Yannick Fornacciari fait parler la photographie humaine à travers des portraits aux lignes acérées. Un noir et blanc brut qui caresse la peau douce d'âmes sensibles, de femmes et d'hommes hors des normes.
Je viens d'un milieu assez modeste, ouvrier, où la culture n'a pas vraiment sa place. Petit, je n'ai pas été introduit à l'art, je ne suis pas allé au musée ou ce genre de chose. La photographie je l'ai découverte par hasard, adolescent, quand j'ai eu un appareil photo entre les mains. Il appartenait à mon grand père.
Comme beaucoup avant lui, Yannick Fornacciari commence à photographier ses proches. Son compagnon et sa famille s'invitent régulièrement devant son objectif. Mais l'artiste aime surtout se frotter à l'Inconnu rencontré par hasard. Pour celui qui a suivi des cours de psychologie à Marseille, les deux disciplines ont cela de commun qu'elles permettent de comprendre la nature humaine : "atteindre une vérité subjective à la personne que je photographie, et faire preuve d'empathie pour essayer de voir le monde à travers ses représentations."
J'ai cette idée qu'en mettant un individu devant moi, dans sa nature la plus intime, la plus vraie, ce n'est pas seulement lui que je photographie, mais c'est aussi quelque chose de plus grand. La communauté dont il est issu, la langue qui est la sienne, sa nationalité ou son âge.
Dans l'univers de Yannick, les vêtements deviennent encombrants, le cadre est réduit à l'essentiel et les couleurs se diluent dans le noir et blanc cru. Capter la nature humaine, telle qu'elle est, et non pas ce qu'elle devrait être.
Comment la souffrance, la douleur et la lutte s’inscrivent-elles dans la chair de leurs corps nus que je photographie ? L’absence de correction devient alors un choix politique, comme un pied de nez à la photographie numérique.
À la place d'un carnet à la Emile Zola, Yannick Fornacciari embarque son appareil argentique pour tisser son documentaire naturaliste depuis le sud de la France, où il est né, jusqu'au Canada, qui l'a accueilli, et où il travaille depuis cinq ans. On est tenté de l'insérer dans la dynastie d'une Nan Goldin; il revendique sans surprise l'artiste américaine qui immortalisait ses amis décimés par le sida dans ses sources d'inspiration, de même qu'un autre photographe qui s'est intéressé au sujet, Hervé Guibert, mais aussi Josef Koudelka, récompensé pour sa couverture du conflit tchèque, ou encore le documentariste Raymond Depardon.
"Par mes portraits je veux déranger celui qui regarde, et l’amener à un positionnement."
Lui aussi s'intéresse aux marginaux et aux procédés qui tissent l'ostracisation. Les personnes gays ou lesbiennes, les drags, et les queer apparaissent en première ligne. Les Femen aussi, elles qui écrivent en lettre capitale leurs revendications sur leur poitrine nue, et dont Yannick "se sent proche des idées et de l'audace" car il partage "le même rejet des dogmes religieux, le même combat pour la justice sociale et le féminisme."
Pendant deux ans, il a suivi une autre catégorie d'"invisibles". Il s'est inscrit sur des forums et a fréquenté des associations montréalaises pour entrer en contact avec des personnes trans et recueillir leur témoignages. "Les sujets se sont ouverts à moi d'une façon superbe, avec beaucoup de finesse." Depuis, la loi québécoise a suivi le courant du code civil français et de la loi Justice du XXIe siècle en démédicalisant la procédure de changement de sexe. "Mon principal objectif était de briser les tabous, de montrer la réalité des personnes trans, leurs difficultés et leur diversité."
"L’intimisme définit bien ma démarche : mes sujets sont en général seuls, dénudés et vulnérables."
Lui-même remercie l'enfance heureuse qu'il a connu, mais admet que "comme tous les homosexuels, (il a) appris à grandir sans modèles, sans représentations", et défend la visée politique des baisers portraiturés car "tant que les représentations des personnes ouvertement homosexuelles seront rares, ça restera une revendication politique que de célébrer notre identité." Les prochains sujets se bousculent mais l'artiste sait déjà quelle piste explorer : les "survivantes de l'industrie du sexe."
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