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cultureCavetown, la bienveillance en musique

Par Tessa Lanney le 28/09/2023
Cavetown donnait un concert à Paris, à l'Olympia, le 19 septembre.

Cavetown, alias Robin Skinner, est un chanteur trans non-binaire qui considère sa musique comme un exutoire pour lui et son public. Ce mardi 19 septembre, l'artiste britannique était de passage à Paris pour un concert à l'Olympia qui s'est mué en leçon de bienveillance.

"Tu n’es pas seul·e". Voilà le principal message des chansons du britannique Cavetown, alias Robin Skinner, qui nous entraîne dans un univers coloré, rempli d’insectes bavards et autres créatures chimériques. Des mises en scène qu’il partage avec son public depuis ses premières vidéos Youtube, à l’âge de 14 ans, et jusqu'à ce fameux mardi 19 septembre qui l'a vu fouler la scène de l’Olympia. Il y a d'ailleurs interprété Worm Food (nourriture pour les vers), son dernier album dont le titre sans équivoque fonctionne comme un memento mori nous rappelant la modeste place que nous occupons dans l’univers. Tout au long de ces 13 nouveaux morceaux, Cavetown ne déroge pas à ses habitudes et propose une pop alternative à la fois douce et énergique, dont la force tranquille pleine de bons sentiments a été mise au point dans l'intimité de son garage. S'il incarne une certaine mélancolie, ça n’en fait pas pour autant un éternel pessimiste. Au contraire, sa musique, c’est sa thérapie, et il y dispense de nombreux appels à l'auto-indulgence et à la compassion.

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"J’écris quand je ressens le besoin d’extérioriser, de faire sortir des trucs de ma tête, nous confie-t-il, quelques heures avant son concert. Je suis quelqu’un d’introverti, mettre des mots sur ce que je ressens, les partager au monde, ça me rend vulnérable, mais en contrepartie je reçois énormément de soutien." La musique est d'ailleurs le moyen d’expression privilégié de l’artiste depuis longtemps, ses deux parents étant musiciens. Sa mère est flûtiste et professeure de musique, tandis que son père, qui lui a appris à jouer de la guitare à l'âge de huit ans, est musicologue et chef de chœur. "Youtube est la plateforme idéale pour permettre les interactions avec le public. Ça donne le sentiment d’être liés, explique celui qui cumule désormais plus de deux millions d'abonnés. Si ta vidéo passe à la télé, tu ne sauras jamais rien à propos de ceux qui t’écoutent." Du pain béni pour ce jeune homme introverti : "J’ai toujours eu des difficultés à communiquer avec les autres, à me faire des amis à l’école, alors j’ai pas mal grandi sur internet. C’est plus facile de trouver des gens qui te comprennent, à qui tu t’identifies, quand tu as le monde entier pour terrain de recherche."

"Sortir de ma zone de confort, ça m’a aidé à accepter mes propres failles"

Vous l'aurez compris, c'est à travers ses chansons que Robin Skinner fait part de ses angoisses et de ses peurs les plus intimes. "Sortir de ma zone de confort, ça m’a aidé à accepter mes propres failles. Quand on garde tout pour soi, explique-t-il, on a l’impression d’être bizarre, d’être dans le tort. On n’imagine pas que qui que ce soit puisse nous comprendre avant de s’ouvrir aux autres." Pour se mettre à nu, il opte parfois pour des moyens détournés, s’inventant des compagnons à son image, comme le garçon citron de "Lemon Boy". "J’adore créer des histoires, des personnages qui sont des sortes de personnifications de situations que je vis, ou de sentiments. C’est plus facile de faire face à des parties de moi que je n’aime pas à la deuxième personne, admet-il. Et puis, ça m’aide à garder le contrôle." Difficile de ne pas se sentir concerné par les thèmes abordés par le chanteur et que les membres de la communauté LGBTQI+ connaissent bien, comme la santé mentale, le harcèlement, la solitude, le rejet de soi mais aussi le sentiment de culpabilité. "La musique m’aide à être plus indulgent envers moi-même, confie-t-il. J’entends mieux les conseils quand je les chante. J’ai du mal à mettre en pratique ce que je prêche, à faire preuve d’empathie envers moi-même."

Sa conception de la masculinité

En 2020, Robin Skinner fait son coming out trans, huit ans après avoir balbutié ses premières notes sur Youtube. Sa transition fait d'ailleurs partie intégrante de son parcours musical, que ce soit dans l’exploration de sonorités plus graves ou encore dans l'écriture de ses textes. "Je suis reconnaissant d’avoir eu la chance d’exprimer ce que ressentent des tas de personnes trans, de pouvoir connecter avec elles sur scène", poursuit celui qui a mis du temps à endosser le rôle de porte parole de sa communauté. "Je ne suis pas très bon lorsqu’il s’agit de mettre au point un discours concis, impactant, qui va droit au but, avance le chanteur. On attend de nous qu’on sache exactement quoi dire. Il y a une responsabilité qui va de paire avec la notoriété, mais pour beaucoup de personnes queers, exister est déjà un défi en soi. Se mettre en avant pour défendre une cause, c’est parfois plus que ce qu’on est capables de faire et de gérer en matière de stress et de colère."

À travers des sons comme "Boys Will Be Bugs", Robin n'hésite pas à mettre en doute sa conception de la masculinité. "Pendant longtemps, je ressentais le besoin de compenser le fait que je me sente plus féminin que je ne l’aurais voulu. Ça allait de paire avec le fait d’avoir un comportement de crétin. Comme beaucoup de garçons finalement, s’amuse-t-il. J’ai eu ma phase hyper-masculine où je rejetais tout ce qui était lié au féminin, comme ma façon de parler." Depuis, c’est en observant ses amis, bien dans leur peau et qui embrasse leur part de féminité, qu’il s’est peu à peu construit une masculinité qui lui ressemble, teintée de gentillesse, de bienveillance et de délicatesse. "Je n’ai plus envie de devoir prouver ma masculinité à qui que ce soit, résume-t-il. Ça ne veut rien dire, être un vrai mec. Ceux qui se targuent d’en être ne montrent aucune émotion. Je ne veux pas être de ce genre-là. Je suis bien plus heureux depuis que je ne me force plus à être quelqu’un d’autre."

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Crédit photo : Kane Layland