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interviewFrançois Hollande : "Le mariage pour tous était une loi pour l’ensemble de la nation"

Par Adrien Naselli le 08/01/2021
François Hollande associations LGBT réunion de travail

La loi sur le mariage pour tous aura marqué son quinquennat. Mais c’est sa ministre qui en a hérité des lauriers. Depuis, 50.000 couples de même sexe se sont passé la bague au doigt. L’ancien président de la République François Hollande, qui travaille à “une nouvelle force politique” pour 2022, défend son bilan.

Interview Adrien Naselli et Romain Burrel

On lui en veut. On lui en veut de la manière dont les débats ont été menés. Certains disent même que la loi sur le mariage pour tous s’est faite malgré lui. Qu’à force de renoncements, de manque de préparation, de petites phrases fumeuses comme celle sur la “liberté de conscience” des maires, il a donné de l’oxygène à La Manif pour tous. Et puis on lui en veut aussi de l’abandon pur et simple de la PMA pour toutes, une promesse de campagne.

Après des décennies de lune de miel entre les personnes LGBT+ et le Parti socialiste, certain·es ont demandé le divorce. Alors TÊTU a voulu revoir l’ancien président de la République pour qu’enfin il s’explique. Ça tombe bien. En ce moment, il parle – beaucoup. Le socialiste a ses explications. Quelques regrets. Et quelques tacles à distribuer en passant : à son successeur, à la droite, à ses proches d’hier. François Hollande nous reçoit dans ses bureaux de la rue de Rivoli, à deux pas de son ancien lieu de travail, le palais de l’Élysée. Facétieuse, sa conseillère en communication demande s’il accepte de poser nu en couverture de TÊTU. “J’attends ça depuis vingt-cinq ans !” répond-il du tac au tac.

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On fête les 25 ans de TÊTU. La gauche a marqué ces années avec le mariage pour tous et le vote du pacs. Avez-vous la sensation que les homosexuels doivent quelque chose au PS ?

Il y a suffisamment de critiques adressées à la gauche concernant ce qu’elle n’a pas fait aussi vite qu’espéré pour saluer ce qu’elle a été capable de réaliser comme grandes réformes. C’est elle qui, par le vote de ses parlementaires, a favorisé l’adoption de la loi sur l’IVG. C’est l’élection de François Mitterrand en 1981 qui a permis d’abolir en France de la peine de mort, et c’est la gauche qui a mis fin à la pénalisation de l’homosexualité. C’est avec le gouvernement de Lionel Jospin qu’a été introduit le pacs. Déjà en 1999 une partie du mouvement LGBT+ nous interpellait : “Vous n’êtes pas allés jusqu’au bout !” Nous l’avons fait en 2013 avec le mariage, mais la PMA ne figurait pas dans le texte. On nous l’a reproché. C’est toujours la même fatalité qui pèse sur la gauche : elle procède par étapes, alors que tout est attendu d’elle, tout de suite. Or le sens même de l’action réformiste, c’est de considérer que le progrès, les avancées, la modernité se conquièrent pas à pas.

Justement, pourquoi n’avez-vous pas adopté la PMA pour toutes en même temps que le mariage pour tous ?

Beaucoup de parlementaires socialistes y étaient favorables. Avec la ministre de la Justice Christiane Taubira et le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, nous avons considéré que, comme le texte sur le mariage et l’adoption relevait du droit civil, il ne pouvait intégrer la PMA qui entrait dans le champ des lois bioéthiques. Je voulais aussi marquer un temps d’apaisement. J’ai donc saisi le Comité national d’éthique pour qu’il organise des états généraux sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, laquelle a recueilli une large approbation des Français.

Vous avez donc cédé à La Manif pour tous ?

Non. Parce que ce n’est pas la PMA qui mobilisait les tenants de La Manif pour tous. Ce qu’ils contestaient, c’était le mariage et le droit à l’adoption, car ils reconnaissaient la filiation pour les couples homosexuels.

