Porté par un jeune casting au diapason, Mysterious Skin aborde le sujet du traumatisme à travers les parcours entrelacés de deux ados gays livrés à eux-mêmes dans une Amérique conservatrice. Un tour de force à revoir.
C'est en 2004 que Gregg Araki dévoile ce qui sera aux yeux de beaucoup l'œuvre la plus mémorable de sa filmographie : Mysterious Skin. Avec en tête d'affiche un Joseph Gordon-Levitt dans la fleur de l'âge, cet Ovni s'est imposé au fil des années comme un classique du cinéma LGBTQI+ et ce, en dépit de son contenu pas toujours évident. Au carrefour entre le récit d'apprentissage over-dramatique et le film de genre, il décortique avec une sensibilité désarmante les destins brisés de deux ados, victimes d'un même traumatisme mais dont les conséquences divergent pour chacun. La bonne nouvelle, c'est qu'il est disponible sur la plateforme de streaming MUBI.
Traumas liés
Inspiré du roman éponyme de Scott Heim paru en 1995, Mysterious Skin place sa trame dans le Kansas (Midwest des États-Unis), à l'aube des années 80. Le film divise sa narration en deux : d'un côté, le turbulent Neil (Gordon-Levitt), qui se prostitue dès l'âge de 15 ans auprès de pédérastes libidineux, fuyant toute forme d'intimité émotionnelle. De l'autre, l'innocent Brian (campé par Brady Corbet), qui est convaincu d'avoir été kidnappé par des aliens durant l'enfance, prêt à tout pour combler les trous de mémoire qui continuent encore de le hanter à l'adolescence. Leurs chemins finissent par se croiser dans le dernier acte du film, de loin le plus dévastateur mais aussi le plus émouvant.
18 ans après sa sortie en salles, Mysterious Skin continue d'être exemplaire et pertinent dans sa façon de traiter le traumatisme. Ce qui va suivre n'est pas du spoil – après tant d'années, il y a prescription – mais Neil et Brian ont tous les deux été abusés sexuellement par leur coach de baseball alors qu'ils n'étaient qu'enfants. Le film expose donc comment ils ont géré, chacun à leur manière, cette expérience : le premier en optant pour l'autodestruction par le sexe et la violence, le second en se réfugiant dans des théories conspirationnistes, très déconnectées de la réalité.
Choquer et émouvoir
Pas de place au doute : Gregg Araki – qui avait acquis une petite notoriété au fil des années 90 avec sa trilogie Teen Apocalypse – signe ici une œuvre radicale : qu'on l'aime ou qu'on la déteste, elle ne laisse pas de marbre. En partie grâce au côté punk discernable chez ses personnages, qui n'est pas sans faire penser à Requiem for a Dream ou aux romans crus de Bret Easton Ellis. Mais Mysterious Skin se distingue surtout par sa faculté à verbaliser l'indicible : il parle de viol et de pédophilie, deux sujets épineux, avec une acuité et une humanité qui lui confèrent une singularité immédiate. Ce long-métrage est, somme toute, un savant mélange de dureté et de vulnérabilité.
Mysterious Skin respecte aussi bien ses personnages que son sujet. Ses scènes chocs ne sont jamais gratuites et ne font qu'épouser la descente aux enfers alarmante de son tandem à fleur de peau. Joseph Gordon-Levitt, en particulier, signe un excellent début de carrière sous les traits de Neil, cet adolescent gay rongé par la culpabilité de ses actes, inconscient de l'ampleur du mal qui lui a été causé. Pour l'époque, observer un protagoniste queer ayant hérité d'une telle nuance dans son écriture relevait presque du miracle : un minimum de reconnaissance s'impose donc.
Enfin, Mysterious Skin demeure un pilier dans la filmographie de Gregg Araki, dont il réunit toutes les marottes (ou presque) : le sexe, l'identité queer, la fascination pour les extraterrestres, les personnages provocateurs... Tant de thèmes qu'il a continué de brasser dans les projets qui ont suivi ce film, du très barré Kaboom à sa première série tout aussi déjantée Now Apocalypse. Désormais, Mysterious Skin est disponible dans le catalogue MUBI, figurant notamment dans "Fiertés", sa section de films LGBTQI+ à explorer.
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