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GPA"C’est la clandestinité qui fait la précarité" : paroles de femmes porteuses

Par Nicolas Scheffer le 14/12/2023
GPA : la parole aux femmes porteuses

[Article à lire dans le dossier spécial GPA du têtu· de l'hiver] Des GPA clandestines se pratiquent en France. En l’absence de cadre légal, elles se passent plus ou moins bien. Deux femmes volontaires ont accepté de partager leurs expériences très différentes.

Sarah, 48 ans, Bretagne

Puisque la gestation pour autrui (GPA) est interdite en France, plusieurs centaines de couples – homos comme hétéros – se rendent à l’étranger chaque année pour trouver une femme porteuse qui leur permettra de fonder une famille. Mais la GPA se pratique aussi parfois de façon illégale sur le territoire français. L’absence d’encadrement peut alors conduire à des situations difficiles, voire dangereuses tant pour les femmes porteuses que pour les familles. 

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“C’est la clandestinité qui fait la précarité”, résume Sarah (le prénom a été changé), 48 ans, qui a accepté au milieu des années 2000, après avoir fait deux enfants, d’en porter trois pour d’autres couples, un homo et deux hétéros. Pour ces naissances, elle a demandé une compensation de 200 euros par mois de grossesse, et 10.000 euros pour le service. Mais réfute l’avoir fait pour l’argent : “On m’a dit que je vendais des enfants, ce qui est totalement faux. Si j’avais voulu me faire de l’argent, il y a des moyens plus simples ! s’agace-t-elle. C’était une forme de reconnaissance de la part des couples.” Le Code civil interdisant toute forme de contrat portant sur une GPA, ces transactions se sont réalisées sans aucun cadre légal. “Avec les familles que j’ai aidées, tout reposait sur la confiance, observe-t-elle en le déplorant. C’est important de savoir à quoi s’attendre, et que chacun dise à quoi il s’engage. La situation est déjà suffisamment difficile comme cela sans qu’on rajoute de l’incompréhension.” 

Clandestinité

Dans le cadre d’une GPA clandestine, il est possible de réaliser un parcours de PMA à l’étranger, avec les gamètes d’un donneur, mais Sarah a préféré pour les trois grossesses une insémination “artisanale”, en s’insérant elle-même le sperme à l’aide d’une pipette. Par conséquent, les ovocytes utilisés étaient les siens, et non ceux d’une donneuse, comme dans une GPA. “Ça m’était égal, précise-t-elle. Ce qui m’importait, c’était la manière dont le couple voyait l’éducation de l’enfant, d’où venait leur désir de paternité.” Les experts du sujet s’accordent néanmoins à préconiser le recours à un don d’ovocytes, qui permet de mieux dissocier la gestation de la maternité. Pratique impossible en France dans le cadre d’une GPA dissimulée.

“Je sais très bien que je ne suis pas sa mère, ce rôle n’est pas le mien.”

La clandestinité oblige à mettre au point des stratagèmes pour que l’enfant né d’une GPA soit officiellement celui de ses parents. Si la femme porteuse accouche sous X, les parents peuvent être poursuivis pour “incitation à l’abandon ou à l’adoption d’enfant”, et risquent six mois de prison. La première GPA de Sarah était pour un couple gay, près de dix ans avant l’autorisation de l’adoption par les couples homos : il était alors impossible pour les deux hommes d’être officiellement pères. Sarah a donc reconnu le petit garçon. Avec le recul, elle aurait préféré ne pas apparaître aussi directement : “Je sais très bien que je ne suis pas sa mère, ce rôle n’est pas le mien”, insiste-t-elle. De plus, cet enfant, du fait de cette filiation administrative, pourra hériter d’elle, à égalité avec les siens.

Un couple homo, deux hétéros

Pour les GPA suivantes, Sarah a souhaité venir en aide à des couples hétéros infertiles. Cette fois, au lieu de reconnaître l’enfant, elle utilise les documents d’identité des futures mères, se faisant passer pour elles auprès des soignants et de la Sécurité sociale, ce qui la pousse pendant neuf mois à éviter de consulter son médecin traitant, qui évidemment la connaît. Après son dernier accouchement, le nouveau-né a souffert d’une affection plutôt anodine, mais qui nécessitait une surveillance à l’hôpital : “C’était très difficile pour la mère. Alors que son enfant était sous couveuse, branché à des électrodes, elle devait cacher son anxiété et se faire passer pour sa tante”, se remémore Sarah.

Si elle a décidé que sa troisième GPA serait la dernière, c’est moins pour une raison physiologique qu’à cause de l’épais mensonge qui entoure ces gestations. “Après mon accouchement, à l’école de mes enfants, forcément on me demandait des nouvelles du bébé. J’ai prétendu avoir fait une fausse couche, ce qui m’a valu des messages de compassion terriblement immérités”, se souvient-elle, avec la douleur d’avoir dû cacher une aventure dont elle est pourtant si fière.

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Fanny, 36 ans, Côte d'Azur

Vous avez porté l’enfant de votre sœur. Qu’est-ce qui vous y a poussée ?

À l’âge de 18 ans, on lui a diagnostiqué un syndrome de Rokitansky, c’est-à-dire que ses ovaires sont fonctionnels mais qu’elle n’a pas d’utérus. Ce fut très difficile pour elle d’apprendre, à peine majeure, qu’elle ne porterait jamais d’enfant. Elle s’est réfugiée dans les études et elle est devenue une brillante ingénieure. Puis, elle a tenté d’adopter. Mais après dix ans d’espoirs déçus, totalement découragée, elle a décidé d’abandonner.

