magazineFace à la transphobie, la riposte entend s’inscrire dans la durée

Par Antoine Allart le 24/06/2024
Dos de veste "Trans Menace" à la manifestation Riposte trans à Nantes le 26 mai 2024

[Cet article est issu du dossier spécial "Fier-T" du têtu· de l'été, disponible en kiosques ou sur abonnement] De propositions de loi en manifestations, la riposte trans s'organise face aux offensives réactionnaires.

“On ne se bat pas qu’aujourd’hui, on se bat à partir d’aujourd’hui”, assène Giovanna Rincon, directrice de l’association trans Acceptess-T, à la foule amassée le dimanche 26 mai sur la place de la République, à Paris. Environ 2.000 personnes sont venues défiler pour défendre les droits des personnes trans, après les premières manifestations qui avaient rassemblé trois semaines auparavant 11.000 personnes dans toute la France. L’appel à une “riposte trans”, soutenu par plus de 800 organisations et personnalités, avait été lancé pour s’organiser face à la transphobie galopante. La parution en avril de Transmania, le livre infâme de Dora Moutot et Marguerite Stern, et le vote en première lecture par le Sénat fin mai d’une proposition de loi Les Républicains (LR) limitant l’accès des mineurs trans à un traitement médical, ont rappelé l’importance d’une mobilisation pour nos droits. Une loi qui, si elle devait poursuivre son chemin parlementaire jusqu’à être adoptée, ferait de la France “le pays le plus rétrograde d’Europe pour les mineurs trans”, signale Anaïs Perrin-Prevelle, directrice de l’association OUTrans.

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Les associations LGBTQI+ se sont donc mises en ordre de marche, comme le suggérait l’appel à manifester : “Il y a urgence d’une réponse d’ensemble du mouvement social, féministe et LGBTQI+ à ces attaques.” Présidente de SOS homophobie, Julia Torlet martèle : “La communauté doit se fédérer autour de la question trans. Notre rôle en tant qu’association queer est de venir en soutien aux associations trans qui portent la cause.” Aux hommes gays qui n’ont pas l’impression d’être concernés par ce combat, James Leperlier, président de l’Inter-LGBT, rappelle : “Ça peut leur sembler abstrait d’appartenir à la communauté LGBTQI+, mais nous sommes unis par les mécanismes de discrimination que nous subissons. Ce sont les mêmes remarques, la même haine.” Plus largement, Giovanna Rincon souligne l’importance de garder une approche intersectionnelle du combat LGBTQI+ : “C’est seulement en intégrant tout le monde qu’on pourra trouver des solutions et continuer à se battre.”

Dans la rue et au parlement

Au-delà de la proposition de loi LR, la riposte trans refuse de rester sur la défensive et compte bien pousser ses pions, contre vents et réacs. “Pour être efficace face aux discours réactionnaires, il nous faut conquérir de nouveaux droits. C’est de cette manière qu’on imposera un rapport de force !” plaide Maud Royer, présidente de l’association Toutes des femmes. Au premier rang de ces droits réclamés depuis des années, la facilitation du changement de genre à l’état civil, déjà adoptée en Espagne ou en Allemagne. “Peu importe ce qu’il advient de la proposition de loi sénatoriale, nous avons déjà réfléchi à de futures mobilisations”, promet Giovanna Rincon. “Dans la lutte pour les droits des personnes LGBTQI+, on sait que tout est une question de visibilité. On va encore nous voir dans la rue”, abonde Julia Torlet.

La riposte entend s’inscrire dans la durée, et les associations peuvent compter sur des relais politiques. Ainsi la sénatrice écologiste Mélanie Vogel a déposé une proposition de loi pour faciliter la modification de la mention du sexe à l’état civil, cosignée par sa collègue Anne Souyris. Présente lors de la manifestation du 26 mai, cette dernière a dénoncé l’hypocrisie des élus de la droite. Du côté de l’Assemblée nationale, le député La France insoumise (LFI) Andy Kerbrat a déposé une proposition de loi similaire à celle des sénatrices.

“Si la gauche est la seule à nous soutenir, on reste sur le schéma connu : les LGBTQI+ sont soutenus par la gauche et les réactionnaires par la droite.”

Ces échanges entre associations et élu·es doivent pouvoir faire émerger une parole politique audible, capable de contrer l’offensive et les discours transphobes. Encore faut-il que l’action politique ne reste pas cantonnée aux allié·es classiques. “Si la gauche est la seule à nous soutenir, on reste sur le schéma connu : les LGBTQI+ sont soutenus par la gauche et les réactionnaires par la droite”, déplore Julia Torlet. Or les maigres engagements d’Emmanuel Macron pour sa réélection en 2022 (facilitation du changement d’état civil, effectivité des séances d’éducation à la sexualité…) n’ont, deux ans plus tard, pas été honorés [et sont même remis en cause dans le cadre de la campagne pour les élections législatives anticipées]. Au contraire, le lien entre les associations et le gouvernement s’est considérablement distendu depuis qu’Aurore Bergé a été nommée au ministère de la Lutte contre les discriminations. Comme députée et comme ministre, elle n’a jamais hésité à s’entretenir avec des militants anti-trans et anti-GPA. Alors qu’elle avait promis de lutter “avec force” contre la proposition de loi transphobe examinée au Sénat, il a fallu une bronca de parlementaires macronistes pour que l’Élysée autorise, in extremis, le gouvernement à s’y opposer. “On sent que les personnes transgenres ne sont pas la priorité de la majorité présidentielle. Mais maintenant qu’on est dans le calendrier politique, on compte bien se battre et faire connaître nos luttes et reconnaître nos droits”, interpelle James Leperlier.

Les associations doivent donc faire preuve de pédagogie à destination des politiques, mais aussi de la société en général. “Il faut qu’on apporte un discours explicatif afin que les gens qui n’y connaissent pas grand-chose soient outillés pour comprendre nos problématiques et donc pour éviter de subir la désinformation des réactionnaires politiques et religieux”, fait valoir Julia Torlet. “Beaucoup de gens se posent des questions, il faut qu’on soit là pour y répondre”, appuie Giovanna Rincon. Car un vent mauvais souffle : aux États-Unis, plusieurs États ont largement restreint les transitions de genre aux mineurs ; au Royaume-Uni, les hôpitaux publics n’admettent plus les femmes trans dans les espaces de repos et d’hygiène réservés aux femmes. “On ne sait pas si la France peut tenir bon, il n’est pas impossible qu’il y ait un recul des droits des personnes trans si on ne se bat pas”, alerte Julia Torlet. Comme les droits des femmes, les droits LGBTQI+ nécessitent une lutte constante, pour les conquérir mais aussi pour les préserver !

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Crédit photo : Estelle Ruiz / Hans Lucas / AFP

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