Mais c’était une promesse de campagne de François Hollande, au même titre que le mariage…

Je l’avais même annoncé dans TÊTU ! Je regrette de ne pas avoir pu disposer de suffisamment de temps pour réaliser cette promesse. Mais les avancées sociétales ne sont pas le fruit de la seule volonté d’un président de la République ; elles sont le résultat de combats menés par les citoyens eux-mêmes. La construction d’un rapport de force est essentielle pour conquérir des libertés. La gauche et le mouvement LGBT+ ont sans doute sous-estimé la rudesse du combat qui nous attendait sur le mariage, alors même que nous avions déjà eu l’expérience de l’affrontement sur le pacs, avec des jours et des nuits de blocage parlementaire à l’initiative de la droite. En 1998, un incident de vote au Parlement avait justifié que, comme premier secrétaire du PS, je reçoive les associations pour les rassurer sur nos intentions face à la vague d’homophobie. Un couple de lesbiennes m’avait confié : “Vous savez, ce qui compte pour nous, c’est la filiation. Nous avons des enfants de nos vies antérieures. Ils seront hétéros ou homos, mais nous voulons les élever et leur transmettre nos biens, comme des parents de plein droit.” J’ai trouvé cette revendication tellement forte que je me suis promis de ne pas en rester là et d’aller jusqu’au mariage et à l’adoption.

Dès les débats sur le pacs, vous souhaitiez que le mariage pour tous soit au programme de la gauche si elle revenait au pouvoir ?

Certains avaient l’idée de renforcer le pacs sans aller jusqu’au mariage. Puis, lors de la campagne présidentielle de 2007, Ségolène Royal a inscrit dans son programme le droit au mariage pour les personnes de même sexe. Et quand on connaît Ségolène Royal – et je la connais bien (Rires.) –, cette proposition pouvait surprendre. Mais, comme ministre de la Famille du gouvernement Jospin, elle avait voulu être la ministre de toutes les familles et avait beaucoup échangé avec les associations de parents homosexuel.les. Son soutien au mariage pour tous a été un acte important au sein de la gauche. Je vous rappelle les réserves que Lionel Jospin avait exprimées sur ce sujet.

Comment se fait-il que la PMA, promesse d’Emmanuel Macron, ne soit toujours pas adoptée ? Il n’a pas appris de vos erreurs ?

Si Emmanuel Macron avait dû tirer une leçon de notre expérience, c’eut été de faire voter la PMA dès le début de son mandat, mais je rappelle qu’il avait prétendu dans une formule malheureuse que j’avais “humilié” les manifestants de La Manif pour tous en procédant ainsi, alors que le Parlement avait passé des mois à écouter tous les points de vue. J’ai même reçu Frigide Barjot [première porte-parole du collectif La Manif pour tous] à l’Élysée ! Vous parlez d’une humiliation !

Regrettez-vous de l’avoir reçue ?

La Manif pour tous répétait que le président de la République l’ignorait. C’était faux. J’ai donc reçu une délégation et demandé à Frigide Barjot : quelle est votre revendication ? Elle m’explique qu’elle n’est pas opposée à l’idée d’une union pour des couples de même sexe, mais qu’elle est hostile à toute reconnaissance de la filiation. Bref, elle exige le retrait pur et simple du texte. Fermer le ban.

Mais pourquoi ne pas avoir été plus ferme avec La Manif pour tous ?

Nous l’avons été à l’égard de ses porte-paroles les plus extrémistes. L’homophobie est un fléau qui a toujours existé, et nous n’en avons pas terminé, pas plus qu’avec le racisme. Rien ne doit être toléré. Je n’ai pas accepté les insultes honteuses contre Christiane Taubira, les jurons de certains députés lors des débats et les injures des manifestants à chacun de mes déplacements. Sur le mariage, j’ai moi-même mis fin aux discussions parlementaires, qui n’avaient que trop duré. L’obstruction visait à entretenir les manifestations. Par cette décision d’autorité, j’ai coupé court à la montée des exaspérations et des affrontements.

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Pendant ce temps, les personnes LGBT+ ont dû vivre avec un débat public très violent…

Je n’ai jamais imaginé que cette bataille pour l’égalité serait une promenade de santé. En 2011, alors candidat, j’expliquais à Libération que ma grande loi de société serait celle sur le mariage des couples de même sexe. Sourire dans la salle. Ce texte-là ? Ce sera une formalité, me disait-on ! Je leur ai répondu : détrompez-vous. Il y aura la coalition de ligues de vertu et des grandes religions pour s’opposer à cette reconnaissance. J’avais hélas raison. Durant huit mois, avec des moyens financiers considérables, un usage habile des réseaux sociaux et une forte implication de la hiérarchie catholique, sans compter la présence d’anciens cadres militaires rompus à l’exercice de la manif en mouvement, la protestation s’est organisée. À chacun de mes déplacements, des gens sortis de nulle part agitaient leurs drapeaux bleus et roses et criaient… D’autres priaient autour des édifices religieux. Des députés de gauche se faisaient harceler ! Je n’oublie pas l’obstruction parlementaire, qui a été menée par la droite, laquelle jurait d’abroger le texte dès son retour au pouvoir. Certains d’entre eux sont d’ailleurs ministres aujourd’hui…

Vous pensez à qui ?

