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musiqueOn a parlé de David Bowie, de maquillage et de modèles queers avec Declan McKenna

Par Ana Benabs le 04/09/2020
Declan McKenna

Deux albums, cinq ans de carrière et une tournée internationale : à 21 ans, Declan McKenna semble avoir déjà vécu plusieurs vies. Pour TÊTU, le jeune prodige anglais nous a raconté son parcours, de son amour pour David Bowie à son désir de balayer les codes de genres. Rencontre.

À l’âge où beaucoup sont occupés à réviser le bac, Declan McKenna sortait son premier titre « Brazil », et se retrouvait propulsé au devant de la nouvelle scène indie rock internationale. Cinq ans plus tard, le jeune anglais dévoile « Zeros », un second album aux sonorités seventies mais dont les textes post-adolescents l’ancrent parfaitement dans son époque. S’il a délaissé les smoky eyes dégoulinants (cf : la pochette de son premier disque), il continue sa route sans se soucier de rentrer ou non dans des cases. « Ces garçons te disent toujours quoi faire, tu réponds je peux être ce que je veux », chante-t-il dans un de ses morceaux. Et c’est ce qu’on lui souhaite.

Tu sors ce jour « Zéros », ton deuxième album. C'est quoi la genèse de ce disque ?

En réalité, je n’ai jamais cessé d’écrire depuis le premier album, mais c’était quand même une sacré transition dans ma vie. J’ai dû trouver de nouvelles méthodes une fois parti de chez mes parents. Après le premier disque, je savais ce que j’aimais ou non en terme d’écriture. J’avais suffisamment d’expérience en studio pour me sentir plus confiant et développer les idées que j’évoque dans mes chansons. Tout ce que je voulais, c’était éviter d’être trop indulgent avec moi-même.

On a parlé de David Bowie, de maquillage et de modèles queers avec Declan McKenna

Qu’est ce qui a changé dans ta vie en trois ans, entre ton premier disque et celui-ci ?

Tellement de choses ! Déjà, j’ai déménagé à Londres, et changé trois fois de maison. J’ai cherché à comprendre ce que je voulais en tant qu’artiste, ce que je n’avais pas eu le temps de faire auparavant. Désormais, je me connais mieux en tant que musicien et en tant que personne, et je n’ai pas l’intention de m’arrêter là.

Tu peux me parler de ce Daniel, que tu évoques dans l’une de tes chansons ?

Daniel est quelqu’un de différent pour chacun d’entre nous. Il est le reflet des risques que l’on encourt lorsque l’on refuse de comprendre les gens qui font notre monde. Il est perdu, et la fin de mon disque suggère que son histoire se termine mal. Il a été poussé depuis tout petit à ne pas explorer des issues de secours, qu’il s’agisse de réalité virtuelle ou des drogues, ou même de construire une fusée pour s’échapper. Mais ce ne sont que des métaphores…

En parlant de fusée, ta chanson « Be an Astronaut », c’est un clin d’oeil à David Bowie ?

J’ai vraiment voulu ajouter une vibe Bowie des années 70 à ce titre. En la commençant, je n’y pensais pas forcément, mais une fois terminée, impossible de dire que je n’avais pas été influencé par lui. Ses idées et son énergie m’ont vraiment poussées à m’adapter en tant qu’artiste, et à laisser l’enfant à l’intérieur de moi guider mes choix.

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Il fait partie de tes modèles ?

Clairement ! Il est l’un des rares artistes dont la musique et le style m’ont inspirés quand j’étais en pleine adolescence. Il m’a aidé à trouver mes marques, à me comprendre, à me poser les bonnes questions au sujet de mon identité et à me sentir bien avec ce que je suis. D’autres artistes ont pris le relais, St Vincent, T-Rex bien sûr, Kate Bush… Il y en a tellement ! J’ai l’impression que les groupes que tu écoutes quand tu as 13/14 ans restent avec toi pour toujours et ont un impact énorme sur le reste de ta vie.

