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transidentités[Exclu] Mélanie Vogel dévoile sa proposition de loi sur le changement de genre à l'état civil

Par Nicolas Scheffer le 02/04/2024
Mélanie Vogel, sénatrice écologiste

La sénatrice écologiste Mélanie Vogel dépose ce mardi 2 avril une proposition de loi visant à déjudiciariser le changement de la mention du sexe à l'état civil. Si elle est adoptée, les personnes trans pourront enfin faire modifier leur genre administratif sur simple demande en mairie, sans plus avoir à passer par le tribunal. L'élue dévoile en exclusivité à têtu· les contours de son texte.

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Aujourd'hui, quand une personne trans souhaite faire modifier la mention du sexe sur ses papiers d'identité, il lui faut passer devant le tribunal. Depuis toujours, au nom de la liberté à l'autodétermination, les associations LGBTQI+ réclament que les transitions administratives soient simplifiées et puissent se faire sur simple déclaration. Après avoir porté au Sénat la bataille pour l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution, la sénatrice écologiste Mélanie Vogel dépose ce mardi 2 avril une proposition de loi pour que le changement de genre administratif se fasse sur simple déclaration en mairie à l'officier d'état civil. Interview.

  • Quel est le contenu de votre proposition de loi visant à simplifier le changement de genre à l’état civil ?

Mélanie Vogel : Le principe est simple, qu’on puisse changer de genre à l’état civil sur simple déclaration. Nous ne voulons plus que les personnes trans soient dans une situation de dépendance vis-à-vis de tiers pour être reconnues pour qui elles sont. La proposition de loi cherche aussi à régler d’autres problèmes : permettre d’obtenir un acte de naissance sans mention des changements d'état civil, afin de ne pas avoir à s’outer, permettre aux demandeurs d’asile et aux personnes détenues de pouvoir accéder au changement d’état civil ainsi qu’aux mineurs de 15 ans révolus.

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  • En quoi la situation actuelle pose-t-elle problème ?

Il y a un problème d’ordre philosophique et un autre d’ordre pratique. Le premier c’est de savoir qui doit déterminer le genre de quelqu’un. Actuellement, la procédure passe par un juge, mais je ne vois pas en quoi il serait plus compétent pour le faire que la personne elle-même. Dans un système qui ne permet pas l’autodétermination de genre, les personnes trans doivent démontrer qu’elles souffrent dans la situation actuelle : c’est obligatoire d’avoir souffert pour changer de genre. Est-ce bien nécessaire ?

Le second problème, c’est la difficulté d’accès à ce droit : c’est un processus long, souvent coûteux… Bien que le processus soit censé être démédicalisé, dans les faits il est souvent demandé des attestations médicales. Aussi, il y a une inégalité territoriale très importante. Bref, ça ne fonctionne pas.

  • Êtes-vous favorable à la création d’un genre neutre à l'état civil ?

Oui, sans aucune ambiguïté. Les personnes non-binaires existent et cette réalité doit pouvoir être reconnue administrativement. On pourrait aussi parler de la suppression de la notion de "sexe" sur les documents d’identité. Mais ces deux sujets ne font pas partie de cette proposition de loi : je suis dans une démarche stratégique d’avancer sur l’autodétermination, on peut tout à fait les faire avancer par la suite.

  • Avec un Sénat majoritairement à droite, le texte que vous proposez a peu de chances de passer. Quel est votre objectif ?

Depuis plusieurs mois, le gouvernement doit rendre un rapport évaluant le processus mis en place en 2016. Malgré mes courriers, je n’ai pas de réponse du ministère de la Justice [têtu· a également tenté d’obtenir ce rapport, sans succès, ndlr]. Il y a une volonté du gouvernement de ne pas s’emparer de ce sujet, le Parlement doit lui mettre la pression, et d’après mon expérience c’est efficace. Et puis cela permet de montrer qu’il y a une solution, qu’elle a été travaillée avec plein d’associations et qu’on peut simplement la mettre en œuvre.

  • La sénatrice Les Républicains (LR) Jacqueline Eustache-Brinio a écrit un rapport appelant à interdire les transitions médicales des mineurs trans. Comment avez-vous réagi à sa lecture ?

Le travail manque cruellement d’honnêteté. Déjà parmi les "spécialistes" auto-proclamés interrogés et puis, lorsque la sénatrice donne la parole à des personnes concernées, elle tord leurs déclarations pour convenir à ses positions réactionnaires. Elle part du principe que les médecins veulent absolument opérer des enfants trans, mais les opérations sur les mineurs, il n’y en n'a pas, donc pas besoin de les interdire…

Ensuite, sa proposition principale est d’interdire les soins hormonaux à des mineurs. Mais s’ils sont prescrits, c’est parce qu’ils sont nécessaires ! Il suffit d’écouter des témoignages d’adolescents et de médecins pour s’en rendre compte.

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  • Vous avez réussi à faire inscrire l’IVG dans la Constitution en partant du principe que l’extrême droite pourrait revenir sur des droits fondamentaux. Quels autres droits sont aujourd’hui menacés à vos yeux ?

L’expérience nous montre que quand l’extrême droite arrive au pouvoir, elle s’attaque systématiquement aux femmes, aux droits des minorités sexuelles et de genre, et aux droits des minorités en général. Ce qui m’inquiète avant tout, c’est que nos institutions sont incroyablement mal outillées pour résister à un choc autoritaire. L’eurodéputée écologiste Gwendoline Delbos-Corfield avait publié un rapport en septembre 2022 dans lequel elle démontre que les atteintes des régimes autoritaires, par exemple celui du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, ont mis une décennie avant de produire leurs effets, mais qu’en France dix-huit mois suffiraient. En France, l’exécutif concentre beaucoup trop de pouvoirs et peut concentrer très rapidement tout ce qui lui échappe.

  • Plus que d’inscrire nos droits dans la Constitution, faudrait-il passer à une VIe République ?

L’architecture de la Ve République est inadaptée. Je plaide pour un véritable régime parlementaire, car l’exécutif concentre en ses mains beaucoup trop de pouvoirs et le Conseil constitutionnel manque cruellement d’indépendance.

  • Le Rassemblement national (RN) est donné gagnant aux élections européennes du 9 juin, quelles seraient selon vous les conséquences d’un tel scénario ?

Renaissance et LR ont banalisé l’extrême droite depuis des années en considérant le RN comme un parti comme les autres. Certains macronistes ont refusé de donner de consigne de votes lors de duels RN/écologistes lors du second tour des élections législatives. François-Xavier Bellamy, tête de liste des LR aux européennes, a avoué en creux avoir voté pour Marine Le Pen face à Emmanuel Macron en 2022. Au-delà de la France, l’extrême droite est puissante au Parlement européen et si elle devient un jour en capacité de diriger, c’est la fin de la construction européenne comme projet démocratique. C’est ça, l’enjeu de ces élections.

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Crédit photo : Alain Jocard / AFP

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