À Gérald Darmanin, par exemple [actuel ministre de l’Intérieur, qui a défilé avec La Manif pour tous], et à tant d’autres ! Il faut se souvenir des paroles définitives que la droite a utilisées dans le débat et se rappeler ce que Chrstiane Taubira et les rapporteurs du texte ont subi ! Mais, lors de la campagne présidentielle de 2017, aucun candidat n’a osé remettre en cause le mariage pour tous. À peine Marine Le Pen, laquelle d’ailleurs n’était pas présente dans les manifestations. Sa nièce, oui…

Parce qu’il y a autour d’elle beaucoup d’homosexuels ?

Peut-être, mais j’ai aussi connu des homosexuels qui défilaient dans les manifestations contre le pacs ou le mariage ! Le critère de l’orientation sexuelle n’est pas un critère politique. Si tous les homosexuels votaient à gauche, ça se saurait ! Même si la gauche s’est toujours battue pour faire reconnaître leurs droits.

Aujourd’hui, pourquoi un tel silence de vos opposants de droite sur le mariage pour tous ?

C’est votre victoire ! C’est vous qui avez convaincu. La bataille de l’opinion publique est gagnée. Nul ne comprendrait qu’un parti républicain puisse revenir sur une loi de liberté.

En 2014, Nicolas Sarkozy dit aux militants de Sens commun qu’il abrogera le texte s’il est réélu…

Mais personne n’y a cru ! Même pas Nicolas Sarkozy quand il a fait cette promesse. Nul ne pense qu’il serait concevable de revenir sur une législation désormais partagée par presque tous les pays d’Europe. Une grande loi, ce n’est pas celle qui confère un succès à ses auteurs au moment où elle est votée. C’est un texte irréversible qui fait avancer la cause de la liberté. Le risque, c’est que certains tentent de revenir non sur le mariage, mais sur le droit à l’adoption, comme l’avait proposé François Fillon en 2012.

On parle de la loi Taubira, pas de la loi Hollande, est-ce que vous le vivez comme une brûlure ?

L’IVG, c’est Simone Veil. L’abolition de la peine de mort, c’est Robert Badinter. C’est le Parlement qui vote une loi présentée par un ministre. Le président ne fait que la promulguer. Mais, si je n’avais pas été élu en 2012, les homosexuels ne pourraient toujours pas se marier en France. Quand je propose à Christina Taubira de devenir garde des Sceaux, elle demande à réfléchir. Comme je le rappelle souvent, une femme s’interroge sur sa compétence avant d’accepter un poste, alors qu’un homme croit qu’il peut briguer une responsabilité plus importante. Elle m’interroge alors sur la question du mariage. Sera-ce à elle, garde des Sceaux, de défendre cette réforme ? Ce n’était pas un des sujets sur lesquels elle avait jusque-là travaillé au Parlement, et, comme élue de Guyane, elle savait que les Ultramarins étaient réservés sur le mariage. Elle a donc été courageuse et s’est investie dans cette mission avec tout son talent, qui est grand.

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Elle disait récemment à TÊTU qu’elle avait failli “tomber de sa chaise” quand vous avez parlé de “liberté de conscience des maires” [de marier ou non des couples de même sexe]…

Des maires menaçaient de ne pas célébrer les mariages de couples de même sexe. J’entendais leur répondre : le maire n’est pas la seule autorité à exercer cet acte d’état civil, si l’un se mettait en retrait, il y aurait toujours un conseiller municipal pour le prononcer à sa place ! Il n’y a d’ailleurs jamais eu de grève du mariage. Mais, si cette phrase a été mal comprise, c’est qu’elle a été mal exprimée.

Pardon de vous psychologiser, mais est-il possible que François Hollande n’ait pas pris la mesure de l’importance d’un débat sur le mariage parce que lui-même ne s’est jamais marié ?

Tous ceux qui militaient pour le mariage n’avaient pas nécessairement l’intention de se marier ! Ils le faisaient au nom de l’égalité et de la liberté. C’était un beau geste d’adhésion aux valeurs de la République. C’était aussi important pour les familles des homosexuels de partager cette reconnaissance. Les plus chaleureux hommages que je reçois, au hasard des rencontres, ne viennent pas simplement de couples qui se sont mariés ; ils viennent des parents, des frères, des sœurs, des enfants, qui me confient combien cette loi a changé les rapports au sein des familles, dans le voisinage, dans l’école… Cette loi n’a pas été conçue pour une catégorie de citoyens, mais pour l’ensemble de la nation.

