Abo

cinéma"Le Bleu du caftan" de Maryam Touzani, joli récit de confusion des sentiments au Maroc

Par Florian Ques le 15/03/2023
"Le bleu du caftan"

Dans son deuxième film, Le Bleu du caftan, Maryam Touzani aborde le sujet de l'homosexualité encore largement tabou au Maroc, en explorant les dessous d'un couple secoué par l'arrivée d'un jeune apprenti. "Je crois fermement en la complexité des êtres et des émotions" : rencontre avec la réalisatrice tangéroise.

En lice dans la sélection "Un Certain Regard" du dernier festival de Cannes et pré-sélectionné aux Oscars 2023 pour représenter le Maroc, Le Bleu du caftan arrive enfin en salles ce mercredi 15 mars. Avec son deuxième long-métrage, Maryam Touzani nous invite dans l'intimité d'un couple marocain, propriétaire d'une boutique de caftans, à savoir un vêtement ample et long traditionnel dans le monde islamique. L'équilibre de leur union est chamboulé par l'embauche de Youssef, un apprenti, dont le mari, Halim, va beaucoup se rapprocher au grand dam de son épouse Mina...

À lire aussi : "Un varón" au cinéma, un cri sourd dans l'impasse du virilisme

Enfin ça, c'est surtout le premier tiers du film. Au fur et à mesure de l'histoire, les liens qui unissent ce trio inattendu gagnent en nuance et complexité. Des sentiments pluriels, parfois contraires, s'entremêlent. Ceux de Halim, tiraillé entre son allégeance à sa femme et son indomptable désir pour les hommes. Ceux de Youssef, rongé par son attirance pour son mentor. Et enfin ceux de Mina, dont la jalousie et la possessivité s'estompent pas à pas pour laisser place à de la compréhension, de la douceur et de la compassion. Le tout, bien entendu, au nom de l'amour.

Une rencontre fortuite mais décisive

"On a toujours tendance à simplifier les choses, déplore la réalisatrice du Bleu du caftan, que nous avons pu rencontrer lors d'un passage à Paris. Je crois fermement en la complexité des êtres et des émotions. J'avais envie d'explorer ça à travers Mina puisqu'elle va vivre les choses différemment et reconsidérer sa manière d'aimer. Au bout du compte, c'est la trajectoire d'un couple qui va redéfinir son amour."

La genèse du film remonte à plusieurs années, alors que Maryam Touzani effectue des repérages dans la médina de Casablanca pour les besoins d'Adam, son précédent projet. "J'y ai croisé un monsieur d'un certain âge avec qui j'ai discuté un moment, explique-t-elle. Je suis venu le voir à plusieurs reprises et j'ai ressenti fortement qu'il y avait une partie de sa vie qu'il était obligé de cacher. Quand je l'ai rencontré, il a éveillé en moi des souvenirs d'enfance : j'ai grandi à Tanger en voyant des couples de façade dont le mari était homosexuel. Les gens n'en parlaient qu'à demi-mot; c'est le genre de chose que tout le monde sait mais dont personne ne parle ouvertement."

le bleu du caftan,caftan film,film gay,film gay marocain,film maroc,maroc gay,homosexualité maroc,le bleu du caftan avis,le bleu du caftan critique,Maryam Touzani,le bleu du caftan bande-annonce

Une fois le scénario écrit, la cinéaste part en quête de ses interprètes. Lubna Azabal, excellente dans Adam et aperçue récemment en mère endeuillée dans Pour la France, s'impose comme une évidence : "Je savais de quoi elle était capable, j'admire sa quête de vérité qu'elle a lorsqu'elle incarne un personnage." Quant aux rôles masculins, il était primordial de trouver des acteurs capables de soutenir une histoire comme celle-ci au Maroc. "Ce ne sont pas des rôles anodins, reprend Maryam Touzani. Dans le cas d'Ayoub Missioui, qui joue Youssef et réside au Maroc, je voulais qu'il veuille défendre ce personnage-là. On en a beaucoup parlé ensemble en amont."

Un pas majeur pour le cinéma marocain

Dans la société marocaine, être gay ou lesbienne est toujours pénalisé. Pas plus tard qu'en 2018, quelque 170 personnes ont été arrêtées par la police pour "homosexualité". En 2020, la communauté gay du pays était visée par une campagne d'outif massif via l'usage de l'appli de rencontres gay Grindr. Aujourd'hui encore, le tabou autour de l'orientation sexuelle persiste. Malgré le statu quo juridique, la réalisatrice du Bleu du caftan est convaincue qu'un changement est en train de s'opérer dans son pays natal. Pour preuve, le film a pu recevoir une avance sur recettes du Centre cinématographique marocain, ce qui a permis de bonnes conditions de tournage.

En novembre dernier, Le Bleu du caftan a été projeté dans le cadre du festival du film de Marrakech. Présente, Maryam Touzani s'enthousiasme de voir que les retours post-visionnage ont été positifs et que des discussions commencent à éclore : "Le Maroc est un pays très complexe où plusieurs courants opposés coexistent, entre tradition et modernité. On commence à voir des personnes LGBT exister dans les médias. Je suis très optimiste : il y a de la place pour le changement et je suis convaincue qu'on peut réussir à faire bouger les lignes en utilisant l'art et le cinéma."

"Le bleu du caftan"

Avec ce second long-métrage, Maryam Touzani cimente son statut d'alliée et de porte-voix pour les individus marginalisés au sens large. "Mon moteur, c'est l'humain, c'est ce qui me passionne, appuie-t-elle. Mais je me rends bien compte au fil des années que je me retrouve à raconter des personnages qui ne sont pas visibles dans la société, qui s'effacent ou qu'on efface pour diverses raisons. Je n'aime pas l'injustice et il est évident pour moi que ces vécus doivent être racontés."

À lire aussi : "The Whale" : Brendan Fraser transformé dans ce requiem pour un gay au fond du trou

[Vidéo] La bande-annonce du Bleu du caftan :

Crédits photos : Ad Vitam