éditoChangez, abrutis !

Par Thomas Vampouille le 28/06/2024
Pride 2024.

[Cet édito ouvre le magazine têtu· de l'été, disponible chez vos marchands de journaux ou sur abonnement] En ce mois de Pride LGBT+ et alors que le spectre de l'extrême droite pèse sur les élections législatives anticipées, têtu· reste au combat.

“La haine, la haine… Comme ils nous rabaissent, n’est-ce pas ?” Dans les larmes à Cannes de Karla Sofía Gascón, première actrice trans à y remporter un prix d’interprétation, il y avait toute la rage des épreuves traversées pour arriver sur cette scène. Il y avait aussi une exaspération, de celle que l’on éprouve devant la paresse affligeante d’une bêtise qui insiste. “Changez, abrutis !” a-t-elle lancé aux phobes de tout poil – “cabrones”, en langue originale.

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Il faut les entendre éructer leurs sottises. “J’ai 65 ans, j’ai fait changer mon âge à l’état civil et si jamais vous dites que je n’ai pas 65 ans, vous êtes âgeophobe”, répète à l'envi Marion Maréchal-Le Pen, si fière de sa trouvaille qu’elle pense imparable pour tourner en ridicule les identités trans. Sur les réseaux sociaux, la même lourdeur fait propagande : “Il n’y a que deux genres, lui va chez l’urologue, elle va chez le gynécologue, tout le reste va chez le psychiatre”, “Je me ressens noire et j’attaquerai en justice toute personne qui dira que je suis blanche”, etc.

Il faut lire ce qu’écrivent les coqueluches médiatiques Dora Moutot et Marguerite Stern dans Transmania, le livre-aveu de leurs obsessions, en parlant des homosexuels : “Désormais, ils n’ont plus besoin de se cacher dans un buisson en attendant l’heure de la sortie de l’école. Il leur suffit de se rendre à la Gay Pride. (…) Ils pourront montrer leurs quéquettes à des mineurs, sous l’œil complice des parents.”

Vous avez Dora Moutot,
Nous avons Annie Ernaux
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Mais de quel droit ces gens nous imposent-ils leur lecture puérile du monde et leur haine vulgaire ? S'ils nous rabaissent, en effet, c’est en tirant l’humanité dans les bas-fonds de la pensée. Et ce, en complet décalage avec la majorité de la population, car rappelons-le : ils sont bel et bien minoritaires. Si on a l’habitude de lire les sondages de façon alarmiste, tous sont pourtant unanimes sur l'essentiel : l’homophobie recule dans l’opinion, et l’acceptation des personnes trans avance. Ainsi dans l'enquête Ipsos Pride 2024, 77 % des Français pensent que les homos doivent être protégés des discriminations, et 75 % de même pour les personnes trans. Le Premier ministre est gay, la population est pour la progression des droits LGBTQI+ comme elle était largement en 2013 pour l’ouverture du mariage. Dans quelques années, la plupart de ceux qui s’opposent aujourd'hui finiront comme une grosse partie de la droite désormais, à regarder ses pieds comme si elle n’avait pas défilé contre la loi Taubira, pendant que Christine Boutin rumine ses vieilles rengaines.

En attendant, c’est aussi pour les générations suivantes que nous devons persévérer. Et il y a des raisons d’espérer ! Combien de nos parents, après nous avoir rejeté·es, sont devenus des alliés actifs ? Le succès de la comédie joyeuse Un p'tit truc en plus montre que pour les Français, la différence est porteuse d’universel. L’éducation est la clef. Alors que les guets-apens homophobes se multiplient à un rythme effarant, et que nos agresseurs sont de plus en plus souvent des adolescents, souvenons-nous que l’éducation à l’altérité et à l’acceptation aurait pu faire la différence si elle avait été mise en place il y a dix ans, comme promis alors par le gouvernement socialiste, avant qu’il ne recule devant le lobbying d’une alliance des réacs catholiques et musulmans. Si le gouvernement de Gabriel Attal, qui clamait d’ailleurs avoir emmené l’Éducation nationale à Matignon, n'avait dû mener qu’une action en faveur de l’inclusion, c’était bien de rattraper ce retard.

En termes de représentation, on pense beaucoup à offrir des rôles modèles aux jeunes queers (à raison), mais on oublie encore trop d’inspirer également les jeunes non-queers. Le sport étant sans doute l’activité humaine qui suscite le plus d’engouement et d’admiration, c’est l’un des leviers possibles pour faire changer les mentalités. Des joueurs de football revendiquent ouvertement, au nom de leur “culture” et de leurs “croyances”, leur opposition à la lutte contre l’homophobie ? Qu’à cela ne tienne : Antoine Griezmann est à nos côtés, tout comme Olivier Giroud, Lilian Thuram et bien d’autres encore. Vous avez Dora Moutot, nous avons Annie Ernaux. À son tour, le rugbyman Antoine Dupont – excusez du peu – le proclame avec nous : “Plus de tabou ni de honte.”

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Crédit photo : Ricardo Arduengo / AFP

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