'une inexorable pente depuis la légalisation du mariage des homosexuels à celle de la GPA en passant par la PMA. 

Manifestement soucieuse de sortir de cette opposition stérile en donnant des gages de sérieux, Christiane Taubira prend alors soin d'effectuer une distinction entre une "GPA de solidarité" et "un commerce de gestation pour autrui". "Moi, précise-t-elle, j'entends la gestation pour autrui dans une relation qui n'est pas une relation mercantile". Cela tombe bien : c'est uniquement en ces termes qu'on peut envisager un débat sur une légalisation de la GPA en France, celle d'une GPA dite "éthique".

"Sur la GPA, gestation pour autrui autorisée et légalisée en France, non, le sujet est beaucoup plus lourd et j'allais dire que dans le rapport mercantile, je constate que ce sont des pays du Nord qui souvent sont en capacité d'aller le faire pratiquer dans des pays du Sud et que ça n'est pas un sujet anodin."

Toutes ces précautions étant posées, Anne-Elisabeth Lemoine relance : "Donc vous seriez pour une légalisation encadrée ?" Réponse de Christiane Taubira : "Non, non non, pas du tout, pas du tout, c'est un débat beaucoup plus lourd que ça, non non". Mais alors ? Le générique commence à retentir sur le plateau et la candidate n'a plus que quelques secondes pour poser dans les termes de son choix les bases d'un débat sur le sujet. Et voici ce qu'elle répond enfin : "Sur la GPA, gestation pour autrui autorisée et légalisée en France, non, le sujet est beaucoup plus lourd et j'allais dire que dans le rapport mercantile, je constate que ce sont des pays du Nord qui souvent sont en capacité d'aller le faire pratiquer dans des pays du Sud et que ça n'est pas un sujet anodin." Générique, rideau, fin.

GPA éthique : le hors-sujet de Christiane Taubira

Voici donc que près de dix ans après le débat sur le mariage pour tous, Christiane Taubira, qui en fut le fer de lance et qui connaît par ailleurs le sujet de la GPA par coeur – pour s'être occupée, quand elle était ministre de la Justice, de la reconnaissance des enfants issus d'une GPA pratiquée à l'étranger –, ouvre ce nouveau dossier par un "non" répété qui s'appuie… sur un hors-sujet. Car si l'ouverture du mariage aux couples homosexuels faisait consensus chez les personnes soucieuses de l'égalité des droits, de même que l'ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes qui relevait de l'égalité des femmes dans leur liberté à disposer de leur propre corps, la légalisation de la GPA pose des questions éthiques, voire philosophiques qui, en effet, s'accommodent mal de réponses à l'emporte-pièce.

Mais enfin, la question posée est bien celle d'une éventuelle légalisation en France. C'est-à-dire, justement, de l'encadrement d'une pratique qui a déjà cours à l'étranger selon des modalités plus ou moins éthiques, dans le but notamment d'en prévenir les dérives. Alors pourquoi orienter d'emblée le débat vers les dérives mercantiles constatées dans certains pays ? Qu'on soit in fine pour ou contre, l'un des arguments pour la légalisation de la GPA dans une démocratie mature est précisément qu'elle éviterait le recours, ailleurs, à ces systèmes. Et personne n'imagine, ni a fortiori ne propose, d'autoriser en France la GPA que Christiane Taubira qualifie de "mercantile", muleta uniquement agitée par les cendres fumantes de la Manif pour tous afin de susciter l'opposition.

Gageons que Christiane Taubira aura l'occasion dans la suite de sa campagne – si elle passe le stade de la primaire populaire dont le vote est prévu de ce jeudi 27 à ce dimanche 30 janvier – d'élaborer des arguments plus à propos sur le sujet (notamment dans une interview à TÊTU dès que la candidate le souhaitera). Reste que les bases qu'elle a posées sont décevantes.

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▶ Sur leurs programmes respectifs et notamment la GPA, retrouvez les interviews des candidats à la présidentielle réalisées par TÊTU (à ce stade) :

>> Jean-Luc Mélenchon : "Je ne crois pas à une GPA éthique et bénévole"
>> Yannick Jadot : "Il faut réfléchir aux conditions d’une GPA éthique"
>> Fabien Roussel : "Si des moyens permettent de rendre la GPA non-marchande, alors le débat doit se poursuivre"

Crédit photo : capture d'écran C à vous, France 5