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portraitComment ça, vous ne connaissez pas encore Nakhane ?

Par Naomi Clément le 07/04/2023
Nakhane revient avec son deuxième album, "Bastard Jargon"

[Article à retrouver dans le têtu· du printemps disponible en kiosques] Avec son nouvel album, Bastard Jargon, qui mélange électro, soul, glam rock et house sud-africaine, Nakhane confirme son statut d'artiste incontournable de la scène anglophone. Rencontre.

Photographie : Alex de Mora

"C’est par la musique que j’ai gagné ma liberté." Cette phrase seule pourrait résumer l’œuvre de Nakhane. À 34 ans, l’artiste sud-africain exilé à Londres revient avec Bastard Jargon, un troisième album à écouter comme une célébration de la liberté, une ode à la joie, au lâcher-prise, à l’idée même d’être heureux. “En arrivant à Londres en 2018, l’une des premières choses que je me suis dites, c’est : 'Je veux me sentir bien', relate-t-iel. Car à chaque nouvel opus, Nakhane ajoute une pierre à la construction de son identité. Quand You Will Not Die, son deuxième album, sort en 2019, iel profite alors de son enregistrement pour se réfugier dans la capitale britannique – depuis son rôle d’homosexuel confronté au conservatisme de la société sud-africaine dans Les Initiés, de John Trengove, sorti en 2017, il est menacé de mort par les bigots de son pays. “Je voulais entrer dans ma trentaine avec sérénité, et faire la paix avec tous ceux contre qui j’étais jusqu’alors en colère, explique-t-iel. C’est pour cela que You Will Not Die contient de nombreuses références à mon enfance, à l’Église, à ma famille, à des entités avec qui j’ai longtemps été en conflit.”

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C’est durant son adolescence que l’artiste a mis des mots sur son homosexualité : “Avec des amis on avait même organisé une coming out party ! se souvient-iel. J’ai reçu une éducation chrétienne. Dans ma famille, on lisait la Bible et on allait à l’église chaque semaine. Je savais donc qu’il serait difficile pour eux d’accepter mon homosexualité. Et puis, dans la culture dans laquelle j’ai grandi, les personnes queers ne pouvaient exister que d’une seule façon : en étant un cliché d’elles-mêmes, c’est-à-dire des personnes rigolotes et divertissantes à outrance. Exister selon tes propres termes, c’était impossible. Quand j’ai subi un outing, à 19 ans, je n’étais pas prêt à affronter cette réalité.” À l’époque, ses parents l’envoient consulter un prêtre , avant de lui imposer plusieurs “thérapies de conversion”

"Quand j'ai découvert James Baldwin à l'adolescence, j’ai compris pour la première fois de ma vie que je n’étais pas seul, que je n’étais pas dingue."

Nakhane renoue avec son identité queer cinq ans plus tard, emprunte son nom de famille au célèbre musicien malien Ali Farka Touré, et dévoile en 2013 Brave Confusion, un premier album qu’iel décrit aujourd’hui comme un “appel à l’aide”. Sa voix de ténor angélique y retraçait avec une vive émotion le cheminement vers l’acceptation de son homosexualité en tant qu’homme noir. L’album est d’ailleurs traversé par des références à l’auteur noir et homosexuel James Baldwin. “Je l’ai découvert à l’adolescence, raconte Nakhane. J’ai compris pour la première fois de ma vie que mes expériences n’étaient pas isolées, que je n’étais pas seul, que je n’étais pas dingue.”

Bastard Jargon : électro, soul, kwaito et politique

Alors que ce premier album tendait vers le folk, pour You Will Not Die Nakhane a fait le choix de sons plus électroniques, tout en renouant avec la soul et le gospel de son enfance. “Ma mère et ma tante se rendaient chaque soir dans des chorales gospel, se souvient-t-iel. À 7 ans, je chantais 'Silent Night' lors des répétitions.” Pour Bastard Jargon, Nakhane a multiplié les inspirations : de l’électro, de la soul, du glam rock, du kwaito (de la house sud-africaine apparue dans les années 1990)…

L’ensemble forme dix chansons au rythme entêtant, comme “Do You Well”, “Hear Me Moam” ou “My Ma Was Good”. Mais l’artiste s’affirme aussi politiquement – iel s’investit dans la lutte contre le VIH en Afrique du Sud depuis 2019 – avec “Tell Me Your Politik”, dans lequel iel interroge son partenaire : “Kiss me if you want to, touch me if you want to, I wouldn’t say no, but first, you’ve got to tell me about your politik” (“Embrasse-moi si tu veux, touche-moi si tu veux, je ne dirais pas non, mais d’abord tu dois me parler de tes opinions”). Liberté, fierté et galipettes.

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