En officialisant sa relation avec Miles Heizer (13 Reasons Why), le comédien Connor Jessup fait évoluer sensiblement la condition des acteurs et actrices ouvertement queers à Hollywood.
C’est une info tendre, un peu people, presque frivole. On écrit « presque » car la représentation et la visibilité des personnes LGBT+ est un sujet trop important pour le reléguer au simple rang du buzz. Un an après avoir révélé son homosexualité, Connor Jessup, l’acteur de la nouvelle série événement de Netflix, Locke & Key, vient d’annoncer dans un post instagram, qu’il sortait avec Miles Heizer. Un autre comédien aperçu notamment dans la série 13 Reasons Why et le film Love, Simon.
Ça n’a l’air de rien mais c’est bien le signe qu’une nouvelle ère est en train de s’ouvrir à Hollywood. Dans la série Locke & Key, Jessup joue un jeune ado hétéro. Un lycéen avec tous les problèmes de coeur que cela implique. Et dans l’industrie du cinéma et des séries, ça n’a pas été toujours aussi facile pour un acteur gay de jouer un rôle straight.
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"Pas crédible en hétéro"
Il y a dix ans, Newsweek publiait un article expliquant qu’un acteur ouvertement homo manquait de crédibilité pour incarner un personnage hétérosexuel. Dans son article, le journaliste Ramin Setoodeh expliquait que, franchement, pour lui, voir Sean Hayes, l’acteur qui campe Jack dans la série Will and Grace jouer un rôle hétéro était « bizarre ». Pas crédible.
A sa publication en 2010, l’article avait provoqué un véritable tollé. L’association américaine GLAAD avait recadré le journaliste dans une tribune publiée sur son site. Certains pointant qu'avec une telle logique, il ne fallait pas s'étonner si des acteurs et des actrices de premier plan continuaient à cacher leur homosexualité aux yeux du grand public, de peur d'être écarté de rôles dits "hétéros". D’autres estimaient que le journaliste disait tout haut ce que les producteurs et les studios de Hollywood pensent depuis des années tout bas. Car à Tinseltown, à travers les âges, cette question a évolué…. lentement.
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De Cary Grant à Instagram
Les majors n’ont jamais été des entités friendly ou progressistes. Et cette image d’un couple de jeunes acteurs amoureux publiée sur instagram en rappelle d’autres, plus anciennes : celles de Cary Grant et son amant Randolph Scott dans leur maison de Santa Monica. A l’époque, les tabloïds faisaient croire au public américain que cette histoire d’amour était une belle amitié virile entre les deux stars de Hollywood. Une bromance avant l’invention du terme.
Pendant longtemps, pour cacher l’homosexualité des talents, les studios prenaient purement et simplement en charge la vie privée des stars. La vie publique comme privée des stars appartenait par contrat. C’est ce qu’a raconté en détails l’acteur Tab Hunter dans un livre et un excellent documentaire, Tab Hunter Confidential.
Hunter, comme des tas d’autres, s’est ainsi retrouvé au bras de Sophia Loren, Natalie Wood ou l’actrice française Etchika Choureau pour dissimuler aux yeux du grand public son homosexualité. Persuadés que les spectateurs, et surtout les spectatrices, ne viendraient plus voir les films du jeune premier s’ils apprenaient que celui-ci était gay.
Depuis l’article de Ramin Setoodeh pour Newsweek, des acteurs célèbres comme Matt Bomer ou Neil Patrick Harris ont fait leur coming out. Mais seulement après avoir longtemps incarnés à l’écran des tombeurs bien hétérosexuels (voire totalement beauf et misogyne pour le rôle de Harris) à l’écran. Dans FBI : Duo très spécial (White Collar) pour le premier, dans How I met your mother pour le second. Surtout, ces deux acteurs, comme Zachary Quinto ont attendu d'être plus âgés pour sortir du fameux placard hollywoodien.
