Abo

internet#LGTBQIAetc : d'où vient le hasthtag queer du dimanche soir sur Twitter ?

Par Nathan Lautier le 23/10/2023
lgbtqia,lgbt,twitter,dimanche,communaute,twitter dimanche,selfie,lgbt twitter,x,internet,hashtag dimanche,hashtag lgbtqia,hashtag twitter

Hashtag, dis-moi que je suis la plus belle… Souvent le dimanche soir, vous l'avez peut-être remarqué, une vague de selfies postés par des jeunes queers, flanqués d'un hashtag commençant par #lgbtqia, inonde Twitter (devenu X) jusqu'à parfois se trouver en tête des tendances. Explication de cette tradition dominicale.

Nous sommes dimanche, le soir tombe. Vous regrettez peut-être encore la soirée alcoolisée de la veille. Vous songez, probablement, à vos obligations du lundi. En somme, le blues du dimanche soir vous guette. Loin de se laisser abattre, de jeunes membres de la communauté LGBTQI+ de Twitter (devenu X) y ont trouvé une parade satisfaisant l'ego. À 18h tapante, les voilà qui se connectent au réseau social, sélectionnent leur plus belle photo de la semaine qui part en post sous le hashtag dédié du jour, à base de LGBTQIA : #LgbtqiaNightFall, #LgbtqiaMomentOfSharing, #LgbtqiaSafePlace, ou encore #LgbtqiaConfidenceInMyself ce 22 octobre. Le fil du mot-clef s’illumine alors de centaines, voire de milliers de photos, le plus souvent des selfies, plus ou moins artistiques et plus ou moins nudes, en tout cas valorisantes. Pour pécho, pour réseauter ou simplement se rassurer…

À lire aussi : L'astrologie, une histoire de lesbiennes

À la baguette du phénomène depuis maintenant plus d'un an, Bryan, 23 ans. Il a lui-même repris le flambeau d'une twittos américaine, qui a petit à petit lâché sa création pour disparaître du réseau sans laisser de trace. Le jeune acteur et écrivain, qui participe au mouvement depuis 2021, retrace : "Je ne comprenais pas comment les hashtags étaient choisis. Ils étaient de plus en plus en retard, avant c’était à 18h pile et puis un jour, ils étaient tellement en retard que je me suis dit ‘fuck, je le lance !' Ça a beaucoup marché, du coup j’ai continué." Une prise de pouvoir naturelle, sans heurt.

Un hashtag pour rassembler

Depuis, Bryan prend sa mission au sérieux. "Des milliers de personnes, en France et aux États-Unis, l’utilisent", souligne-t-il. Alors pas question de les faire attendre. Et si un jour, la créatrice originelle revenait ? "Je lui repasse le flambeau tout de suite !", assure le garçon. En attendant, explique-t-il, "j’essaie de trouver un hashtag qui n'a pas été utilisé, chaque semaine. Ça me prend du temps, au moins 30 minutes chaque dimanche pour le choisir, vérifier la traduction française…" Quant à la langue, complète-t-il, "je les garde toujours en anglais pour garder l’esprit de base, et rassembler un maximum".

Baptiste, lui, est un peu nostalgique. Cet étudiant en astrophysique, utilisateur du hashtag depuis "au moins 2019, voire 2018", se rappelle d'un mouvement plus engagé à ses débuts qu'aujourd'hui. "C’était plus dédié à des causes, pour mettre en valeur des personnes, des communautés qu’on voyait moins : des minorités de genre, des personnes de couleurs…" Lui-même mettait régulièrement en avant sa bisexualité afin de visibiliser une orientation sexuelle encore peu représentée sur les réseaux sociaux. "Maintenant, le hashtag du dimanche est dépolitisé, juge-t-il, y participant de manière plus épisodique. Mais il sert toujours, c’est une forme de représentation sur Twitter. Peut-être que ma vision a changé en même temps que ma façon de consommer les réseaux sociaux."

"Il y a vraiment une dimension de pécho"

Des internautes préparent toute la semaine ce rendez-vous dominical. "Quand je prends une belle photo, je me dis que ça peut être bien pour dimanche, confie Shenaï, jeune utilisateur de 17 ans. Même si je ne m’impose pas de contrainte !" Selfie dans sa chambre, photo prise dans la nature, casquette à l’envers, le regard fuyant, face à un miroir : le jeune homme prend soin de changer de style toutes les semaines. "Beaucoup prennent des photos exprès dans la semaine", confirme Bryan.

Velma est ainsi devenue une aficionado du hashtag. "J’ai rencontré Bryan sur TikTok, il m’en a parlé, ça m’a donné envie." De fil en aiguille, elle s’est prise au jeu et ne loupe plus un rendez-vous. "Le hashtag a un côté événementiel. À la base, ce qui m’intéressait ce sont les interactions, pour rencontrer de nouveaux profils", développe-t-elle. Shenaï partage le même objectif de sociabilisation : "Grâce à lui, j’ai pu me faire des potes. C’est cool que ça existe, ça permet de créer des liens avec les gens".

