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film"L'air de la mer rend libre" : Nadir Moknèche explore le tabou gay dans une famille musulmane

Par Florian Ques le 06/10/2023
"L'air de la mer rend libre"

[Article à retrouver dans le magazine têtu· en kiosques, ou sur abonnement] Dans son sixième film, L'air de la mer rend libre, sorti ce mercredi 4 octobre, le réalisateur franco-algérien Nadir Moknèche raconte l'histoire de Saïd, un homme gay issu d'une famille musulmane, et du mariage arrangé qu'il accepte pour dissimuler son homosexualité. Rencontre avec le cinéaste.

Vingt ans après Viva Laldjérie, où il filmait les tribulations d’une jeune femme en quête d’émancipation sexuelle dans une société conservatrice, Nadir Moknèche continue d’esquisser des personnages musulmans en conflit avec leur communauté dans L’air de la mer rend libre, son sixième long-métrage. Avec Rennes en toile de fond, le cinéaste franco-algérien braque sa caméra sur Saïd, un jeune homme gay qui accepte un mariage arrangé hétéro pour dissimuler sa sexualité à sa famille. Ce récit de vie contemporain et empreint d’humanité confronte les générations, et questionne le fossé entre respect des traditions et désir de liberté. Interview.

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De Viva Laldjérie à Goodbye Morroco, les personnages gays ont toujours habité votre cinéma. Pourquoi ?

Nadir Moknèche : Montrer un personnage gay arabe sans clichés et qui ne soit surtout pas réduit à sa sexualité, c’est une manière de casser un tabou. Quand Viva Laldjérie est sorti en Algérie, j’ai senti que ça avait créé un malaise : personne ne me reprochait d’avoir inclus un rôle gay, mais en même temps personne ne le relevait. J’aurais préféré qu’il y ait des critiques et qu’on en parle. (Rires.) Il y avait cette gêne qui, je pense, se dissipe aujourd’hui.

Pourquoi faire un film sur les hommes gays qui acceptent un mariage arrangé ?

Je voulais surtout parler de la violence psychologique qui existe dans ce genre de situation. Je parle de la pression familiale, qui est parfois bien plus brutale que des coups et peut changer le cours d’une vie. Le personnage est ancré dans notre époque mais certains moments sont autobiographiques. D’ailleurs, tous ceux que l’on croise à l’écran dans le film sont des gens que j’ai croisés, que j’ai vus, avec qui j’ai pu discuter…

Saïd doit entretenir une façade pour sa famille mais sa vie cachée, bien que remplie d’escapades sexuelles, n’est pas très épanouissante…

Lorsqu’il va draguer il se donne une image complètement différente. À travers lui, je tenais aussi à parler du fétichisme qu’incarnent les hommes arabes en France : comment on les considère, comment on les érotise… Quand on voit Saïd utiliser les applis de rencontres et que je montre les profils qui stipulent “pas de black, pas d’asiat”, c’est un choix militant de ma part. Parce que ce ne sont pas des choses qu’on devrait voir.

Ce film, comme vos précédents, met en lumière une communauté maghrébine tiraillée par ses traditions. Cette tension vous fascine ?

J’ai moi-même été tiraillé par ces questions. Je comprends que toutes les sociétés ont des tabous, mais il est nécessaire à un moment donné de passer à autre chose. Dans les communautés musulmanes, il faut que l’homosexualité ne soit plus un non-dit. C’est épuisant pour tout le monde à l’heure actuelle : les concernés comme leur famille.

Avez-vous l’impression que les mentalités évoluent dans le bon sens ?

Je reste toujours optimiste. La seule existence de ce film prouve qu’il y a une évolution. Ça n’a pas été facile de le financer mais, en fin de compte, il est bien là. Pendant le casting, plusieurs acteurs ont refusé le rôle en raison de l’orientation sexuelle de Saïd, tout en me disant que le propos et le personnage étaient nécessaires.

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Crédit photo : Pyramide distribution