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entreprise“Plus il y a de personnes out dans l’entreprise, mieux on parvient à créer de l’empathie”

Par têtu· le 05/01/2021
“Plus il y a de personnes out dans l’entreprise, mieux on parvient à créer de l’empathie”

La situation des LGBT+ en entreprise est inquiétante. Alors que, en 2018, 54 % des personnes LGBT+ déclaraient être out au travail, ce chiffre est tombé à 43 % en 2020, selon une étude du Boston Consulting Group pour TÊTU. Élodie Oksman, la directrice des ressources humaines (DRH) du groupe Heineken en France, explique comment mettre en place une politique inclusive.

Qu’est-ce qui vous a conduite à vous emparer des problématiques liées à l’inclusion des personnes LGBT+ en entreprise ?

Avant de travailler chez Heineken, j’ai été DRH d’un site industriel. Un jour, un de mes collègues du comité de direction m’a dit d’un ton affolé qu’il devait absolument s’absenter parce que son “ami” était à l’hôpital. Même en panique, au bord des larmes, il faisait attention à ne pas genrer la personne avec qui il partageait sa vie. Je me doutais qu’il était homosexuel et j’ai ressenti un immense sentiment d’injustice.

J’ai respecté qu’il ne veuille pas parler de son orientation sexuelle au travail. J’ai donc continué à ne pas genrer son compagnon lorsque je prenais de ses nouvelles, et j’ai mis en place une politique d’entreprise. En 2013, j’ai ainsi initié le premier réseau de personnes LGBT+ et allié·es au sein de notre groupe. La première réunion, on a dû l’organiser dans un café, à l’extérieur de nos locaux, de peur que les personnes qui avaient accepté d’y participer soient outées. Cela montre l’étendue du problème.

Que mettez-vous en place comme outils pour cultiver une culture inclusive au sein de votre groupe ?

En 2018, chez Heineken, nous avons mis en place une sensibilisation massive avec un focus particulier sur le coming out. Plus il y a de personnes out au sein de l’entreprise, mieux on parvient à créer de l’empathie. Mais mon but n’est absolument pas que tous se révèlent, cela peut d’ailleurs être compliqué lorsqu’on a construit une histoire vis-à-vis de ses collègues. En revanche, pour les nouveaux embauchés, il faut que ce ne soit pas une question. Ce serait un échec pour moi qu’une personne out à l’extérieur se cache chez nous quand elle arrive.

Le 15 octobre 2020, nous avons signé la charte de L’Autre Cercle, qui s’adresse à tous les collaborateurs et entérine un  niveau d’ambition important, ce qui va bien au-delà de la simple apposition du logo. Sur le vocabulaire, nous avons sensibilisé les 100 managers les plus importants du groupe. Nous avons également réalisé, à destination des cadres, des fiches avec des cas pratiques pour apprendre à réagir de manière appropriée.

Comment fait-on pour que tout le monde s’empare du sujet au sein de l’entreprise ?

Avant tout, il s’agit de détricoter l’idée qu’une personne ne devrait pas parler de son orientation sexuelle ou de son identité de genre au travail parce que cela relèverait de la vie privée. Chaque collaborateur devrait pouvoir parler librement des personnes qu’il aime. On peut aussi rappeler les statistiques, même si l’on manque cruellement de données. Ce type de politique d’entreprise nécessite de créer de l’adhésion, d’où la sensibilisation et l’explication. Finalement, ce sont des sujets beaucoup plus consensuels que certains veulent le croire.

On constate un manque criant de grands dirigeants ouvertement LGBT+, notamment en France. Quand vous les voyez lors de tables rondes, vous leur dites qu’ils peuvent s’affirmer parce que leur statut les protège davantage que les autres ?

Leur responsabilité, ce serait de créer des groupes de travail entre dirigeants pour parler de ces sujets-là, aller à la conquête de publics qui ne sont pas sensibilisés, dans des forums généralistes, par exemple. Beaucoup d’entreprises délèguent ces sujets aux ressources humaines, alors que c’est une question de leadership et de management.

Quel conseil donneriez-vous à un dirigeant d’une petite entreprise qui souhaiterait s’engager sur le sujet ?

Je ne crois pas aux gros programmes et aux affiches sur les murs. Je pense que l’empathie et le storytelling sont beaucoup plus efficaces. Ce dirigeant devrait expliquer en quoi il est personnellement blessé d’entendre des propos LGBTphobes. Sa conviction doit emporter ses salariés. Il peut raconter le vécu de personnes discriminées. La question LGBT+ est très politisée, mais, lorsque l’on parle de la vie réelle des personnes, on montre qu’il y a consensus.