Vous écrivez des ouvrages de pédagogie sur les institutions pour l’école. On se souvient que les ABCD de l’égalité avaient été un fiasco. On ne sait toujours pas parler d’homosexualité à l’école ?

Peut-être faudra-t-il que j’écrive un livre sur ce sujet pour en parler aux enfants, comme je l’ai fait sur la République ? Grâce au mariage, l’homosexualité est pleinement reconnue. Elle est d’ailleurs abordée dans les établissements scolaires. Toutes les familles ont les mêmes droits, et tous les parents sont accueillis de la même façon. Quant à l’éducation sexuelle, elle reste trop timidement dispensée. Or il faut en parler, car il y a encore trop de foyers où la violence s’exerce à l’égard de jeunes homos, chassés de leurs domiciles et battus. La loi sur le mariage visait à éteindre une partie de ces comportements. Hélas, ils n’ont pas disparu. La lutte contre l’homophobie doit être menée avec constance et fermeté dès le plus jeune âge.

Quel regard portaient vos homologues européens sur le débat du mariage pour tous ?

Nos amis belges ont adopté la loi dix ans avant nous ! Au moment de La Manif pour tous, en 2012, le Premier ministre belge Elio Di Rupo m’interroge : “Mais que se passe-t-il en France ? Nous sommes voisins, nous partageons la même culture, ici le mariage est une évidence. Chez vous, c’est une bataille. Qu’est devenu le Pays des droits de l’homme ?” Quant à Angela Merkel, qui était circonspecte, pour ne pas dire rétive, elle se disait : “Si la France adopte le texte, ne va-t-on pas devoir le faire en Allemagne ?” Elle résistait à cette idée. Et finalement son groupe parlementaire le lui a imposé. Les Allemands nous ont donc suivis.

Un président ouvertement gay en France, vous y croyez ?

Oui. Le mariage pour les couples de même sexe permet d’imaginer un homme ou une femme homosexuel.les à la tête du pays, arrivant à l’Élysée avec son conjoint ! Au Luxembourg, c’est le cas avec [le Premier ministre] Xavier [Bettel]. Son mari l’avait même accompagné à Rome lors d’une visite au Vatican.

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Le débat sur le mariage n’a-t-il pas été le début d’un divorce entre les personnes LGBT+ et la gauche du Parti socialiste ?

Si la gauche n’avait pas été au rendez-vous, je pourrais comprendre cet éloignement. Si je n’avais pas veillé à améliorer le sort des personnes trans, idem. Mais je n’ai pas fait ces choix pour des raisons électorales. Je ne crois pas à un électorat homo. Je n’ai pas été surpris que l’extrême droite cherche à capter une fraction d’électeurs attachés à la liberté sexuelle, car le Rassemblement national ne se caractérise plus par des positions traditionnelles en matière de mœurs. Il se détermine essentiellement par son rapport à l’islam. À ces citoyens éventuellement tentés par le vote populiste, je leur réponds qu’un régime autoritaire a toujours puni, écarté, maltraité les homosexuels. Et que l’extrême droite a toujours été contre les minorités, contre la diversité, contre la pluralité.

Quelles seraient les mesures que la gauche pourrait prendre en faveur des personnes LGBT+ si elle revenait au pouvoir ?

Faciliter la PMA si elle a été adoptée par le Parlement, et la voter si tel n’a pas été le cas. Lutter contre l’homophobie et les discriminations par des pénalisations plus fortes, et ouvrir des refuges en nombre plus important pour les jeunes chassés du domicile familial. Il y a aussi le statut des personnes trans. En France, on est en retard sur la reconnaissance de leurs droits.

Et la GPA, vous pourriez évoluer sur vos positions ?

Durant mon quinquennat, j’ai fait en sorte que les enfants nés de GPA puissent être reconnus dans les actes d’état civil. Pour le droit à la GPA, je maintiens ma position : je suis contre la marchandisation des corps, mais j’admets que le débat n’est pas clos. Cela dit, même sans marchandisation, la GPA pose de sérieux problèmes éthiques et juridiques.

Avez-vous assisté à des mariages entre couples de même sexe ?

À la fin de mon mandat, une attaque terroriste sur les Champs-Élysées a tué un policier, Xavier Jugelé. Pour la première fois, le conjoint d’un policier gay s’est exprimé dans la cour de la préfecture de police lors de l’hommage qui était rendu à son compagnon. Ensuite, j’ai tenu à participer personnellement à la célébration de leur mariage posthume à la mairie du XIVe arrondissement de Paris. Ce jour-là, j’étais doublement ému.

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