Il croque à la gouache des amis, nus ou non, des naturistes, des activistes, des soignants. Rencontre avec Adrien Pelletier, un peintre documentariste prometteur.

Pour découvrir le travail d'Adrien Pelletier, rendez-vous à la fin de l'article ! 

Si vous avez déjà dévoré votre TÊTU de l'été, en kiosque depuis le 07 juillet dernier, vous avez peut-être déjà vu le travail d'Adrien Pelletier. Ce sont trois de ses peintures qui ont illustré notre dossier sur les plages gays. Des peintures issues de sa série de "Portraits Levantins", réalisés sur l'île du Levant, une enclave naturiste au large du Lavandou, dans la mer Méditerranée.

Des portraits, à la gouache, sur une feuille de papier, réalisés en 2018, lors de vacances entre amis qui ont, pour le jeune peintre - jeune, car il a pris les pinceaux tardivement, après une carrière de directeur artistique dans la presse féminine - été une révélation. "Avoir accès au corps de mes amis nus, dans une dynamique qui n'était pas sexuelle  m'a donné envie de peindre. J'étais touché par la beauté de leur corps, du soleil qui les sublimait, de l'environnement" se remémore-t-il. S'en est suivi une série de portraits des habitants de l'île, des habitués, avec qui il a toujours pris le temps de discuter, pour comprendre leur vie, leur démarche. "C'est la première fois que ma peinture prenait une dimension documentaire, que je m'intéressais à une communauté. C'est un village gaulois d'irréductibles naturistes, un espace de résistance, rempli de gens qui vivent en dehors des codes de la société."  

A LIRE AUSSI : Jardinier et naturiste :"Pour moi, c'est la liberté" 

Intime et pudique

Car il y a dans la peinture d'Adrien Pelletier beaucoup plus que des mèches de cheveux qui tombent sur des visages, ou des postérieurs rebondis avançant vers la mer. La nudité n'y est pas impudique, et la porte ouverte vers l'intimité de ses modèles n'a rien de voyeuriste. Il ne regarde pas par le trou de la serrure. Il entre dans la pièce, et dans l'intimité de couples pour les photographier à l'iPhone avant de les peindre. Mais il s'efface, pour mieux capturer le réel.

"J'ai commencé à peindre des portraits de mes amis dans des situations très quotidiennes. Pendant qu'ils se brossaient les dents, qu'ils prenaient leur douche, qu'ils sortaient le linge de la machine... Ce sont des scènes très banales et pourtant très intimes, alors j'essaie de disparaître. J'aime le fait qu'ils acceptent mon regard à ce moment là, qu'ils me montrent quelque chose qui va au delà de notre amitié" explique le peintre. Il se rend chez eux, y passe de longues heures, et rentre chez lui, le smartphone débordant d'images simples, qui n'ont selon lui "aucune valeur plastique." Puis, il se met à peindre.

Adrien Pelletier

Instantanés

Des formats carrés, petits, des "instantanés" qui rappellent les polaroïds, sur lesquels il passe une à deux heures "maximum". "La gouache, ce n'est pas comme l'huile, explique-t-il, c'est une peinture qui sèche vite, qui demande de travailler très rapidement. J'ai testé d'autres techniques, mais aucune ne m'a parlée autant. Il y a dans la gouache une densité dans les pigments qui donne une intensité à la peinture." Et puis cette odeur d'enfance, comme une madeleine de Proust, qui colle à sa démarche.

"Ma peinture est une sorte d'archivage des émotions que je peux avoir, que j'ai eues, et la photo seule ne pourrait suffire à les exprimer. Il y a dans la peinture la transposition des sentiments que j'ai à l'égard des gens, et ce sont ces sentiments que je fixe. Ma première intention, quand j'ai commencé à peindre, c'était de me faire un catalogue d'émotions, parce que ma mémoire n'est pas très bonne. Je me suis rendu compte que la vie passait vite, et je voulais consigner ces moments, ces gens, qui étaient importants pour moi. Pour me souvenir."

Artiste, et documentariste

Mais dans cet album de peinture mémoriel, il rajoute, de plus en plus, des récits de voyages, à la manière d'un reportage peint. Désormais, l'artiste enregistre ses entretiens avec ses modèles, comme à Tel Aviv ou encore au Brésil, où il a passé plusieurs mois avant que le confinement ne vienne interrompre son périple. Il y suit des activistes, des artistes, à l'ère de Bolsonaro, et les peint en situation, ou réalise des portraits dans lesquels toute leur rage, leur douleur ou leurs espoirs transparaissent. Un héritage peut-être, de son passé dans la presse.

Une fois de retour au pays, plus précisément à Paris, où il vit, et où il s'est confiné, la célèbre villa Noailles, espace d'exposition mythique de Hyères l'a contacté pour réaliser des portraits de soignants, de caissiers... De tous ces gens qui ont continué à faire tourner la France. "Ca m'a sauvé mon confinement de penser à eux. Et j'espère que ça les a aidé aussi. Des éboueurs de chez Véolia m'ont dit qu'ils étaient très heureux d'être regardés, considérés. Pour moi c'était vraiment une manière de les remercier. " L'exposition "Héros, Héroïnes" est visible jusqu'au 31 août. Si vous êtes dans les parages, allez y faire un tour.

https://www.instagram.com/p/CAGEwJWIgHr/