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interview"Les combats des familles homoparentales n'intéressent plus l'Inter-LGBT"

Par Nicolas Scheffer le 23/06/2023

[Interview] À la veille de la marche des Fiertés de Paris, le coprésident de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) regrette une "surenchère" dans le mot d'ordre choisi par l'Inter-LGBT, organisatrice de la Pride. Il déplore un manque de nuance contre-productif.

"Depuis 10 ans, mariage pour tous. Depuis toujours, violences pour tou·te·s", scande l'organisation de la Pride de Paris 2023. Dans un texte d'appel à la mobilisation publié ce vendredi 23 juin sur les blogs de Mediapart, l'Inter-LGBT, association organisatrice de la marche des Fiertés, explicite le mot d'ordre choisi pour cette édition : "Cette année, qui est celle des 10 ans du 'mariage pour tous', le gouvernement, les institutions, les médias, les personnalités politiques ont eu à cœur de surjouer la célébration de cet anniversaire en masquant la réalité de nos situations, de nos vies. Pire encore, notre combat pour ce droit fait l’objet d’un pinkwashing politique et médiatique méprisant qui vise à rendre invisible notre lutte pour le mariage pour tous-tes et nous en déposséder…"

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L'inter-associative vise particulièrement le gouvernement : "En empruntant sans complexe les éléments de langage et le positionnement de l’extrême droite, alors même qu’il se positionnait comme un barrage, le gouvernement tend à pousser les populations les plus exposées aux discriminations, aux violences, au VIH/sida vers une surenchère de haine, de rejet et d’inhumanité : pouvons-nous prétendre vivre en sécurité et être accepté en France aujourd’hui ?" Et de conclure : "Parce que nos luttes sont intersectionnelles elles dérangent et attisent la haine et la répression d’un gouvernement aux abois, qui montre son vrai visage en se vantant d’être plus 'vitaminé' que le R-haine".

Un discours qui se veut très offensif mais qui ne fait pas l'unanimité au sein des associations. L'APGL, association des parents et futurs parents gays et lesbiens, s'est ainsi fendue d'un communiqué envoyé aux médias, intitulé : "L'APGL participera à la marche des fiertés de Paris, mais en revendiquant plus de droits pour nos familles". Dans ce texte, l'association considère que "le choix du mot d’ordre de cette année interroge", regrettant manifestement un manque de nuance brouillant l'analyse de la société. Pour qu'il puisse expliquer ce point de vue, têtu· a contacté Dominique Boren, coprésident de l'APGL, qui regrette une "surenchère" de l'Inter-LGBT au risque d'invisibiliser certains combats, notamment ceux des familles homoparentales. Entretien.

Que pensez-vous du mot d'ordre de la Pride de Paris, ce samedi 24 juin ?

Dominique Boren : On ne s'y retrouve pas. La loi sur le mariage pour tous et ce qui a suivi sont un acquis énorme pour de nombreuses personnes, cela a été aussi un facteur important d'intégration. On vit dans un pays LGBTphobe et il faut dénoncer la violence physique à notre égard : il n'y a pas longtemps, on a encore dû aider un couple d'homme avec un enfant qui s'est fait insulter. Mais de là à s'essuyer les pieds sur les dix ans d'une des lois les plus importante de notre histoire, c'est forcer le trait.

Cela témoigne une posture de radicalisation qui s'inscrit dans une segmentation des personnes et cherche à faire toujours plus dans la surenchère. Nos combats, ceux des familles homoparentales, n'intéressent plus l'Inter-LGBT. Si on n'est pas des personnes trans radicales ou non-binaires racisé·es, on ne fait pas partie du combat. Comme s'il n'y avait pas, aussi, d'autres sujets à défendre...

Quel slogan auriez-vous choisi pour la marche des Fiertés ?

Nous n'avons pas été consultés pour ce mot d'ordre. J'aurais préféré qu'on célèbre les dix ans du mariage, pour ce que cette loi a permis et pour ce qui manque encore. Si l'on crie à l'ultra-violence du gouvernement actuel, on banalise toute critique de ce qu'il se passe, en France comme à l'étranger, et on n'est pas crédibles dans notre analyse de la société ! Ce n'est pas en tapant sur Flag! [association d'agents LGBTQI+ du ministère de l'Intérieur, ndlr] au nom d'un sentiment anti-flic que l'on fait progresser les choses. Flag! est une association formidable qui est dans la construction et la revendication légitime. D'ailleurs, en petit comité, l'Inter-LGBT le reconnaît elle-même.

Quelle sont les premières revendications de l'APGL pour cette Pride 2023 ?

Nous réclamons une grande loi de filiation inclusive qui permette à tous les parents d'élever sereinement leurs enfants, en reconnaissant tous les parents de la même manière, quel que soit le mode de conception de leur enfant, y compris la coparentalité. Et puis, nous devons être davantage solidaires avec les familles italiennes, qui subissent une véritable offensive de l'extrême droite. Pas plus tard que la semaine dernière, le procureur de Padoue a annulé 30 certificats de naissance, dont certains étaient établis depuis plusieurs années ! Les LGBTQI+ ont déjà peu de droits en Italie, mais le peu qu'ils avaient obtenu leur est retiré, avec notamment une loi qui criminalise les GPA réalisées à l'étranger.

Comment jugez-vous la politique LGBTQI+ du gouvernement d'Élisabeth Borne ?

D'un côté, un budget a été alloué aux centres LGBTQI+, les associations sont reçues, même s'il faut parfois pousser la porte, Isabelle Rome [ministre en charge de l'Égalité] se mobilise pour dénoncer les agressions contre les centres LGBTQI+, le gouvernement est sans doute le plus fourni de l'histoire en termes de représentation LGBTQI+, et la nomination d'un ambassadeur LGBTQI+, ce n'est pas gadget...

De l'autre côté, c'est brouillon et cela manque d'ambition. Je suis persuadé que les sujets LGBTQI+ n'intéressent pas Emmanuel Macron. Au sein de son gouvernement, ceux qui s'y intéressent rament pour obtenir que le service minimum soit fait. Mais il n'y a pas d'impulsion, pas de loi, pas de projet. Le plan de lutte contre les LGBTphobies devait être présenté à l'occasion du 17 mai, puis pour le mois des Fiertés, il est désormais annoncé pour le 6 juillet… Le ministre de l'Éducation pourrait être beaucoup plus ambitieux sur la question du harcèlement scolaire. D'une manière globale, la réponse n'est pas à la hauteur des enjeux.

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Crédit photo : Flickr/Rennes-Marche des fiertés 2018