Comment l’idée d’une GPA est-elle venue sur la table ?

Entretemps, j’avais eu la chance de devenir mère, et je voyais à quel point cela me comblait. Ma sœur déteste contourner les règles, mais elle s’était renseignée sur la GPA. Un jour, à table, alors qu’elle me disait à quel point elle avait peur d’une procédure dangereuse et compliquée à l’étranger, je lui ai proposé de porter son enfant. C’est venu tout naturellement, sans préméditation et sans chercher à comprendre.

Quelle a été sa réaction ?

Très étonnée ! Elle n’avait pas envisagé cette solution.

Et comment cela s’est-il déroulé ensuite ?

En Belgique, la GPA n’est ni légale ni illégale, mais malgré l’absence de loi le parcours médical est très encadré. Ma sœur, son conjoint, le mien et moi-même avons passé une batterie de tests psychologiques avant que ne soit engagé le processus, ce qui nous a plongés dans l’incertitude durant un an et demi. Ma sœur a également dû faire une stimulation ovarienne, car l’embryon devait être viable avant qu’on me le transfère et que la grossesse ne démarre. C’est seulement deux mois après l’implantation qu’on a pu souffler, et pourtant le travail ne faisait que commencer !

Avez-vous impliqué votre famille dans le processus ?

Lors des trajets en Belgique, nous avons beaucoup sollicité nos proches, notamment pour qu’ils m’aident à garder mon fils. Jusqu’à l’aboutissement de l’adoption, à part la famille, qui nous encouragés, et nos meilleurs amis, personne n’a été mis au courant de cette GPA, de peur qu’une dénonciation ne conduise à une enquête. C’était un jeu de rôles, mais heureusement tout cela s’est produit pendant les confinements, donc la grossesse fut plutôt facile à dissimuler. Je ressentais malgré tout une grande frustration à garder secret ce don d’amour qui nous a apporté autant de bonheur.

Comment avez-vous dissocié votre grossesse de la maternité ?

C’est très difficile à décrire. Je ne l’investissais pas d’un amour maternel, mais protecteur. Je ressentais une grande responsabilité vis-à-vis du fœtus qui grandissait en moi, mais ce que je chérissais c’était le foyer qui allait se former grâce à mes soins. À partir du moment où j’ai proposé à ma sœur de porter son enfant, j’avais déjà terminé un chemin inconscient de dissociation entre grossesse et maternité.

"Ce qui m’angoissait, c’était que l’on retire cet enfant à ma sœur, alors qu’elle était la seule mère légitime."

Vous avez accouché en Belgique ?

J’ai eu la chance d’accoucher en France. Nous avons trouvé un obstétricien, une pépite, à qui nous avons expliqué notre histoire, et qui a accepté de suivre notre grossesse en gardant ce secret. C’était un profond soulagement de pouvoir nouer une relation de confiance avec lui. L’accouchement a eu lieu par césarienne, et ma sœur était à mes côtés. Elle a pu faire du peau à peau dès les premières minutes de vie de son fils, un moment évidemment très émouvant, qui me restera à vie, et qui vaut bien plus que n’importe quelle compensation financière – évidemment, il n’y en a pas eu dans notre cas.

Vous avez dû accoucher sous X ?

Certaines GPA conduisent à un accouchement sous X faute de cadre autorisant la pratique [le père peut reconnaître ensuite l’enfant en mairie]. Cela a été l’une des grosses questions des dernières semaines de la grossesse. À sa naissance, j’ai reconnu l’enfant, comme l’a fait le conjoint de ma sœur. Puis, j’ai renoncé à mes droits sur lui, et ma sœur a pu engager une démarche d’adoption. Même si notre avocate, Me Caroline Mecary, a été très protectrice, la procédure administrative fut lourde.

Ces démarches administratives, comment les abordiez-vous ?

Tant qu’on n’avait pas reçu le jugement d’adoption, on vivait dans la peur d’être dénoncés. Ce qui m’angoissait, c’était que l’on retire cet enfant à ma sœur, alors qu’elle était la seule mère légitime. Nous avons donc démarré les démarches d’adoption rapidement, mais ça a tout de même pris un an et demi. Au total, ce projet de GPA a duré quasiment trois ans.

Quelle relation avez-vous aujourd’hui avec ce petit ?

Ni plus ni moins que celle d’une tante. À sa naissance, j’ai senti une petite gêne, non pas parce que je voulais pouponner l’enfant, mais parce que je me sentais libérée de ma responsabilité vis-à-vis de lui. Je me disais que mon rôle était terminé, que je pouvais me remettre sereinement de la grossesse sans avoir à penser aux couches ou aux biberons. Je n’étais pas spécialement fière, mais contente d’avoir réussi, que nous ayons réussi.

Cet événement a-t-il modifié votre relation avec votre sœur ?

Elle ne me doit rien, et je ne lui dois rien non plus. La seule chose que je lui ai demandée, c’est qu’elle m’aide à perdre les 20 kilos que j’ai pris après la grossesse! Aujourd’hui, son fils a 3 ans, et il est informé de la manière dont il a été conçu, on ne ment à personne, et tout le monde est heureux ainsi.

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Illustration : Sophie Della Corte pour têtu·