Depuis tes débuts, tu flirtes avec le genre via le maquillage, les vêtements ou les bijoux. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?

J’ai toujours pensé que se conformer aux genres standards était assez étrange. Je n’ai jamais compris l’intérêt de regarder quel vêtement était pour femme ou pour homme : si j’aime cette fringue, alors je la porte et c’est tout. La scène m’a très vite permis de m’exprimer librement, et j’espère que ça pourra inspirer d’autre gens à faire la même chose. Je fais partie d’une génération qui rejette de plus en plus ces constructions sociales, tout comme elle rejette le culte de l’argent ou de la nation par exemple.

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C’est quelque chose que tu réserves à la scène, ou ça fait partie de ta vie de tous les jours ?

Maintenant que la musique est devenu mon travail, je sais qu’en tant que performer je dois absolument faire passer mes émotions par mon image. C’est clair qu’il y a des jours où je ne vais pas avoir envie de mettre des paillettes ou du maquillage pour sortir, car parfois je suis juste flemmard (rires). Mais c’est quelque chose qui me tient à coeur, même si c’est très lié à la scène car c’est là où j’ai le droit d’apprécier cela. Et si je ne porte pas de maquillage tous les jours, j’ai du vernis quasiment tout le temps par contre.

Ce n’était pas trop dur à affirmer au début de ta carrière ?

Pour moi, pas vraiment. Je me suis senti soutenu dans mes choix, ça n’a pas été un sujet tabou, je me suis toujours présenté comme je le souhaitais et c’est tout. Je ne dis pas que comprendre ma propre identité a été quelque chose de simple, mais je comprends que pour d’autres, c’est un processus bien plus effrayant. J’ai eu la chance d’être bien entouré, le monde est toujours rempli d’une ignorance encore très violente pour beaucoup de gens.

Et vis à vis de ta famille, ça s’est passé comment ?

Ma famille et mes amis me soutiennent, quoi que je fasse. Attention, je stresser en portant un vêtement et me demander : « Et si ma mère n’aime pas ça ? » (rires). Mais je pense qu’au bout du compte, elle sera toujours derrière moi. C’est quand même étrange parce que, quand tu es en tournée et que tu t’éloignes de ta famille pendant un bout de temps, ce que j’ai fait très jeune, tu grandis loin d’eux et tu ne les retrouve qu’en rentrant à la maison. Et parfois, tu as tellement tête dans le boulot que certaines parties de toi peuvent changer en route. Heureusement je me suis toujours senti compris en rentrant chez moi.

On a parlé de David Bowie, de maquillage et de modèles queers avec Declan McKenna
Pochette de "What Do You Think About the Car?", le premier album de Declan McKenna

 

Donc apparaître maquillé sur la pochette de ton premier album par exemple, ça n’a pas fait débat dans ton entourage ?

Ahem, j’ai quand même du avoir quelques conversations à ce sujet avec eux, à propos du genre et de l’expression de soi ! Tu vois, je ne m’attends pas vraiment à ce que des personnes de mon entourage plus âgées ou fermées d’esprit ne comprennent complètement pourquoi je fais ce que je fais, ni comment j’aime m’exprimer en tant que performer. Mais ma famille m’écoute, je ne me suis jamais senti attaqué ou jugé par mon cercle proche. Après, ce genre de discussion est plus facile à avoir aujourd'hui qu’il y a quelques années.

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Tu te sens à l’aise à Londres, pour t’habiller ou te maquiller comme tu le souhaites ?

C’est plus safe que dans certains autres endroits du pays, oui, mais je ne dirais pas que je me sens complètement en sécurité. J’ai toujours cette petite voix dans la tête quand je m’apprête à sortir qui se demande : « Est-ce que je devrais porter ça ? Et si quelqu’un trouve que c’est bizarre ? » Il m’arrive encore d’enlever mon vernis à ongles à paillettes si je me rend dans un endroit où je ne me sens pas en sécurité. Je ne pense pas qu’il existe dans le monde une zone où la liberté d’expression est complète et sans exception. Il y a toujours des gens qui n’ont pas été éduqués à accepter les autres sans concessions. Le seul endroit où je me sens en parfaite sécurité c’est sur scène, car je peux y faire absolument tout ce que je veux (rires).

