musiqueLe featuring entre Bilal Hassani et Alkpote, un symbole de l'ouverture du rap français ?

Par Samy Laurent le 11/10/2019
bilal hassani

Bilal Hassani, artiste pop et ouvertement gay vient de révéler un featuring avec le rappeur Alkpote, connu pour ses propos homophobes. Une signal fort, alors que le rap français a souvent été hostile à la communauté LGBT+.

Personne n'était prêt lorsque "Monarchie absolue" est apparue sur la chaîne YouTube de l'interprète de "Roi", jeudi 10 octobre. Un savant choc des cultures, entre la musique pop et le rap offert par Bilal Hassani et le rappeur Alkpote.  Dans le clip, Alkpote interprète un flic un peu ripou qui se fait remonter les bretelles par son supérieur. Dans son dossier, il énumère "homophobie à répétition", "sexisme"...   Il va donc être obligé de collaborer avec l'inspecteur Hassani, bon premier de l'école de police, doté d'une perruque flamboyante. "Psartek la coupe" ("félicitations pour la coupe") , lui lance Alkpote.  "Mec, t'es chauve", répond Bilal. Le ton est donné.

Qui l'eut crû ?

Car l'histoire déroulée dans le clip ne semble pas si éloignée de la vérité. En 2015, dans une interview pour le magazine de rap français, l'Abcdrduson, il déclarait avec le plus grand sérieux : "je suis homophobe." Alors qu'il disait "adorer les Juifs", le journaliste Mehdi Maizi lui demande à propos des "homos". "Les homos un peu moins, déclare le rappeur, je suis complètement homophobe. Je ne suis pas Sexion d'Assaut, mec, j'assume". disait-il.

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Aujourd'hui pourtant, le rappeur collabore avec le plus queer des artistes français. Dans dans une interview publiée sur Instagram, Bilal Hassani raconte avoir voulu lancer ce projet dans l'idée d'ouvrir un peu plus sa communauté sur le monde du rap. "Je voulais vraiment créer ce pont entre la musique pop et le rap", a déclaré le chanteur de l'Eurovision.

"Je suis très ouvert à ce genre de propositions. De mélanger les genres, les communautés, les parfums, les saveurs...", déclare ensuite Alkpote. "Premièrement, c'est du divertissement. Au delà du divertissement, je pense que c'est une excellente façon de montrer que l'eau a coulé sous les ponts et qu'on évolue tous, comme des PokÉmons", continue celui qui se fait appeler l’Empereur de la Crasserie. "L'Empereur est 'pardonneur', il pardonne à tous ceux qui lui ont fait du mal. Moi-même j'ai mal, il faut me pardonner." conclut-il. Un mea culpa rare de la part d'un rappeur français.

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Rap français + culture LGBT+ = les calculs sont pas bons

Car en France, l'homosexualité et le rap n'ont jamais fait très bon ménage. Si outre-Atlantique, on peut voir de nombreux exemples de rappeurs ouvertement queer, comme dernièrement Lil Nas X ou Frank Ocean, on trouve aussi un discours beaucoup plus inclusif de la part des rappeurs sur les questions LGBT+, et ce, depuis longtemps. Des personnalités hip hop respectées, comme 50 Cents ou Macklemore ont pris des positions médiatiques fortes en faveur de l'égalité des droits. Le papa de tous les rappeurs, Jay-Z a même reçu un Glaad Awards, récompensant son engagement contre l'homophobie.

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Mais dans l'Hexagone, rares ont été les occasions de lier positivement rap et questions LGBT+. Pour une prise de position de Youssoupha contre la Manif Pour Tous dans une interview au Monde, combien de Sexion d'Assaut ? Le groupe qui comprenait Black M et Maître Gims avait appelé dans une de ses chansons en 2010 à "tuer les pédés". L'un des membres du groupe, Lefa, s'était déclaré à l'époque "homophobe à 100%." 

Pour le journaliste et auteur de "Hip-hop une histoire française" (Editions Tana), Thomas Blondeau, interrogé par LCI, "le rap est un milieu très macho qui a toujours mis en avant la virilité. Traiter l’autre de 'pédé' est le meilleur moyen de dire que vous êtes le mâle dominant et que l’autre est une femelette". Un échange de noms d'oiseaux auquel on avait notamment pu assister en direct avec la saga "Booba vs Kaaris". "Les mecs se lancent des 'pédés', des 'tarlouzes' ou des 'pédales' comme les enfants se jettent des crottes de nez, mais je ne suis pas sûr qu’au fond ce soit de l’homophobie. Plutôt une forme de conformisme social, 'pédé' étant une des insultes les plus bêtement répandues dans la société", précisait le journaliste.

Quelque chose est en train de changer dans le rap

Le bilan n'est pas totalement funeste. En France, certains rappeurs sont de véritables alliés pour la communauté LGBT+. En juin dernier, le rappeur Nekfeu révélait son dernier album " Les étoiles vagabondes". Un OP de 18 titres dont un a particulièrement retenu l'attention des personnes LGBT+. Dans "Menteur, menteur", Nekfeu rappait " Occupe toi d’tes pêchés (…) Si t’es homophobe, c’est qu’tu juges, force à mes LGBT, yeah". Une punchline sur mille, qui n'est pas passée inaperçue tant les prises de positions de rappeurs sur le sujet semblent rares.

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Mais à mesure que le rap devient plus mainstream, il s'assagit. Pour devenir la nouvelle star des ondes généralistes, il a du changer de discours. En témoignent les succès récents de Roméo Elvis (le frère d'Angèle), ou de Damso qui encourage les homos dans le placard à faire leur coming out dans le titre "Baltringue". Ce vendredi encore, le rappeur Lomepal dans son titre "88%", en duo avec Philippe Katerine, aborde avec ironie l'homophobie en disant que "88% des mecs sont 'pédés' et que 73% ne veulent pas se l'avouer". On reste un peu perplexe face à ce titre, néanmoins l'idée est bien là.

Qu'un rappeur comme Alkpote fasse son mea culpa, et soit prêt à partager un feat avec le concurrent français à l'Eurovision le plus queer que la France ait connu n'est peut-être qu'un symptôme. Un signe que le rap, et avec lui, la société, sont en train de changer. Alors vive Bilal Hassani, et vive le rap inclusif !

 

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Crédit photo : Capture d'écran YouTube