Et quitte à échanger… autant en profiter pour choper ! "Il y a un côté un peu Tinder, tu t’abonnes discrètement à ceux qui te plaisent… Il y a vraiment une dimension de pécho", assume le garçon. "Ça permet plein de rencontres à distance entre des personnes LGBT. Après, oui, certains viennent choper sur le hashtag : tu ne vas pas te cacher, quelqu’un te plaît, tu vas le chercher !", confirme Bryan. Baptiste, lui, temporise sur cet aspect : "Je connais déjà beaucoup de personnes, donc je vais leur parler. Mais si je ne connais pas quelqu’un et que j’aime sa photo, je vais mettre un like, c’est tout, je ne veux pas créer d’interaction non sollicitées."

Le booster d'ego du dimanche

Qu'on drague ou pas, il n'y a pas de mal à se faire du bien à l’égo : "Ça fait toujours plaisir de voir les likes, les compliments", concède Baptiste. Bryan illustre : "Moi, je ne suis pas à l’aise avec mon corps donc ça permet de gonfler ma confiance, je peux poster une photo torse nu et avec le temps, je deviens moins complexé". Les retours sont positifs, apprécie-t-il : "On a une communauté ouverte et bienveillante, on peut se permettre de partager son corps, on reçoit plein de compliments et ça fait du bien !"

Velma abonde : "Ça donne de l’énergie, de la positivité. Ça apporte un confort social. Ça crée des échanges juste le temps du dimanche, du style 't’es trop belle, t’as glow up, t’es classe', ou même des fois créer des amitiés". Une atmosphère qui allège sa fin de week-end : "On ne peut pas échapper aux nouvelles anxiogènes, mais je sais que le hashtag va arriver et que je vais pouvoir dire aux gens qu’ils sont beaux et belles, qu’ils vont me le dire aussi…" De là à ne participer que pour recevoir des compliments ? "Peut-être, et c’est bien, tranche Velma. Dire 'regardez, je suis beau et je veux le partager', je trouve ça bien. C’est important de se dire 'ma vie, elle est pourrie, mais qu’est-ce que je suis bonne !'"

La commu plus forte que les LGBTphobes

Le risque de cette visibilité, forcément, c'est d'attirer l’attention de gens qui n’ont pas les mêmes intentions. "On a eu pendant un temps des raids homophobes sur le hashtag. Mais ça n’a jamais marché, leurs tweets se sont tout le temps fait noyer. Ils ont même souvent supprimé leurs raids, ils n’assument même pas leur défaite", se marre Bryan.

Shenaï rapporte un autre phénomène que d’autres subissent : "Des fois, tu te retrouves retweeté par des comptes sexuels et tu retrouves ta tête entre deux vidéos porno… C’est le risque sur internet, mais ce n’est pas très agréable". Le jeune homme nous montre ensuite ses demandes de message privé, dévoilant un florilège de personnes bien plus âgées, souvent d’une cinquantaine d’années, qui lui font des propositions ne laissant pas de place au doute… "Bonjour, ça vous intéresse un soumis ?”, "Bg, je te fais du sale", "Tu es très sexy, je suis actif uniquement, si tu es attiré par les daddies expérimentés"... Et Shenaï de répondre inlassablement : "Je suis mineur !" Autre solution pour refuser les sollicitations : les supprimer sans répondre, voire bloquer leurs auteurs en cas de besoin.

Le lanceur du hashtag a également repéré des internautes qui ne jouent pas le jeu : "Il y a souvent une dizaine de posts où ce sont des mecs à poil, uniquement à la recherche de sexe. Ils ne font pas l’unanimité", euphémise-t-il, relevant : "Il y a quand même une différence entre un nu artistique et une vieille dickpick juste pour ken !" Cela reste une minorité dans un hashtag qui génère des milliers de likes et se hisse régulièrement dans les "tendances France". Velma lui est reconnaissante : "J’ai entamé une transition, et le hashtag permet de montrer mon évolution, mon changement de style… En partie grâce à lui, je m’affirme, je souris de plus en plus…" C’est l’occasion de passer un message positif sur sa transition, “et d’échanger avec des personnes sur ce sujet". Elle de conclure : "Twitter est un réseau où beaucoup de gens sont énervés et aigris. Avec ce hashtag, les dimanches, on en fait un espace positif, de liberté." Alors, rendez-vous dimanche prochain !

À lire aussi : "Old-shaming" dans la communauté gay : nous n’avons pas le droit

Crédit photo : illustration, Seyi Ariyo via Unsplash