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sériesOn a parlé diversité et visibilité trans avec Shirley Monsarrat, la réalisatrice de "Skam France"

Par Florian Ques le 15/02/2021
skam france

Après six saisons de bons et loyaux services, David Hourrègue confie les rênes de la série à Shirley Monsarrat. Une passation de bâton que la jeune femme honore avec une salve d'épisodes aussi brillante que sensible. TÊTU l'a rencontrée.

Depuis 2018, Skam France fait du bien au paysage audiovisuel français avec des intrigues contemporaines, des personnages attachants et un juste portrait nuancé de l'adolescence. Et la saison 7, actuellement en diffusion sur la plateforme France.tv Slash, ne déroge pas à la règle. Pour ça, il faut applaudir Shirley Monsarrat, la jeune réalisatrice qui succède à David Hourrègue, parti s'occuper d'autres projets pour la petite lucarne. Prendre les rênes d'une fiction avec une aussi grosse communauté, c'est un sacré défi. On en a discuté avec la principale intéressée, en soulignant bien entendu le côté queer assumé de la série.

Skam France cartonne depuis son lancement et c'est désormais toi qui es à la tête de la série. Comment ton arrivée sur le projet s'est-elle déroulée ?

Je suis arrivée par le biais de David [Hourrègue, le précédent réalisateur de Skam France] que je connais depuis très longtemps et avec qui j'avais déjà travaillé. Il m'a soumis l'idée en fin 2019, quand il tournait la saison 6. De fil en aiguille, j'ai rencontré la production. On a beaucoup discuté de ces nouvelles saisons, ils m'ont parlé ce que représentait Skam. Un mois après le premier rendez-vous, j'ai reçu un appel : j'avais été choisie pour réaliser ces saisons 7 et 8.

David était très identifié et apprécié au sein de la communauté de fans. As-tu ressenti une certaine pression à ce niveau-là ?

Oui, évidemment ! Je ne savais pas comment mon travail allait être accueilli et je crois que c'était pareil pour Déborah [Hassoun], la nouvelle directrice de collection. On avait envie de plaire aussi : ce n'est pas parce qu'on changeait d'équipe qu'on voulait changer le programme. Mais bien entendu, on tenait aussi à pouvoir apporter notre touche sur ces deux nouvelles saisons.

Tu ne t'es pas facilitée la tâche en centrant cette septième saison autour de Tiffany, qui était un peu l'antagoniste des précédents épisodes.

En effet, c'était un vrai challenge [rires]. Quand je suis arrivée sur le projet, le choix du personnage était déjà arrêté. C'est-à-dire que j'avais lu les scénarios de la saison 6 et découvert le personnage de Tiff à ce moment-là. On m'a alors dit que la septième saison tournerait autour d'elle. Mais je n'ai pas eu peur, dans le sens où j'en ai aussi eu envie. J'ai vu ça comme un défi, tout comme Lucie [Fagedet, qui incarne Tiff]. Elle risquait d'être détestée au vu de la trajectoire de son personnage mais on s'est dit que ce serait intéressant de traiter une sorte d'anti-héroïne. On a parlé diversité et visibilité trans avec Shirley Monsarrat, la réalisatrice de "Skam France"

Crédit photo : France.tv SlashCette saison attaque fort avec une thématique rarement abordée, que ce soit dans les séries ou au cinéma : le déni de grossesse. Pourquoi ce sujet-là ?

C'est une idée de Déborah Hassoun : avant chaque début de saison, la directrice de collection propose des thématiques. Il y a un débat autour de plusieurs thèmes suggérés et il se trouve que le déni de grossesse remportait tous les suffrages. On avait envie d'en parler parce que c'est finalement peu évoqué et on s'en est rendu compte en travaillant sur le sujet. Il y a beaucoup de choses sur la grossesse adolescente mais peu de choses sur ce sujet précis. Le sujet étant rare et assez extraordinaire, on s'est dit que ce serait une bonne thématique pour Skam France qui reste toutefois un programme pédagogique pour la jeunesse. Peut-être que le fait qu'on soit une équipe assez féminine cette année a aussi fait qu'on était plus sensibles à ce sujet.

Justement, dirais-tu qu'avoir une équipe plus féminine représente une plus-value ?