"Jouer le meilleur ami gay"
Si pour jouer les hétéros, il fallait montrer patte blanche, ce n’est pas pour autant que les acteurs homosexuels avaient accès aux rôles gays. Ces rôles ont pendant longtemps été la chasse gardée des comédiens hétéros. Des interprétations qui leurs ont d’ailleurs valu des tas de récompenses et de nominations. Comme si l’industrie du cinéma voulait saluer leur talent, leur courage à « jouer à l'homo ». Ce fut le cas de Heath Ledger dans Le Secret de Brokeback Mountain, de Tom Hanks dans Philadelphia, de Jared Leto dans Dallas Buyers Club ou de Sean Penn dans Harvey Milk.
Dans une interview accordée à TÊTU en 2017, l'acteur Rupert Everett estimait qu'avoir fait son coming out dans les années 90 lui avait couté sa carrière: "Il y a un énorme prix à payer, expliquait l'acteur. Si tu acceptes, comme je l’ai fait, de négocier avec Hollywood et de jouer le meilleur ami gay, cela te mène très vite dans une impasse. Tu ne peux pas incarner ce rôle pour toujours, mais on ne te propose rien d’autre. Les acteurs hétéros peuvent interpréter des personnages gays sans que personne n’y trouve à redire; Sean Penn peut jouer une folle tordue sans problème. Par contre, personne n’accepte de voir un acteur gay dans un rôle hétéro !"
Mais les choses semblent évoluer. Récemment, des acteurs comme Russell Tovey et Jonathan Groff réussissent à déjouer les étiquettes si chères à l’industrie du cinéma. Ces deux comédiens, tous deux ouvertement gays, passent avec une facilité rafraichissante de rôles straight (Mindhunter pour Groff ou Quantico pour Tovey) à des personnages gays comme dans Looking (série dans laquelle les deux acteurs jouaient ensemble) ou Years and Years. Personne ne remet en question que ces deux acteurs puissent camper crédiblement des rôles « hétéros ». Qu’ils puissent être considérés comme des acteurs, tout simplement.
Peut-être que le regard du spectateur.trice a muri. Peut-être aussi qu’il n’a jamais été réellement hostile à l’idée de voir des hommes ou des femmes ouvertement homosexuel.le.s incarner des personnages hétéros. Et que les studios ont par dogme perpétré une discrimination à l’égard de ces comédien.ne.s qui n’avait pas lieu d’être.
Côté série, de Glee à Pose, le producteur Ryan Murphy a permis à des tas acteurs queers de jouer des rôles hétéros (comme Jonathan Groff dans Glee) mais aussi d'incarner à l'écran des personnages en adéquation avec leur sexualité. Et c’est une évolution importante. Dans son long post de coming out, Connor Jessup expliquait : « Je suis out depuis des années dans ma vie personnelle. Mais pas publiquement. J’ai joué ce jeu fastidieux. J’ai joué des personnages gays avec une distance presque anthropologique, comme s’ils étaient différents de moi » poursuivait-t-il.
Hollywood semble lui autoriser aujourd'hui à jouer les passe-murailles. De passer de rôles queers dans « Closet Monster » ou dans « Fragments » à celui d'un jeune lycéen hétéro dans Locke & Key. Tout comme parvient à le faire son petit ami, Miles Heizer ou encore Brandon Flynn, autre acteur de 13 Reasons Why, lui aussi ouvertement gay, et qui joue également le rôle d’un jeune hétéro dans la série produite par Selena gomez.
Modèles inspirants
Un acteur n’a plus nécessairement besoin d’être une toile blanche pour séduire un public. Tant mieux. Cela permet à toute jeunesse LGBT+ de voir en eux des rôles modèles inspirants. Et au public tout entier de découvrir des comédien.nes passionnant.e.s. Qu’en est-il en France ? Disons pudiquement qu’on a encore 20 ans de retard…