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Nos villes queersSuper Hérault queer : Montpellier n'a pas dit son dernier mot

Par Tom Umbdenstock le 21/07/2023
Montpellier

[Article à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, en kiosque ou sur abonnement] Dix ans après avoir été élue ville la plus LGBT-friendly de France, et accueilli le premier mariage légal d'un couple homosexuel, Montpellier a connu une période de doutes et de fermetures de lieux, mais la communauté, rajeunie et transformée, a tenu le cap.

Sur la place du Marché-aux-Fleurs, dans le centre historique de Montpellier, les membres de Rando’s Midi sont attablés au café Au Loup pour leur rendez-vous hebdomadaire – à l’intérieur, car le sud s’est réveillé sous la pluie en ce jeudi matin. Fondé en 1988, le club de randonnées LGBTQI+ a été témoin des évolutions de la ville qui, en 2012, a été primée par les lecteurs de têtu· pour son ambiance, ses associations, sa sécurité et ses commerces accueillants. Selon eux, Montpellier était alors la ville la plus friendly de France.

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La Pride de Montpellier a toujours été très populaire, pointe Bernard, 69 ans, qui s’est installé dans la préfecture de l’Hérault après qu’un ami lui a vanté la bonne réputation LGBTQI+ de la ville. Le premier mariage entre deux hommes a été célébré ici le 29 mai 2013, il y a tout juste dix ans. On venait de toute la France pour profiter de son atmosphère friendly. Le spot, à l’époque, c’était le Café de la mer. Un Parisien gay de passage y allait forcément.” Ce qui ne semble malheureusement plus être le cas depuis un changement de propriétaire.

La Villa rouge, un des lieux perdus mythiques

Les randonneurs – ce matin-là, tous retraités – dénombrent les lieux nocturnes qu’ils ont vus disparaître : Le Rome Club, Le Maxximum, le Phébus, le Pam, l’Azura… Certains ont d’ailleurs rendu les clés bien avant les années 2010. Mais les disparitions successives de la Villa Rouge et du Cubix, en 2017, puis du Heaven, en 2018, ont marqué les esprits. “Montpellier n’est plus la ville gay d’autrefois, note Vincent, 44 ans, référent yoga du Chemin des Cimes, association multisport LGBTQI+. Par exemple, les Marseillais venaient ici pour les soirées mythiques de la Villa rouge.” Jeff, un yoguiste de 52 ans, se désole : “En termes de lieux gays, il n’y a plus rien. Donc je viens au sport pour compenser.”

“Montpellier fut une des villes françaises les plus en pointe sur les droits LGBTQI+. À l’époque, ça dénotait avec le climat d’intolérance qui pouvait exister dans le pays.”

Mais le monde de la nuit n’est pas le seul à avoir décliné cette dernière décennie. En 2014, le départ de la maire Hélène Mandroux a privé la commu d’une alliée de poids. Avant d’unir officiellement le premier couple homosexuel, l’élue avait célébré un mariage symbolique en 2011 et lancé un appel des maires “pour l’ouverture du mariage aux couples du même sexe”. “Montpellier fut une des villes françaises les plus en pointe sur les droits LGBTQI+, note Michaël Delafosse, premier édile depuis 2020, et ancien adjoint d’Hélène Mandroux. À l’époque, ça dénotait avec le climat d’intolérance qui pouvait exister dans le pays.” Si le milieu associatif salue globalement le soutien qui leur est apporté, des critiques se font toutefois entendre, qui reprochent à l’équipe municipale de privilégier la communication à l’action.

Fiertés Montpellier Pride, Chemin des cimes, Le Refuge…

Boulevard Pasteur, le long d’une voie de tram, Fiertés Montpellier Pride tient sa permanence ce samedi après-midi. Dans le fond de la pièce, où se rencontrent les gens de passage, Alec, vice-­président de 23 ans, s’applique sur une toile où il borde l’œil du président turc, Recep Tayyip Erdoğan, de couleurs arc-en-ciel. “C’est pour le clip de la Pride !” explique-t-il, avant de relever, résilient : “Avec nos dettes, le défilé est moins spectaculaire qu’avant. Mais on se concentre sur la semaine de la Pride.” En juillet 2016, l’annulation de la manifestation et d’une soirée caritative après les attentats de Nice a sévèrement endetté l’association. Et sept ans plus tard, les finances ne sont toujours pas au beau fixe, de nouveau mises à mal par la période covid. Olivier, le président de l’asso, 46 ans, chemise violette et veste de costume où sont clipsés des badges “Montpellier Pride”, s’installe sur un canapé où il développe ses initiatives pour remplir les caisses : faire payer un forfait pour leurs chars à la ville et à la région, faire passer l’adhésion de 61 à 1. 000 euros pour les grosses entreprises.

Malgré les difficultés, le tissu associatif montpelliérain n’a pas totalement baissé les bras. Dans un bar sportif où est diffusé un match de foot, sirotant une Guinness, Yann, le président de Chemin des Cimes, note que le nombre d’adhérents a doublé ces cinq dernières années : “Notre organisation facilite l’intégration. Pas mal d’habitants de la ville nous ont rejoints. Le public se rajeunit et se féminise.” Et quand des supporters ont déroulé une banderole homophobe en janvier, Chemin des Cimes n’a pas manqué de se mobiliser : “C’est la première fois depuis très longtemps qu’on a décidé de faire un communiqué de presse pour dénoncer les propos homophobes”, souligne le quadragénaire.