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Tu penses que c’est compliqué pour un.e artiste aujourd’hui de s’habiller comme iel veut ?

C’est difficile à dire, car je ne sais pas sous quelle pression sont les autres. Je pense que nous sommes dans une ère où il est plus accepté que les artistes expriment leurs identités comme ils le souhaitent, mais cela ne veut pas dire que c’est systématiquement plus simple, et que la société n’a pas encore un long chemin à parcourir.

Tu as sorti ton premier tube à 15 ans. Qu’est ce que ca fait de grandir sous les yeux du public ?

C’est un peu étrange, j’ai beaucoup changé ces cinq dernières années. Il y a beaucoup de gens qui pensent que j’ai encore 15 ans ! Ca peut être frustrant de voir les gens parler de toi comme si tu avais le même âge qu’avant, mais généralement ça va. Je ne vais pas cesser de grandir, donc j’ai appris à ne plus faire attention à la manière dont on peut me percevoir. Je me répète surtout : « Écoute-toi et parle pour toi ». J’ai l’impression de n’avoir pris conscience de ça que trop récemment.

Tu te sens comment face à ta fanbase LGBTQ+ ?

Je ne le vois pas comme une responsabilité, je suis simplement content d’offrir aux gens un endroit où ils se sentent en sécurité et heureux. À mes concerts, il y a une tolérance zéro envers les opinions bigotes et ignorantes dirigées vers quiconque, qu’ils s’agisse des gens sur scène ou dans le public. Si quelqu’un essaie de mettre quelqu’un d’autre mal à l’aise, il n’a pas sa place à mes concerts.

Ça te semble logique que les adolescents aient besoin de grandir entourés de modèles ?

Oui bien sûr ! Je crois que ça fait partie des raisons pour lesquelles je fais ce métier aujourd’hui, c’est savoir que j’ai trouvé mes héros dans certains artistes et qu’il y a d’autres enfants maintenant qui ont besoin de les faire se poser les bonnes questions, de les aider à comprendre qu’ils peuvent être qui ils souhaitent.

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On retrouve beaucoup d’influences rock des années 1970 dans ton album. C’est une époque qui te parle ?

Totalement ! La fin des années 1960 avec « Pet Sounds » des Beach Boys, les Beatles… Les gens exploraient la musique et les identités d’une manière folle et complètement inédite. C’était rempli d’espoir, il y avait tant de nouvelles idées qui n’avaient pas encore été découvertes. C’est une ère super excitante à mes yeux.

Malgré tout, tu te sens bien dans ton époque ?

Oui ! Déjà parce que je pense qu’il y a énormément d’espoir dans ma génération. Et puis il existe toujours plein d’expérimentations musicales possibles ! Les artistes prennent de plus en plus conscience que la musique est un médium qui peut être massif. C’est une ère bien plus libre, où composer est mille fois plus accessible, on peut faire tant de choses à la maison par exemple.

Une thématique revient souvent dans ton album : « être qui l’on veut ». Toi, tu veux être quoi maintenant ?

Heureux, vraiment. Pour moi, et dans la façon dont je peux impacter la vie des gens. Mes paroles peuvent être perçues comme assez négatives, car elles sont le reflet d’un monde divisé et misérable. Mais ce que je veux, c’est exactement le contraire de ce monde. J’aime me dire qu’on se dirige vers une ère où il est possible de s’identifier ou de ne pas s’identifier à un genre, un groupe, au corps dans lequel on nait. Il n’y a rien de pire que de se sentir forcé de se présenter d’une manière que l’on a pas choisi. Je suis certain que ça va changer, je ne sais juste pas combien de temps ça prendra.

 

Declan McKenna
Album "Zeros" déjà disponible
Because Music 2020