Avec ses quatre versions à travers le globe, The Circle fait la part belle aux candidats et candidates queer, mais cette inclusivité trouve ses limites dans le jeu, qui valorise la tricherie, faux profils et séduction. La version française, elle, fait profil bas.
Ce 9 avril, alors que la France entamait son 24è jour de confinement, Netflix lançait la version hexagonale de The Circle. Dans cette télé-réalité, dont c’est la quatrième itération après la Grande Bretagne (diffusée sur Channel 4), les États-Unis et le Brésil, des candidats et candidates sont isolé·e·s dans des appartements, sans se voir, et ne peuvent communiquer ensemble que grâce au réseau social donnant son nom à l’émission. Une expérience assez méta qui se révèle vite addictive depuis nos écrans en quarantaine. Le but du jeu est simple : éviter, dans la mesure du possible, de se faire éliminer par les autres en devenant le ou la plus populaire du Cercle.
Pour ce faire, et avec la coquette somme de 100 000€ en ligne de mire pour le ou la gagnante, il faut donc apparaître sous son meilleur jour, quitte à mentir. Certain·e·s optent pour le naturel, d’autres, en revanche, avancent masqué·e·s avec de fausses identités et des photos bidons. Dans la version originale anglaise, on les appelle des “catfish”. Dès son entrée dans l’arène, chacun·e est alors libre de jouer sur son âge, son physique, son genre ou sa sexualité… Mais toutes les versions de The Circle ne sont pas égales en ce qui concerne la représentation des personnes queer. Sans grande surprise, et même si la bienveillance et la camaraderie sont de mise dans les différents pays, c’est bien la drague hétéronormée qu’utilise la plupart des candidat·e·s pour avancer leurs pions.
Des candidat·e·s très queer
En Grande Bretagne, en saison 1, alors que l’émission était en plein rodage de son concept, une majorité des participant·e·s passait pourtant le plus clair de son temps à se chauffer par DM interposés. Freddy, seul locataire queer de cette saison, se mettait dans la peau d’un homme hétéro en adoptant tous les codes du “bro”, et les conversations de vestiaires avec ses potes masculins allaient bon train. La communauté LGBT n’en sortait pas toujours grandie, mais heureusement, la saison suivante pouvait compter sur l’adorable Tim, quinqua en couple avec un homme, ou encore Paddy, jeune homme gay atteint de paralysie cérébrale, et enfin Emelle, qui se décrit comme “lesbienne et fière”.
La version américaine offrait aussi une belle diversité de personnages, dont un homme gay, Chris, et pas moins de quatre femmes bisexuelles (deux authentiques et deux “fake”). Le Brésil n’était pas non plus en reste avec également quatre filles bisexuelles (dont trois d’entre elles sont des “catfish”), Dumaresq, DJ et artiste homosexuel, et Loma, une lesbienne “butch”. Cette inclusivité et cette diversité n’étonnent pas Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue spécialiste des télé-réalités : “Dès les premières saisons du Big Brother brésilien (dont la diffusion à commencé en 2002 et qui se poursuit encore aujourd’hui, NDLR), on a vraiment une recherche de représentativité de la société à travers le métissage culturel”. Côté français en revanche, la visibilité queer est en berne avec un seul candidat gay, Gary.
Les limites de la représentation
Mais ce qui a agacé une partie du public, c’est que certaines personnes queer du jeu retournent dans un placard tout à fait symbolique. Emelle, qui a participé à la deuxième salve de The Circle Grande Bretagne, a laissé à la communauté un goût amer. Cette dernière, qui se présentait comme “lesbienne et fière de l’être”, est ainsi entrée dans la ronde en tant qu’hétéro. Voici comment elle justifiait sa démarche lors de son introduction : “Être gay apporte son lot de difficultés, entre les filles qui sont intimidées par toi et les mecs qui essayent de te faire changer de bord, c’est juste épuisant. [...] Donc ici, je vais la jouer hétéro. Parce que, pour être honnête, c’est plus simple”.
Même chose pour Loma au Brésil, qui avançait sous les traits de Lucas, un homme blanc hétéro, pour être sûre de mettre toutes les chances de son côté au grand bingo des privilèges, et Karyn aux États-Unis, lesbienne à l’allure “masculine” qui a opté pour le profil d’une inconnue correspondant aux standards de beauté féminin, Mercedeze, dont elle a fait une bisexuelle.