“Le réseau associatif local, que ce soit Fierté Montpellier Pride ou Chemin des cimes, nous a apporté son soutien lorsqu’on a dû revoir notre organisation de fond en comble. C’était rassurant dans cette période de crise.”

Ali, délégué départemental bénévole du Refuge à Montpellier

Au nord du quartier Antigone, le long d’une trois-voies, Ali, 31 ans, ouvre une porte qui brosse au sol un paillasson arc-en-ciel de la permanence du Refuge, association née à Montpellier en 2003. Arrivé après la crise de 2021, qui a vu la démission de la direction de la fondation et le dépôt de plusieurs plaintes, le délégué départemental bénévole raconte : “Le réseau associatif local, que ce soit Fierté Montpellier Pride ou Chemin des cimes, nous a apporté son soutien lorsqu’on a dû revoir notre organisation de fond en comble. C’était rassurant dans cette période de crise.” L’hébergement des jeunes LGBTQI+ est désormais encadré par des professionnels, et les usagers disposent même de chambres individuelles. Autre preuve de la vitalité associative de la ville, le Spot Montpellier, un centre de santé sexuelle avec une approche communautaire géré par l’association Aides, a ouvert ses portes en 2021.

"Avant, la France entière venait ici pour faire la fête à la Villa rouge. Mais depuis le mariage pour tous, les personnes LGBTQI+ peuvent aller où elles veulent.”

Au légendaire Coxx, bar LGBTQI+ situé dans le centre-ville, on a rendez-vous avec le patron, Tom, 57 ans. Il a vu Montpellier, ses nuits et la communauté évoluer ces dernières décennies. Selon lui, “avant, la France entière venait ici pour faire la fête à la Villa rouge. Mais depuis le mariage pour tous, les personnes LGBTQI+ peuvent aller où elles veulent.” Une partie de la commu se serait donc retirée, laissant la place à des lieux queers aux combats actuels, en lien avec les questions féministes ou touchant à la transidentité.

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De nouveaux lieux queers

Prenant le relais du monde LGBTQI+ old fashion, ces lieux – souvent aussi de simples événements – ont donc fait leur apparition à Montpellier, comme un peu partout en France. Ainsi, le collectif MartinE organise des soirées et milite en organisant des vidéo–projections ou en produisant des podcasts depuis 2014. “Il y a dix ans, tous les week-ends, c’était manif pour le mariage, observe Cindy, 30 ans, membre du collectif. On n’abordait pas la non-binarité ni le vécu des personnes queers. Aujourd’hui, on s’est enfin emparé de ces problématiques.”

Depuis 2018, l’association Support your local girl gang organise des soirées drag kings, clubbing ou encore Pimp my queer. "On essaye de mettre en avant des artistes queers en donnant la priorité à des personnes racisées", détaille Emeraldia, 43 ans, qui a fondé l’association à son retour à Montpellier il y a quatre ans.

“Avant, c’était un bar métal. Mais quand mon associée, Sabrina, a fait sa transition, les métalleux ont mal réagi. Donc il y a deux ans, on est devenu un bar queer."

Caroline, cofondatrice du Mercury

Ainsi, dans le creux de la vague, une nouvelle génération s’est fait sa place. Le Mercury affiche la couleur : "Bar queer." Avec, sur la vitrine : “La lesbophobie nuit gravement à la santé.” On y passe volontiers “Foufoune” de Mara ou encore Ascendant Vierge. Samedi soir, on y retrouve une des fondatrices, Caroline, 45 ans, derrière le comptoir : “Avant, c’était un bar métal. Mais quand mon associée, Sabrina, a fait sa transition, les métalleux ont mal réagi. Donc il y a deux ans, on est devenu un bar queer. Je me demande parfois si je ne suis pas la seule cis dans le lieu… Même si je n’ai pas l’impression qu’il y ait plus de LGBTQI+ à Montpellier que dans le reste de la France.” Sa source ? “On appelle ça le queerdard”, dit-elle en riant. “Les nuits LGBTQI+ reviennent, mais différemment”, note tout de même Sabrina.

Ouvert en mars 2020, le Madrediosa attire quant à lui beaucoup de lesbiennes. “Mais je ne préfère pas étiqueter ainsi le bar, parce que j’ai beaucoup de client·es non-binaires, explique Sam, 45 ans, sa propriétaire. Elle réajuste son bonnet et vérifie la playlist du karaoké en cours : les L5, Diams, Sexy Sushi. Sur la terrasse, Nathan, 27 ans, pastis à la main, grandes lunettes dorées, col mao et cheveux bouclés, nous présente son bar associatif queer et féministe, Ultraviolette, qui recherche un local pour des “événements culturels autour des minorités de genre”.

De son côté, La Tireuse, avec sa déco Belzébuth et flûte de pan, a ouvert en juin 2022 près de la place du Marché-aux-fleurs. “Avant, c’était la place gay de Montpellier, explique le patron, David, 31 ans. La Pride finissait ici. J’ai tenu à ouvrir un bar gay à côté parce que je voulais lui redonner sa ferveur d’antan”, ambitionne le jeune homme, chemise à carreaux et cheveux soulevés par le gel. En 2013, portées par le mouvement pour le mariage pour tous, 23.000 personnes défilaient pour la Pride. Si la marche de 2022 est redescendue à 15.000 personnes, la vitalité est toujours là ! ·

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Crédit photo : Christian VDZ / Unsplash