Après avoir dû rassurer la semaine dernière ses troupes vent debout contre l'autorisation de bénir les couples homosexuels, le pape François a lancé ce lundi un appel à l'interdiction de la gestation pour autrui (GPA), comme pour enrayer l'idée d'un errement doctrinal de l'Église catholique.
Le pape François avait sans doute besoin de donner des gages aux ouailles échaudées par les dernières annonces du Vatican. Après avoir dû s'expliquer la semaine dernière sur l'autorisation de bénir les couples homosexuels, le chef de l'Église catholique a choisi d'axer ce lundi 8 janvier ses voeux au corps diplomatique – en tant que chef de l'État monarchique du Vatican – sur un appel sorti de nulle part à l'interdiction de la gestation pour autrui (GPA).
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Reprenant l'argument automatique de la marchandisation du corps des femmes, pourtant démenti par les pratiques éthiques existantes dans plusieurs pays, le souverain pontife a déclaré : "Le chemin de la paix exige le respect de la vie, de chaque vie humaine, à commencer par celle de l'enfant à naître dans le ventre de la mère, qui ne peut être supprimé [ça, c'est pour le droit à l'avortement] ou devenir un objet de commercialisation. À cet égard, je considère que la pratique de la gestation pour autrui est regrettable, car elle porte gravement atteinte à la dignité des femmes et des enfants". Et de lancer cet appel : "Je souhaite donc que la communauté internationale s'engage à interdire universellement cette pratique".
Vent de fronde dans l'Église
Quel besoin pour le pape de s'aventurer sur ce terrain dans ses vœux pour 2024 ? L'opposition de l'Église catholique à la GPA n'est pas nouvelle. L'Argentin lui-même l'avait qualifiée en 2022 de "pratique inhumaine", et son interdiction est déjà une réalité dans la majeure partie des États. Mais en novembre dernier, le Vatican avait précisé que les enfants de couples de même sexe, adoptés ou nés d'une GPA, pouvaient être baptisés, levant quelques sourcils dans la communauté ecclésiastique.
Les critiques se sont nettement intensifiées après que, le mois suivant, le Vatican a validé la bénédiction des couples de même sexe – à condition que celle-ci soit effectuée en dehors des rituels liturgiques. Le document en ce sens – la Déclaration "Fiducia supplicans" du 18 décembre – a provoqué une levée de boucliers de nombreux évêques, notamment en Afrique, qui ont dénoncé un changement doctrinal de premier plan. La contestation a été particulièrement vive au Malawi, au Nigeria et en Zambie ainsi qu'en République démocratique du Congo (RDC), où la conférence des évêques a fermement manifesté son opposition à ces bénédictions.
Dans d'autres pays, les prélats ont regretté une "confusion" avec le sacrement du mariage, qui reste pourtant strictement réservé aux couples hétérosexuels. Ainsi en France, les neuf évêques qui ont autorité sur les régions Bretagne et Pays de Loire ont publié un texte visant à limiter la portée à des bénédictions individuelles. "Il est opportun de bénir de façon spontanée, individuellement, chacune des deux personnes formant un couple, quelle que soit leur orientation sexuelle, qui demandent la bénédiction de Dieu", peut-on lire dans le texte daté du 1er janvier, insistant sur l'importance "de ne pas contribuer à créer de la 'confusion'" avec le mariage.
L’évêque de Bayonne, Mgr Marc Aillet, connu pour ses positions conservatrices, s’est aussi prononcé, dans une note publiée fin décembre, en faveur de bénédictions individuelles… "à condition que ce soit à chaque personne individuellement, en les appelant à la conversion et en les invitant à demander le secours de la grâce que le Seigneur accorde à tous ceux qui le lui demandent pour conformer leur vie à la Volonté de Dieu". Propos que SOS homophobie a dénoncés comme une incitation aux "thérapies de conversion", interdites par la loi française.
La GPA, cheval de bataille du lobby réac
Dans un communiqué de presse de cinq pages publié le 4 janvier, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi, organe du Vatican chargé de protéger la doctrine, a entendu "clarifier la réception" de son texte sur les bénédictions, se défendant de tout errement doctrinal tout en reconnaissant la nécessité de prendre en compte "la situation délicate de certains pays" où l'homosexualité est rejetée. "S'il existe des législations qui condamnent à l'emprisonnement et, dans certains cas, à la torture voire à la mort le simple fait de se déclarer homosexuel, on comprend qu'une bénédiction serait imprudente", reconnaît le dicastère. Alors, plutôt que de défendre "une doctrine différente", le Saint-Siège souligne la "nécessité d'une étude et d'un discernement afin d'agir avec prudence pastorale dans ce contexte". Il rappelle par ailleurs que "cette forme de bénédiction non ritualisée, par la simplicité et la brièveté de sa forme, ne prétend pas justifier quelque chose qui n'est pas moralement acceptable", alors que l'Église continue de considérer les relations homosexuelles comme un péché.
Dans ce contexte, l'appel à une interdiction universelle de la GPA est une caresse aux oreilles des conservateurs catholiques. Politiquement, c'est une position défendue notamment par la droite française au niveau européen. Ainsi en avril dernier, François-Xavier Bellamy, chef de file du parti Les Républicains (LR) au Parlement de Bruxelles, a proposé un amendement en ce sens. Si celui-ci est loin d'être adopté, la pression de la droite a déjà influé sur le vote, le mois dernier, d'une proposition de Certificat européen de filiation, qui reconnaît les familles ayant pratiqué une PMA mais exclut celles ayant eu recours à une GPA hors UE. Dans sa bataille indistincte contre l'évolution des droits LGBT+ et la GPA, le lobby réac oublie néanmoins une chose : la gestation pour autrui concerne avant tout… des couples hétérosexuels.
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Crédit photo : Simone Risoluti / Vatican Media / AFP