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ParisFermeture du bar queer Bonjour madame : harcèlement ou contrôle de routine ?

Par Nicolas Scheffer le 26/05/2023
Le Bonjour madame, bar queer à Paris

Bar queer et féministe du 11e arrondissement de Paris, le Bonjour madame a été la cible cette semaine d'une inspection particulièrement minutieuse, et impressionnante par l'ampleur du dispositif mobilisé, notamment policier. Questionnées par têtu·, l'une des co-gérantes de l'établissement témoigne et les autorités responsables s'expliquent.

"On aurait cru qu'ils cherchaient Pablo Escobar", souffle Karen, co-gérante du Bonjour madame. Ce mercredi 24 mai, le bar queer et féministe situé dans le 11e arrondissement de Paris a fait l'objet d'un contrôle inopiné. Les images de la scène, qui ont tourné sur les réseaux sociaux, étonnent par l'ampleur du dispositif mobilisé – police, CRS, douane, Urssaf, service d'hygiène et tutti quanti – dans un établissement qui semble parfaitement calme et qui soudain, en plein jour, se voit imposer une fermeture. Fin mars, le même Bonjour madame, connu pour être un lieu de rendez-vous notamment pour les militants du Pink Bloc contre la réforme des retraites, avait déjà été le théâtre d'une séquence choquante d'interpellation au terme d'une manifestation.

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"Ça a duré une demi-heure environ, dans un climat très intimidant. Tous les documents ont été fouillés, tous les frigos inspectés devant les clients", retrace Karen au sujet du contrôle. Après avoir tout scruté, les agents remarquent que la licence IV, qui autorise le débit de boisson à servir de l'alcool, comporte une erreur. La licence était certes rattachée à l'établissement, au bon numéro de société et à la bonne adresse, mais elle portait encore le nom… d'un ancien gérant, parti quatre ans plus tôt. "Effectivement, il y a une erreur de notre part, on ne savait pas qu'il y avait besoin de changer ce nom", reconnaît la gérante. C'est cette erreur qui a conduit à la fermeture.

Rien de grave au Bonjour madame

Reste que la coïncidence des deux séquences interroge évidemment, ainsi que l'ampleur des moyens employés, en particulier pour contrôler une si petite structure. Directeur du Sneg & co, syndicat des entreprises LGBT+ et alliées, Rémi Calmon témoigne pour têtu· : "D'habitude, quand les forces de l'ordre contrôlent un lieu, elles ne déplacent qu'un ou deux agents et si quelque chose est constaté, un simple rappel à la règlementation permet généralement de mettre fin à l'infraction".

La préfecture et le parquet sont responsables de cette descente des autorités. Contacté, le second nous apprend qu'il s'agit d'un "contrôle Codaf", pour Comité opérationnel départemental de lutte anti-fraude, une inspection qui mobilise tout un panel de services de l'État et d'organismes de protection sociale. "Ces contrôles sont aléatoires avec des cibles en matière de type de commerces, nous indique une source judiciaire. Par exemple l'année dernière, une attention particulière a visé les 'Darkstore', des entrepôts de sociétés de livraison d'épicerie." La même source estime qu'"une patrouille locale qui aurait dans le viseur un bar ne pourrait pas lancer d'elle-même un tel contrôle, qui demande une longue préparation avec de nombreux acteurs". Et de préciser que "les comités définissant des cibles se rassemblent tous les trimestres". En 2022, 492 inspections de ce type ont été réalisées dans Paris, dont 49% concernaient des bars, restaurants et autres établissements de bouche, complètent les services de la procureure de Paris.

Finalement, rien de grave n'a été relevé au Bonjour madame. "À l’issue du contrôle au Bonjour madame ont été relevés : des points sur la réglementation relative à l’hygiène faisant l’objet d’un avertissement, un défaut mutation licence IV, un défaut d’étude acoustique, du tapage par diffusion de musique, de la consommation alcool sur voie publique interdite par arrêté préfectoral, entraînant une fermeture de l’établissement", énumère encore le parquet. Quant à la préfecture de police de Paris, elle n'a pas donné suite à notre demande de renseignements.

"La fermeture paraît disproportionnée"

Au Bonjour madame, on relève que c'est la troisième fois que la police s'intéresse à l'établissement en une semaine. "La première fois, c'était pour nous mettre une amende parce que notre terrasse dépasse un tout petit peu de ce qui est prévu. La deuxième, c'est parce qu'on autorisait quelqu'un à attendre son VTC à 2h05 du matin, alors que l'établissement devait être fermé et la troisième fois, une voiture de patrouille a ostensiblement ralenti devant le bar", énumère Karen.

"La fermeture paraît disproportionnée", analyse l'adjoint écologiste en charge de la nuit de la ville de Paris, Frédéric Hocquard. D'autant que dans quelques jours démarre le mois des Fiertés, période essentielle pour la visibilité queer et lesbienne." L'élu remarque en outre que "ce n'est pas la première fois que la préfecture fait du zèle. Pendant un temps, le commissariat du 19e arrondissement contrôlait tous les clients du Rosa Bonheur [un autre établissement accueillant un public LGBTQI+] qui sortaient des Buttes-Chaumont, leur mettaient des PV pour ivresse sur la voie publique en accusant le Rosa de trop servir les clients".

L'élu a écrit au préfet de police pour que la situation administrative du Bonjour madame soit vite régularisée : "Il faut laisser la place à la médiation et la régularisation administrative qui doit être rapide", insiste-t-il. Les gérantes du bar ont quant à elles été convoquées au commissariat pour le mercredi 31 mai. Lorsque le bar pourra rouvrir, elles promettent une grande fête militante.

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Crédit photo : Facebook / Bonjour madame