Je ne sais pas si le fait qu'on a été une majorité de femmes a changé quelque chose. Je pense que David avait parfois une sensibilité féminine, tout comme je peux avoir une sensibilité masculine par moments. Mais peut-être que ça se ressent à certains niveaux : par exemple, pour la bande-son, on a travaillé avec une artiste qui s'appelle Owlle, donc ça donne forcément une tonalité un petit peu plus féminine.

Tu as soulevé le côté pédagogique de la série. Sur ce plan-là, Skam France a inclus le personnage de Max qui donne de la visibilité aux personnes trans. Comment vous est venu l'idée de davantage le mettre en avant durant la saison 7 ?

Je crois que c'était une volonté commune de mettre en avant un personne trans, on en avait toutes et tous très envie. Je sais que c'est aussi important pour Sohan [Pague, l'interprète de Max], donc il y a quelque chose d'assez militant dans cette saison. Mais on avait envie d'en parler sans en parler, c'est-à-dire qu'on voulait que tout le monde sache que Max soit trans sans que ça ne pose de problème. On avait à cœur que ce soit banalisé, qu'il puisse vivre sa relation sans que tout le monde le questionne.

La bande d'ados de la série est justement très inclusive, avec pas mal de diversité raciale, de genre, de sexualités. As-tu l'impression que Skam France reflète une génération qui existe bel et bien ? Ou est-elle plus un idéal vers lequel tendre ?

J'espère qu'elle existe. Sur Paris, je fréquente les comédiens en dehors du tournage et j'ai l'impression qu'on est assez justes. Après, c'est peut-être différent dans les petits villages par exemple. En tout cas, j'ai la sensation que nous, artistes, réalisateurs, créateurs de séries, avons le devoir de représenter davantage la diversité à l'écran. Au vu des premiers retours qu'on a eus, cette représentation a l'air de faire du bien à beaucoup.

On a parlé diversité et visibilité trans avec Shirley Monsarrat, la réalisatrice de "Skam France"
Crédit photo : France.tv Slash

La dimension inclusive, notamment au niveau des questions LGBTQ+, est-elle un des aspects qui t'a personnellement attirée avec la série ?

Oui, déjà parce que je suis lesbienne, donc j'avais très envie de pouvoir pousser cette représentation-là et je trouve effectivement que Skam France a un aspect totalement moderne là-dessus, même si ça peut être jugé utopique. Dans cette bande, ils sont tous très différents sans que leurs différences ne soient des obstacles. Le fait de normaliser tout ça revient à faire bouger un peu les choses. Je pense aussi aux gamins pour qui la vie est plus compliquée, alors si Skam France peut véhiculer un petit message d'espoir ou quelque chose de positif, alors j'en suis ravie.

Quelles étaient tes propres références pour la série qui ont un peu infusé dans les saisons 7 et 8 que tu réalises ?

Il y a bien eu un film qui nous a beaucoup inspirés : c'était It Follows. Je trouve qu'il y a quelque chose d'extrêmement moderne dans ce film, notamment au niveau du traitement des couleurs. Comme David [Hourrègue] partait, on a eu la liberté de pouvoir créer un nouvel univers avec la mif. Donc on a vachement travaillé le stylisme, notamment avec le personnage de Jo. Après, évidemment, je pourrais te dire que Xavier Dolan est quelqu'un qui m'inspire beaucoup dans le liberté qu'il a d'exprimer ses émotions. On avait finalement peu de références adolescentes, on n'a pas essayé de copier ou de trop s'en inspirer.

La saison 8 a déjà été tournée. À quoi peut-on s'attendre ?

Joker ! Malheureusement, je ne peux pas répondre car sinon, je perds mon boulot [rires]. Et en ce moment, ce serait quand même compliqué.

Y a-t-il tout de même des thèmes que tu aimerais aborder ou des personnages que tu aimerais davantage explorer dans d'éventuelles autres saisons ?

Je ne fais pas de langue de bois, mais tous les personnages de Skam France méritent d'être développés à un moment donné, avec des thématiques qui leur sont propres. Pour le moment, ce n'est plus de mon ressort mais je pense qu'il y a plein de choses à faire.

Crédit photos : France.tv Slash