Parmi les hommes gays présents dans les différentes versions, certains ont choisi d’adopter des identités moins “clivantes” : c’est le cas de Freddy, devenu hétéro, ou des jumeaux Lucas et Marcel incarnant Luma, gravure de mode bisexuelle, ou encore de Raf qui a utilisé le profil d’Ana, sa meilleure amie féministe et militante body positive. À ce jour, dans The Circle, aucune lesbienne n’est entrée dans le jeu sans modifier son orientation sexuelle. Une nouvelle invisibilisation pour les lesbiennes, qui en souffrent déjà tant dans la société.
La bisexualité, cliché pornographique
À l’inverse, on note une sur-représentativité des femmes bisexuelles, dont beaucoup de “fakes” : persiste alors l’idée que, dans un jeu (et par extension un monde) où les rapports de pouvoir et de séduction sont hétéronormés, une femme bisexuelle peut “attirer dans ses filets” des membres des deux genres. Un cliché façonné par le male gaze et une certaine industrie pornographique. Son pendant masculin, encore tabou, reste, lui, désespérément absent des plateaux de télé-réalité.
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La dernière apparition en date d’un candidat bi, c’est Carlton Morton dans Love is Blind (un jeu de dating 100% hétéro, toujours sur Netflix). Lorsque ce dernier révèle sa bisexualité — révélation qu'il vit avec beaucoup de honte — à sa prétendante, celle-ci explose et rompt aussitôt les fiançailles. Mais au moins, il avait le mérite d'exister.
Et la France dans tout ça ?
Car en 2020, la téléréalité en France ne semble pas prête à mettre en avant des personnes LBT. La version française de The Circle n’a ainsi accueilli qu’un seul candidat queer : Gary, 30 ans, barman aux Sables-d’Olonne. Catapulté dans le jeu dès le premier épisode, ce dernier s’avère être un candidat immédiatement attachant et solaire, un peu commère sur les bords, mais pas très stratégique. “Je revendique mon gay power à fond. J’aime les hommes, et ils me le rendent bien” dit-il lors de sa présentation. Au moment d’ajouter une deuxième photo à son profil, après une première souriante et en plan serré, il opte pour un cliché en noir et blanc dont on se souviendra longtemps : lui, de dos, nu sous un tablier. Les candidats et candidates en sont resté·e·s bouche bée. Il explicitera plus tard ce choix sur les réseaux sociaux : “Je voulais tellement séduire les garçons du Cercle”.
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Le coming-out, encore et toujours
La télé-réalité a décidément du mal à jouer la représentation. Et quand elle le fait, c'est souvent au travers des mêmes prismes. En 2001, lorsque le public découvre la première émission du genre, Loft Story, sur M6, Steevy remporte tous les suffrages. La machine télé-réalité était lancée, et avec elle, la grande histoire des “coming-out stories”. En 2009, la saison 2 de Mon Incroyable Fiancé sur TF1, dans laquelle un jeune homme révèle son homosexualité à sa famille, qui vit très mal la nouvelle, ce message est diffusé avant chaque épisode : “L’histoire que nous allons raconter n’est pas seulement un divertissement, c’est aussi et surtout un message pour la différence, la tolérance et le respect de l’autre”. Pour Nathalie Nadaud-Albertini, “ça montre la violence du silence et du rejet, mais il y a aussi l’idée que l’identité gay ou lesbienne est présentée comme étant conditionnée à l’acceptation par les hétérosexuels”.
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Mais durant les dernières décennies, la télé-réalité française laisse finalement peu de place aux personnes LGBT pour raconter d’autres histoires que celles de leur coming-out. Si le genre a évolué en même temps que la société, pour laquelle ce type d’annonce est de moins en moins extraordinaire, les lesbiennes, elles, sont rares — on pense notamment à Samantha et Nathalie de Secret Story (saison 2), ou encore Fanny et Mélanie de La Villa des Cœurs Brisés (saison 3) — et correspondent toutes à une certaine idée de la féminité. Car la télé-réalité, comme le rappelle Nathalie Nadaud-Albertini “c’est la culture du clash, de la performativité du genre, et ce d’ailleurs que l’on soit un homme ou une femme”. Il est donc difficile, pour celles et ceux qui ne s’y conforment pas, d’y trouver une place. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la saison 2 de The Circle soit à la hauteur de ses aînées.