Le procès de deux guets-apens tendus sur internet en janvier 2022 à Paris s'est achevé ce mardi 4 juin aux assises. Au fil des débats, qui ont duré six jours, les accusés ont fini par reconnaître avoir délibérément ciblé des hommes gays car ils les pensaient "plus dociles" et "moins méfiants". La circonstance aggravante d'homophobie a été retenue par les jurés.
À l’issue de six jours de procès, les jurés sont allés au-delà des réquisitions de l’avocat général. Ce mardi 4 juin, la cour d’assises de Paris a condamné trois hommes à des peines de cinq à huit ans de prison pour deux guets-apens tendus à deux hommes gays à Paris en janvier 2022. La circonstance aggravante d’homophobie a été retenue, au grand soulagement de l’avocat de Stop Homophobie, constituée partie civile.
Les deux guets-apens ont été tendus avec le même mode opératoire : les victimes étaient abordées sur Les Pompeurs, site de rencontre comparable au tchat Coco. Une fois le rendez-vous convenu au domicile des hommes ciblés, les agresseurs leur demandaient de les attendre nus, porte entrouverte, avant de les ligoter et de les dépouiller, non sans les avoir séquestrés – pendant deux jours et demi pour l’un, le temps d’un virement bancaire à l’étranger. Au cours du procès, les victimes ont témoigné des conséquences durables de ces agressions subies dans leur intimité.
Trois jeunes coupables
Guillaume N., premier à entrer chez les victimes, a été condamné à sept ans de prison. Son acolyte, Karim B., qui de son propre aveu jouait le rôle du "méchant", a écopé d’une peine de huit ans de détention. Tous les deux ont été reconnus coupables des chefs de séquestration, extorsion avec arme et vol, le tout commis en bande organisée et à raison de l’orientation sexuelle de la victime. Quant au troisième, Guy N., qui a participé à distance à ces crimes, il est reconnu coupable de "complicité d’extorsion avec arme commis en bande organisée et à raison de l’orientation sexuelle de la victime". Il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement.
Si les accusés, âgés de 18, 19 et 21 ans au moment des faits, ont bien reconnu pendant l’instruction avoir ciblé des hommes gays parce que "c’était plus pratique" et qu’ils "se méfiaient moins", leurs avocats refusaient jusqu’au procès de reconnaître la circonstance aggravante d’homophobie. "C’était davantage une question d’opportunisme que de réelle homophobie", a plaidé l’avocate de Guillaume N., Me Jennifer Cambla. 'Il n’ont agi que par appât du gain et non en raison de l’orientation sexuelle des victimes", abondait l’avocat de Karim B., Me Valentin Guégan.
Lors de son audition, au deuxième jour du procès, la capitaine de police en charge de l’enquête a créé une forme de confusion sur ce sujet. "Nous n’avions initialement pas retenu cette circonstance aggravante car nous n’étions pas assuré d’une éventuelle haine à l’encontre les homosexuels, a-t-elle expliqué à la barre. On pensait que c’était simplement pour faciliter les rencontres." Et son collègue d'abonder : "Ils ne voulaient pas 'casser du pédé'. Ils ont très clairement choisi des homosexuels mais je ne pense pas qu’il y ait eu de volonté néfaste envers les homosexuels." Des propos de nature à semer le doute dans l’esprit des jurés.
Circonstance aggravante d'homophobie
Mais pour que cette circonstance aggravante soit retenue, il n’y a pas besoin de prouver l’homophobie des auteurs, celle du mode opératoire suffit. "On ne leur reproche pas d’avoir commis leurs crimes par haine des homosexuels, encore faudrait-il la prouver, mais simplement parce que les victimes sont homosexuelles", a rappelé Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, avocat de Stop Homophobie. Il s’appuie sur une circulaire, datée de 2017 pour clarifier l’article 132-77 du code pénal, et qui encadre très clairement la circonstance aggravante, prévue notamment lorsque des actes "établissent que les faits ont été commis contre la victime (...) à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée".
L’une des deux victimes a expliqué le préjugé homophobe d’un tel ciblage : "Ils imaginaient que j’avais honte d’être homosexuel et que cela me dissuaderait de déposer plainte". La deuxième, séquestrée pendant près de soixante heures à son propre domicile, a également attesté : "Ils n’étaient pas venus pour ‘casser du pédé' mais si je me suis fait attraper, c’est bien parce qu’ils estimaient que ce serait plus facile de me piéger."
"Il faut retenir cette circonstance parce que les accusés ont choisi les victimes en fonction de leur orientation sexuelle sur la base de préjugés."
"J’ai toujours nié l’acte homophobe, a expliqué Karim B. vendredi lors de son audition. Maintenant, j’ ai très bien compris que le fait d’avoir ciblé des homosexuels parce que c’était plus facile pouvait aussi être vu comme de l’homophobie." Dans sa plaidoirie, l’une des avocates de Guillaume N., Me Hannah Auguste-Lemaire, fera elle aussi amende honorable : "Pour mon client, reconnaître cette circonstance aggravante voulait dire qu’il était perçu comme une personne homophobe. S’il continue de dire qu’il n’y avait pas d’intention homophobe, il reconnaît que la circonstance aggravante est bien caractérisée." Lors de ses réquisitions, l’avocat général a insisté : "Il faut retenir cette circonstance parce que les accusés ont choisi les victimes en fonction de leur orientation sexuelle sur la base de préjugés."
Les deux victimes avaient particulièrement à cœur de voir reconnue cette homophobie dont elles ont été victimes ; c’est chose faite. Le procès a aussi montré que la présence d’associations LGBT+ est essentielle dans ce type de dossier. Mais elle n’est en réalité pas prévue par la loi, qui ne prévoit pas en principe qu'elles puissent se constituer partie civile pour des faits tels que la séquestration ou l’extorsion, même si la circonstance aggravante de l’orientation sexuelle des victimes est retenue. "Ça paraissait tellement évident que l’association Stop Homophobie puisse se constituer partie civile dans ce dossier que personne ne s’en est rendu compte", a expliqué Me Jean-Baptiste Boué-Diacquenod. Il entend désormais déposer, dans les prochains jours, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin de faire changer la loi sur ce point.
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