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magazinePartir en vacances solo, le bon plan à la rencontre de soi et des autres

Par Laure Dasinieres le 27/07/2023
Photo Elie Villette

[Article à retrouver dans le magazine têtu· disponible en kiosque tout l'été, ou sur abonnement] Vous ne savez pas avec qui partir pour vos vacances d'été ? Et si vous vous motiviez pour un petit road trip en solitaire ? Croyez-nous, il y a de bons côtés à prendre le large, seul·e, à la découverte de nouveaux horizons.

Sur la plage, allongé. Seul. Au restaurant, attablé. Seul. Au musée, admirant. Seul. Ennui, morosité, solitude. Voilà comment beaucoup envisagent un voyage en solo, comme une longue attente angoissante d’un contact humain – pourquoi s’infliger ça ? Mais dans un mouvement parallèle, on se prend à envier les photos paradisiaques que postent sur les réseaux sociaux des voyageurs partis à l’autre bout du monde, avec pour seule compagnie un Kerouac dans le sac à dos. L’été arrive, l’été est là, alors la question se pose : où allez-vous passer vos vacances ? Mais surtout, avec qui ? D’ailleurs, avez-vous même quelqu’un avec qui partir ? Et peut-on réellement choisir de voyager solo sans passer pour un gros loser que personne ne supporte ?

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Pourtant, “quand on fait le choix de partir seul, c’est que l’on n’est pas vraiment seul dans la vie de tous les jours”, affirme Olivier Remaud, philosophe et auteur de Solitude volontaire. Oui, si l’on souhaite être alone, c’est justement parce que l’on n’est pas lonely, que l’on considère que “l’enfer, c’est les autres” et qu’un voyage sans personne fera - littéralement – des vacances. Car les voyageurs solitaires apprécient en premier lieu cet affranchissement des habituelles contraintes du couple, de la famille ou du groupe d’amis. “Lors de mon séjour solo en Andalousie, j’ai pu faire ce que je voulais quand je voulais, à commencer par flâner et prendre des photos parfois pendant des heures. J’ai pu le faire à mon rythme sans me préoccuper d’autrui”, raconte ainsi Alexandra, 35 ans.

N'être que soi, les vraies vacances

“J’ai apprécié pouvoir marcher toute la journée sans contraindre quiconque à me suivre, abonde Philippe. Et puis, quelle détente de n’avoir à interagir avec personne…” On trouve une forme de sérénité, d’état méditatif, comme un monastère extérieur. Les vacances, après tout, sont faites pour se reposer. “Il s’agit de faire un pas de côté, de s’éloigner un temps pour mieux revenir, retrouver les gens que l’on aime et se sentir capable de se confronter à ceux avec qui l’on a des choses à régler, explique Olivier Remaud. Il y a aussi une forme de stoïcisme dans le voyage en solo, c’est un moyen d’accepter ce qui nous arrive, ou nous est arrivé, pour mieux reprendre ensuite le cours de sa vie.”

Partir seul, c’est toujours aussi un peu un challenge sur soi-même : vais-je tenir ? Que faire ? Dans quel état j’erre ? Ce qui se passe pendant votre aventure reste entre vous et vous-même. Vous décidez où, quand, comment, pourquoi, avec qui. “Mon voyage m’a permis de réaliser que je sais faire les choses seule quand j’en ai envie”, rapporte Alexandra. Après l’Andalousie, elle est donc partie en Écosse poursuivre son postdoctorat. Les vacances seules sont une occasion unique de sortir de sa zone de confort, de découvrir de nouvelles choses : depuis le tofu fermenté taïwanais jusqu’à une plage nudiste. Combien d’entre nous ont profité d’un de ces moments de liberté pour pousser pour la première fois la porte d’une backroom, ou même d’un bar gay ? “Ce sentiment structurant qu’est celui de n’être que soi, de vivre dans l’intimité de son propre univers, permet de s’ouvrir à l’autre de manière plus libre, plus authentique, plus empathique. Une fois que vous êtes partie, le voyage contribue lui aussi à faire de vous un être composite et unique”, écrit la journaliste Lucie Azema dans Les femmes sont aussi du voyage.

