LGBTQI+Arte replonge dans la lutte qui a inspiré le film "Pride" 

Par Stéphanie Gatignol le 04/07/2021
ARTE film PRIDE

En 1984-85, des militants gays et lesbiens épaulèrent les mineurs britanniques dans leur grève mémorable face à Margaret Thatcher. La nouvelle collection documentaire d’Arte D’après une histoire vraie revient sur cet épisode et sur le parcours de leur leader, Mark Ashton.  

Des homos londoniens partageant le même combat que des mineurs bien virils trimant au fin fond du Pays de Galles ? Ce scénario improbable, mais vrai (!), a fait le succès de Pride, comédie sociale de Matthew Warchus, remarquée à Cannes en 2014. Salué par la critique internationale, le film plongeait la Croisette-paillettes dans l’une des grèves les plus musclées de l’industrie britannique et en "révélait" l’une des dimensions méconnues : dans la guerre d’usure qui les opposa, dès le printemps 1984, à Margaret Thatcher, les gueules noires purent compter sur le soutien inattendu d’un groupe de militants gays et lesbiens. Et si la résistance des ouvriers se solda par un échec cuisant, la solidarité tissée entre ces deux mondes permit aux droits LGBT d’avancer quelques pions.  

Arte film pride
crédit : collection Christophel

Ashton, militant tout-terrain

La nouvelle collection d’Arte – dont l’ambition est de retracer l'histoire d’engagements qui ont inspiré le cinéma – ne pouvait ignorer la Queer Palm 2014 et son icône gay. Programmé le dimanche 4 juillet à 18h25, l’épisode dédié à Pride nous rappelle que Mark Ashton n’a que 24 ans en 1984. Six ans plus tôt, il a quitté l’Irlande du Nord pour Londres, où il a pu vivre ses premières expériences amoureuses dans une liberté très corsetée. Car si la loi (Sexual Offences Act) a dépénalisé les relations entre hommes en 1967, ces dernières demeurent toujours cantonnées à la sphère privée et les contrôles de police dissuadent fermement ceux qui pourraient être tentés de contrevenir à la règle. 

Dans un climat où l’homophobie demeure préoccupante, et où le sida va bientôt exacerber les peurs, Ashton se démène pour sa communauté. Entouré d’une bande de copains activistes, il  arpente la ville, caméra au poing, pour sonder ses concitoyens sur leur perception de l’homosexualité. Le jeune homme  milite aussi au parti communiste dans une Angleterre qui, en 1983, a reconduit Thatcher pour un deuxième mandat. Madame le Premier ministre est déterminée à accélérer le processus de désindustrialisation ; les ouvriers peuvent s’attendre aux lendemains qui déchantent… 

mineurs militants LGBT, Pride

L’alliance des persécutés

En mars 1984, lorsque la locataire du 10, Downing Street annonce la fermeture de vingt puits jugés déficitaires, le puissant syndicat National Union of Mineworkers (NUM) lance un appel à la grève. Mais Maggie a de la mémoire, et sait que deux mouvements sociaux ont précipité la chute du gouvernement conservateur d’Edward Health durant la décennie précédente ; elle veut en découdre et a préparé son coup. Non seulement la Dame de fer a prévu des stocks préventifs pour anticiper toute paralysie du pays, mais elle n’hésitera pas à recourir à la force pour mater les têtes de pioche. En juin, 6000 agents reçoivent l’ordre de déloger des irréductibles des abords d’une cokerie stratégique : l’affrontement sera d’une telle brutalité que l’histoire le retiendra sous le nom de "bataille d’Orgreave".   

Face à cette violence, Ashton a acquis une conviction : les mineurs et la minorité LGBT partagent d’être persécutés par les forces conservatrices. Il faut faire front commun. En septembre, lui et son ami Mike Jackson forment un mouvement de soutien dans la librairie Gay’s The World. Les Lesbians and Gays Support the Miners (LGSM) iront au charbon pour épauler ces travailleurs fragilisés par des mois sans salaire. L’organisation, qui comptera jusqu’à onze groupes dans le pays, va s’employer à solliciter la population : elle collectera ainsi plusieurs milliers de livres. 

Somerville, pour lutter de concert

Le noyau de Londres, le plus important, quête tous les week-ends devant son QG et ses bars ou boîtes dédiés dans la capitale. Seulement voilà… l’adversaire a un coup d’avance. Comment transmettre l’argent quand les fonds du NUM sont placés sous séquestre ? Ni une ni deux, ses membres décident de livrer leur cagnotte eux-mêmes. Le 25 octobre 1984, 27 d'entre eux partent en minibus pour la vallée du Dulais, au Pays de Galles, direction le village d’Onllwyn, à 300 km de la capitale.

Passé le choc des cultures, les deux communautés, qui ignorent (presque) tout l’une de l’autre, s’apprivoisent, se découvrent, apprennent à se connaître. Logés pendant quelques jours dans des familles dont ils constatent l’asphyxie financière et l’entraide, les voyageurs n’en resteront pas là. Au retour, Ashton a l’idée d’organiser un spectacle, avec Jimmy Somerville pour tête d’affiche et un titre délibérément provocateur – The pits and the perverts concert (le concert des mineurs et des "pervers"). Le show caritatif sera un succès. 

Arte replonge dans la lutte qui a inspiré le film "Pride" 

Deux fiertés côte à côte dans la Gay Pride

Malgré cet oxygène, les mineurs à bout de souffle abdiquent en mars 1985. Sans rien avoir obtenu. Pire : en ayant beaucoup perdu. Thatcher n’a pas seulement confirmé la fermeture des puits, elle a également durablement affaibli le mouvement syndical. Dans un essai publié en 2012, le journaliste de gauche Owen Jones parlera de "chant du cygne du mouvement ouvrier britannique". Défaits, ceux de Dulais n’oublieront pas pour autant la main tendue de leurs alliés LGBT.

En juin, lorsque le cortège de la Gay Pride s’élance à Londres, c’est une fanfare qui donne le la des revendications : une centaine de mineurs ont roulé toute la nuit pour marcher aux côtés de leurs anciens soutiens. Quelques mois plus tard, grâce à l’appui des ouvriers, l’égalité des droits pour les homosexuels et la lutte contre l’homophobie seront inscrites au programme du Labour, le parti travailliste. Mais il faudra attendre la Sexual Offences Act de 2003, sous Tony Blair, pour que les relations homosexuelles soient enfin autorisées et qu’apparaisse la notion de crime homophobe. 

À chaque génération sa quête

Mark Ashton, qui cohabite dans la série d’Arte avec des figures comme l’Abbé Pierre, Lucie Aubrac ou l’Irlandais Gerry Conlon, n’aura pas vu cette conquête. Testé positif au VIH le 30 janvier 1987, il est mort douze jours plus tard, à seulement 26 ans. Cette même année, Thatcher rempilait pour son troisième mandat… En 2018, en mémoire du héros de Pride, la Mairie de Paris accolait son nom au jardin de l’hôtel de Lamoignon, dans le quartier du Marais, tandis qu’outre-Manche de jeunes militants queers empruntaient, à leur tour, le sillon qu’il avait creusé. À Londres, comme autrefois leurs aînés, ils se réappropriaient l’acronyme LGSM pour demander l’obole seaux en main. Changement d’époque : le M ne désignait plus les mineurs, mais… les migrants. 

Mark Ashton : gays et mineurs même combat. (26 mn) Diffusion sur Arte le dimanche 4 juillet 2021 à 17h47 dans le cadre de la collection D’après une histoire vraie. Et sur arte.tv du 27 juin au 1er septembre.   

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