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musiqueMarina : "Je n’avais pas prévu d’écrire un disque politique"

Par Thibaut Pézerat le 18/08/2021
Marina revient avec un nouvel album

Avec Ancient Dreams in a Modern Land, la chanteuse Marina s’attaque au sexisme et au racisme à grands coups de guitare électrique. Entretien.

Deux ans après Love+Fear, Marina (sans ses Diamonds) revient avec un nouvel album, Ancient Dreams in a Modern Land, dans lequel elle hausse le ton contre le patriarcat. À 35 ans, la Galloise signe ici son cinquième opus, le plus rock depuis le début de sa carrière, et confirme le grand retour des guitares électriques dans la pop féminine.

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Ce nouvel album est beaucoup plus politique, mais aussi plus direct dans l’écriture. Pourquoi ce changement ?

Au départ, je n’avais pas prévu d’écrire un disque politique. Je n’ai d’ailleurs pas grandi en m’intéressant à ça. Mais mon travail d’artiste est de refléter ce qui se passe dans le monde. Certaines chansons de l’album ont été écrites en réaction à ce qui pouvait se passer autour de moi. Par exemple, “New America” a été écrite directement après l’assassinat de George Floyd, et “Man’s World” l’a été en pleine prise de conscience féministe, en 2019. Puis j’ai écrit le reste de l’album durant la pandémie, et ma plume n’en est pas sortie indemne !

Son titre est assez énigmatique…

Je le voulais ainsi. J’aime sa consonance un peu mythique. On a tous grandi à l’ère digitale ; les choses changent à une vitesse folle, et il ne faut pas sous-estimer l’impact que ces changements ont sur nous. J’ai parfois un peu l’impression qu’il n’y a pas de feuille de route, pas de guide que l’on pourrait suivre pour comprendre le monde. Ce titre fait référence à l’endroit d’où nous venons. J’ai toujours été intéressée par l’idée de fusionner les traditions, les racines, les ancêtres, avec le monde moderne.

Tu as d’ailleurs été inspirée par le procès des sorcières de Salem…

J’y fais référence dans la chanson “Man’s World”. Je trouve intéressant de constater que les raisons pour lesquelles on brûlait les sorcières à l’époque sont exactement les mêmes que celles utilisées aujourd’hui pour discriminer les femmes.

Faut-il une convergence des luttes ? Les militants contre le racisme, contre le sexisme et pour les droits LGBTQ+ doivent-ils s’allier pour faire tomber les discriminations ?

J’ai vraiment l’impression qu’on fait ça naturellement. Nous sommes punis pour le simple fait d’être qui nous sommes. Alors, évidemment, j’aimerais que tout le monde – les hommes hétéros, les gays, les lesbiennes, les femmes trans, etc. – s’unisse pour combattre le patriarcat… qui fait aussi des ravages chez les hommes hétéros ! On est arrivé à un moment de l’histoire où les choses ne marchent plus du tout. Le système sur lequel on a fonctionné pendant des siècles, voire des millénaires, s’écroule. Et aujourd’hui on est tous dans la même merde.

Lors de ta dernière interview à TÊTU, tu disais ne pas avoir été victime de sexisme dans ta carrière. C’est vrai ce mensonge ?

J’ai surtout reçu pas mal de commentaires sexistes. On a toujours beaucoup commenté mon corps, mon apparence. Même en tournée, tu as parfois des personnes un peu bizarres qui essaient de te toucher. Mais bon, dans l’ensemble, je suis quand même chanceuse, car je n’ai pas été victime de harcèlement sexuel.

Sur ce disque, tu as voulu travailler avec la productrice Jennifer Decilveo (Jeanne Added, Miley Cyrus, Demi Lovato). Est-ce différent de bosser avec une femme à la production ?

Pour ce disque, j’ai vraiment voulu constituer une équipe 100% féminine, et je l’ai revendiqué. Est-ce différent de bosser avec une femme ? Tout dépend de la personnalité de ta productrice. Jennifer est vraiment unique, elle a réussi à créer des textures très chaudes sur tout l’album, et je suis vraiment heureuse du résultat.

Tu retournes à des sons plus rock, avec pas mal de guitares électriques. Voulais-tu un son raccord avec l’état un peu chaotique du monde ?

Inconsciemment, oui ! J’écris d’abord mes chansons au piano avant d’imaginer la production. Pour la chanson “Purge the Poison”, c’est vrai qu’il y a un côté un peu sauvage. La production d’une chanson doit illustrer son propos. Et je suis d’accord que cet album correspond plutôt bien à la nature chaotique du monde dans lequel on vit. Pendant des années, on a écouté beaucoup de sons électroniques très propres. Je voulais retourner à un son un peu écorché, plus naturel, plus brut.

Tu abordes souvent les questions de santé mentale, notamment sur cet album avec la sublime “Highly Emotional People”. Comment tu te sens aujourd’hui ?

(Elle réfléchit longuement.) Pour être très honnête avec toi, je ne me suis pas sentie bien ces dernières semaines. J’ai beaucoup de up and down. L’anxiété et la dépression seront toujours un problème pour moi. J’en ai toujours eu, et c’est un peu frustrant de voir que c’est encore le cas à 35 ans. Parfois, je me demande : “Mais quand est-ce que je vais enfin changer ?” Mais en parler avec toi me fait du bien, car j’ai l’impression que la musique permet de faire tomber le tabou sur le sujet. Je veux dire, c’est pas comme si l’on avait choisi d’avoir ces problèmes-là, non ?

C’est pour ça que tu as désactivé les notifications de Twitter ?

Je ne les ai pas désactivées, je ne les regarde juste plus ! C’est de la pure discipline. (Rires.) Honnêtement, il m’a fallu être forte ! Ça fait deux ans ! Soyons rationnels : pourquoi devrais-je lire toute la journée des commentaires sur moi potentiellement abusifs ? Je ne vais pas m’infliger ça !

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Crédit photo : Marina DR