Vous ne serez plus le même à votre retour : vous serez reposé, certes, mais surtout vous aurez osé. De timoré, on vous redécouvrira téméraire ; casanier au départ, aventureux au retour ; dépressif et blafard, vous reviendrez croquant la vie et bronzé. Et si vous êtes désespérément seul dans votre vie de tous les jours, des vacances solo seront le meilleur moyen de vous décoincer à ce niveau : on n’est jamais vraiment seul en voyage. Alors, évidemment, il faut bien choisir sa destination. Sans essentialiser les populations locales, il est bien plus facile de faire des rencontres sur les plages brésiliennes que dans les forêts du Grand Nord canadien. “La première fois que je suis parti seul sur l’île du Levant, j’étais un peu paniqué, se souvient Jean-Marc, 40 ans. Les deux premiers soirs, je n’ai même pas osé aller au resto. Puis je me suis finalement lancé, j’ai participé à des activités, et je suis même sorti le soir. J’ai appris à vraiment apprécier de n’avoir personne dans les pattes. Et surtout, je me suis vraiment reposé.”

Le voyage ou la possibilité des autres

La première fois, il va falloir se forcer un peu, c’est sûr. Accepter l’imprévu, ça ne s’apprend pas, ça vient naturellement, à condition de tirer un trait sur le confort d’une vie plan-plan. Privilégiez l’auberge de jeunesse à l’hôtel ou au Airbnb, par exemple. “J’ai rencontré une nana dans l’auberge de jeunesse où je séjournais, raconte ainsi Alexandra. Nous avons fait quelques activités ensemble comme des balades à vélo ou une soirée flamenco, où je ne serais pas allée seule.” Après une rupture compliquée, Flo, 32 ans, est parti en road trip dans le sud de la France : “J’avais besoin de me prouver que j’étais capable de nouer du lien avec des inconnus et d’improviser. Dans une gare, je me suis mis à jouer d’un piano en libre-service, et une jeune femme est venue me parler. Elle était de Marseille et m’a proposé de dormir chez elle quand j’y passerais. Alors j’ai modifié mon voyage. Quand tu es seul, tu improvises, et il en découle des situations pas banales. Je voulais que les gens fassent partie de mon voyage, mais que ce soit moi qui crée l’échange, qu’il m’appartienne de l’engager ou non.”

“C’est tout de même assez rare de ne rencontrer vraiment personne, signale Olivier Remaud. On part aussi pour rencontrer des gens, mais lorsqu’il y a rencontre, on garde toujours la volonté de s’éloigner, de rester maître de son voyage.” En outre, les LGBTQI+ souhaitant voir du monde peuvent compter sur la communauté pour échanger, partager des bons plans ou trouver des safe places. “Quand tu es pédé et célibataire, tu as le réflexe des applications de rencontres, note Romain, 33 ans. Même si l’on ne se rencontre pas IRL, on discute, et ça permet d’apprendre des choses sur la ville et les coins sympas où aller.” Certains mecs acceptent aussi de faire visiter leur quartier, sensibles à l’idée d’échanger avec des gens intéressés par leurs lieux de vie. Thibault, 39 ans, qui a appris dans la trentaine à voyager seul, garde ainsi de très bons souvenirs des rencontres qu’il a faites. “Il y a tout de même pas mal de locaux sympas qui acceptent de boire un coup sans trop ­d’arrière-pensées. Mais aussi d’autres voyageurs, seuls, qui peuvent momentanément chercher de la compagnie. D’ailleurs, il m’est arrivé de finir mes vacances avec quelqu’un. Ce n’était pas le but, mais qui peut dire non à un amour de vacances ?” ·

Illustration : photographie d'Elie Villette

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