[Édito du magazine têtu· à retrouver chez vos marchands de journaux] La visibilité LGBT+ est essentielle à l'avancée et à la préservation de nos droits. Mais il semble aussi nécessaire de rappeler que derrière notre drapeau fièrement brandi, le coming out reste une démarche personnelle et que nul gay, nulle lesbienne, nulle personne trans ne saurait se voir individuellement reprocher, même par la communauté, d'être out ou bien de ne l'être pas.
"Mon coming out est un non-événement." Cette affirmation de Bertrand Delanoë était évidemment fausse en 1998, quand le futur maire de Paris décida de révéler au grand public son homosexualité. Un quart de siècle plus tard, quand la secrétaire d’État à la Jeunesse d’Élisabeth Borne se lance à son tour, ce printemps, c’est en passant, au détour d’une interview au magazine économique Forbes. À une question sur les vagues haineuses qui font désormais le quotidien des réseaux sociaux, Sarah El Haïry répond simplement : "Quand ma famille ou ma compagne sont touchées, oui, ça me fait de la peine." Par la grâce d’un déterminant genré, voilà fait son coming out médiatique. Et c’est, en effet, un non-événement.
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Il en a été tout autre, quelques semaines plus tôt, de celui de son collègue Olivier Dussopt. Élu en 2007 député de l’Ardèche, il avait choisi à l’époque de ne pas dire son homosexualité dans les médias. Il représentait une circonscription rurale reprise à la droite, Nicolas Sarkozy venait d’être élu président, et les homos auraient encore à attendre plus d’un quinquennat avant que la République daigne leur ouvrir l’accès au mariage. Depuis lors, le député est devenu ministre du Travail, et c’est à ce titre que nous sommes allés l’interroger sur la réforme des retraites, fin mars, une fois celle-ci passée aux mains du Conseil constitutionnel. Mais en lui donnant l’occasion d’officialiser son orientation sexuelle, que n’avions-nous pas fait… Au concert habituel des réacs masquant mal leur homophobie derrière l’air du "on s’en fout c’est de la vie privé", bien connu dès le coming out de Bertrand Delanoë, se sont jointes – c’est inédit – des voix venues de la communauté LGBTQI+.
Out si je veux, quand je veux !
Leur reproche : têtu· aurait participé à une "opération de propagande", de "diversion" et même de "pinkwashing", faisant de ses journalistes des "nervis de Macron". Bigre ! Et qu’importe si l’interview avait bien pour objet les critiques adressées à la réforme des retraites et que son titre – "Nous aurons peut-être à réutiliser le 49-3" – n’était guère de nature à démobiliser les opposants à la réforme… "Chiens du capital", nous lança un twittos, un autre décrétant "l’interview de la honte" tandis qu’un troisième nous reprochait même "l’effet kiss cool de provoquer des propos homophobes contre le ministre" – on aura tout vu. Jusqu’à l’estocade portée par la députée EELV Sandrine Rousseau sur le plateau de BFMTV : "Vraiment nous méritons mieux que Pif Gadget, Playboy et têtu·."
Trierons-nous, à la fin, les bons coming out et les mauvais ? Et qui tranchera, d’ailleurs ?
De fait, en choisissant de ne retenir de l’interview que ce point, ce sont bien eux qui ont créé la diversion qu’ils dénonçaient. Et il leur appartient de penser que l’homosexualité d’un ministre lui confère un totem d’immunité, ou qu’elle puisse faire changer d’avis les électeurs gays. Suivant le même raisonnement, Sarah El Haïry aurait-elle dû, pour ne pas se voir accuser de tentative d’enfumage, user d’une formule épicène masquant le genre de la personne qui partage sa vie ? Évidemment, non.
Cette nouveauté consistant à dénoncer un coming out selon l’orientation politique de son sujet est une bien mauvaise pente. Car qu’y a-t-il au bout ? Trierons-nous, à la fin, les bons coming out et les mauvais ? Et qui tranchera, d’ailleurs ? Ironie de l’histoire, on a entendu parfois les mêmes reprocher à Élisabeth Borne, sur la base d’une rumeur qu’elle a démentie l’été dernier auprès de têtu·, de ne pas faire son coming out… Le faire ou pas, et à quel moment, telle est la question pour toute personne queer, et même plusieurs fois par vie. La démarche étant à la fois politique et éminemment intime, nul ne peut individuellement se voir reprocher d’être out, ou au contraire de ne l’être pas. Aussi rappelons-le en cette saison des Prides : le coming out, en politique comme dans toute vie, c’est si je veux, quand je veux !
Crédit photo : AFP/Getty Images