TRIBUNE - L'actuel Premier ministre conservateur de République tchèque, Andrej Babis, n'est pas arrivé en tête des élections législatives. Mais alors que la situation politique reste volatile à Prague et la composition du nouveau gouvernement incertaine, aucun des horizons qui se dessinent n'est favorable aux personnes LGBTQI+, alerte Krystof Stupka, activiste sur place.
Le samedi 9 octobre, les électeurs tchèques se sont rendus aux urnes pour choisir "l'opposition démocratique" contre le populiste milliardaire actuellement au pouvoir, le Premier ministre Andrej Babis. De nombreuses personnes, et notamment les medias français et internationaux, ont qualifié cette élection de victoire de la démocratie contre le populisme tchèque. Mais malheureusement, encore une fois, les personnes LGBTQI+ sont les perdantes. Si la défaite de Babis est une victoire, la jeunesse queer est tendue et anxieuse.
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Le soir de l'élection, au moment où les résultats ont été connus, j'ai créé un espace sur Twitter où avec une centaine de jeunes queers, nous avons commenté les résultats et tenté de comprendre ce qu'il se passait. Une chose était claire : le nouveau parlement ne nous est pas favorable et les quatre prochaines années ne seront pas joyeuses pour nous.
Dans le dernier classement de l'ILGA-Europe sur les pays qui ont la pire législation dans les domaines LGBTQI+, la République tchèque arrive en 7ème position sur 49 pays. Nous ne pouvons pas nous marier, la loi ne criminalise pas les atteintes à notre communauté et notre pays continue de stériliser de force les personnes transgenres lorsqu'elles souhaitent changer leur état civil.
Aucun député favorable aux droits LGBTQI+
Pour comprendre le sentiment qui traverse notre communauté, il faut jeter un œil à la nouvelle composition du parlement. Non seulement aucun des députés favorable aux droits des personnes LGBTQI+ n'a été élu, mais maintenant, nous avons une majorité favorable à l'interdiction de l'avortement, au retrait de la Convention d'Istanbul, à revenir sur les partenariats civils de personnes de même sexe et, d'une manière générale, en faveur de la limitation des libertés que nous avons acquises pendant la dernière décennie.
La différence, cette fois, c'est que les parlementaires favorables au gouvernement conservateur se rapprochent de l'ultra-droite. Lorsque j'ai discuté à mon amie, Ashley Hirsch, connue pour avoir parlé publiquement de sa transition, elle a décrit cette élection comme une "catastrophe". C'est le parlement le plus conservateur que la République tchèque ait connu dans son histoire et aucune voix progressiste ne se fait entendre dans l'opposition.
Ashley me racontait qu'elle craint les prochaines années. "Cette élection est alarmante pour les personnes trans, personne ne défend nos droits", dit-elle, avouant ne pas savoir si elle pourra terminer sa transition alors que quatre des cinq groupes parlementaires ont déjà exprimé publiquement des positions anti-trans. Malheureusement, je ne peux qu'être d'accord avec elle. Les institutions européennes pressent la République tchèque sur la dépathologisation des transitions. Mais en dépit des décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, le pays continue de pratiquer des stérilisations forcées et inhumaines des personnes trans.
À cette heure, il semblerait que le prochain ministre de la Justice sera Vaclav Benda, un opposant de longue date au mariage pour tous. Il se justifie en disant que "le mariage homosexuel va conduire à la polygamie musulmane et la fin de la civilisation occidentale". Concernant les droits des personnes trans, Vaclav Benda a qualifié les bloqueurs de puberté de "complètement inhumains" et les droits des personnes LGBTQI+ d'"agenda gauchiste". Depuis l'élection, il a déjà dit que "le mariage pour tous devra attendre la prochaine élection".
Une communauté LGBTQI+ épuisée
La jeunesse queer tchèque est épuisée. Nous avons dû endurer une campagne électorale qui a fait de notre communauté un bouc émissaire pour aboutir à un parlement qui va remettre en cause les maigres droits dont nous disposons. Ce qui a été dit dans l'espace public à propos de notre communauté était particulièrement effrayant et nous a profondément blessés. Et encore, les conséquences sur ceux d'entre nous qui découvrent leur identité ne sont pas encore visibles.
Pour vous donner une idée, le président tchèque qualifie les personnes trans de "dégoûtantes". Le vice-président du parlement, Tomio Okamura, qui a grandi dans un foyer, a déclaré qu'il se serait suicidé s'il avait été adopté par un couple gay. Un des députés d'ANO, le parti d'Andrej Babis, a comparé les personnes LGBTQI+ à des pédophiles. Le futur Premier ministre, Petr Fiala, a écrit dans un document de campagne que "les couples de même sexe ne peuvent pas fonder une famille égale aux familles naturelles" et que "la société doit mieux protéger les familles 'traditionnelles' pour leur survie".
Il va sans dire que ces discours trouvent un écho dans la rue. Tout récemment, le rédacteur en chef d'un média LGBTQI+ a été attaqué simplement car il tenait la main de son compagnon dans la rue, par un groupe de personnes l'insultant de "pédé". En tant qu'activiste queer, les menaces de mort sont devenues courantes. À Prague, je ne peux pas quitter mon domicile sans qu'on me crie dessus, qu'on me crache dessus ou qu'on m'insulte. Dans la communauté, tout le monde s'accorde à dire qu'en ligne aussi, les insultes vont en s'aggravant.
Alors, lorsqu'on célèbre la victoire de la démocratie en République tchèque, merci d'avoir en tête les conséquences de cette élection sur nous. Nous sommes enthousiastes à l'idée de voir Babis quitter le pouvoir, mais nous sommes terrifié pour nos droits et nous avons peu d'espoir à la lumière de ce qui nous attend.
Krystof Stupka (he/they) est activiste en République Tchèque et fondateur de reclaimpride.cz
Crédit photo : Hajran Pambudi / Unsplash