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cinémaManuel Abramovich : "Pornomelancolia est un film sur la solitude"

Par Franck Finance-Madureira le 28/06/2023
Manuel Abramovich est le réalisateur de Pornomelancolia, avec l'acteur porno Lalo Santos

[Interview à retrouver dans le magazine têtu· de l'été] Connu dans les sphères du cinéma expérimental, Manuel Abramovich, réalisateur argentin francophone établi à Berlin, travaille à s’affranchir de la séparation entre documentaire et fiction. Avec Pornomelancolia, en salles actuellement, il fait le portrait intime, à la fois drôle et tragique, du sex-influenceur mexicain Lalo Santos, entre servitude, affirmation et solitude.

Pourquoi avez-vous choisi, dès le départ, cette voie particulière entre fiction et documentaire ?

Les photos que je prenais enfant étaient déjà très mises en scène. Le rapport au réel m’a toujours intéressé, et je me suis toujours attaché à filmer des personnes proches de moi, en questionnant la façon dont chacune peut devenir personnage, de façon plus ou moins consciente, par exemple dans le monde du travail ou face à des institutions.

Comment vous êtes-vous intéressé à ce monde du porno ?

J’ai commencé en 2016 à imaginer une série de films autour de la crise de la masculinité. Soldado, en 2017, évoquait les débuts d’un jeune soldat dans l’armée argentine. Sa condition évoquait l’anonymat et la perte de sa personnalité. J’ai ensuite réalisé Blue Boy sur des travailleurs du sexe à Berlin et leur utilisation des codes de la masculinité pour séduire leurs clients. J’ai aussi beaucoup réfléchi à ma propre masculinité, et je me suis rendu compte que je n’avais plus envie de jouer ce personnage d’homme qui m’avait été assigné à la naissance. Finalement, j’interroge ma propre vie à travers mes films, et, au fur et à mesure, ma masculinité se transforme grâce à eux.

Comment avez-vous rencontré le sex-influenceur Lalo Santos ?

En m’intéressant au travail du réalisateur porno El Diablo. Lalo me fascinait, et je voulais vraiment faire ce film avec lui. Il était très conscient de la façon dont il avait créé cet avatar de lui-même pour vendre son image de macho mexicain à son public. Il a transformé son corps en outil de travail pour s’émanciper.

L'acteur porno Lalo Santos est à l'affiche de Pornomelancolia
Crédit photo : Epicentre Films

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Et on voit très bien le malaise que cette dichotomie peut à terme provoquer pour lui…

Depuis l’avènement des réseaux sociaux, il y a une grande confusion entre personne et personnage. Avant ce film, Lalo ne montrait rien de sa vraie vie, de son quotidien, seul chez lui. On a passé beaucoup de temps à parler avant de tourner, et il y a eu beaucoup d’émotion sur le plateau. Lalo et Diablo m’ont beaucoup appris, notamment en termes d’autodérision.

C’était important pour vous qu’on ne soit jamais dans le registre du jugement ?

Pour moi, même si nos vies sont très différentes, il est important d’être au plus proche des personnages. Et pour cela, il faut s’affranchir du jugement moral : le travail du sexe est un travail. Nous sommes tous des humains qui avons peur d’être seuls et envie d’être aimés, c’est pourquoi je me suis intéressé à la maîtrise que chacun a sur son propre corps et sa propre image.

Et le film peut parler à tout le monde : avec les réseaux sociaux, nous avons tous un rapport tronqué à notre propre image…

C’est avant tout un film sur la solitude, un portrait du monde après la pandémie. C’est un objet très contemporain qui met en avant un sentiment de perte de sens.

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Crédit photo : Allociné