[Article à lire dans le magazine têtu· ou en vous abonnant] Un mariage gay à l’église, ce n’est pas pour demain. Néanmoins, le pape a ouvert la possibilité pour les couples homosexuels de passer devant le prêtre. C'est la première fois que l'Église accepte aussi clairement la bénédiction des couples de même sexe.
Pour les plus conservateurs, c'est l'équivalent d'un cocktail Molotov envoyé en pleine chapelle Sixtine. Ce lundi 18 décembre, le Vatican a autorisé la bénédiction des couples de même sexe. "Il est possible de bénir les couples de même sexe, sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales, afin de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage", développe un document du dicastère pour la Doctrine de la foi – congrégation de la Curie romaine chargée de "promouvoir et de protéger la doctrine" catholique – approuvé par le pape François et consulté par l'agence France-Presse (AFP).
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Début octobre, au nom de la "charité pastorale", le pape François avait déjà appelé à chercher des "formes de bénédiction" pour les couples homosexuels. En réponse aux cinq cardinaux conservateurs qui avaient soulevé la question, le souverain pontife avait dénoncé les attitudes de "juges qui ne font que nier, rejeter, exclure" – dix ans après que les catholiques ont grossi les rangs de La Manif pour tous. Malgré tout, cette autorisation explosive est bien celle d’un funambule qui tente d’éviter un schisme sur la question.
Nos désirs font désordre
L’été 2022, dans un jardin, après la réception, deux familles, dont l’une est particulièrement à cheval sur la religion, sont réunies pour une prière le lendemain du mariage civil d’un couple d’hommes. "J’ai demandé aux mariés de s’avancer, j’ai posé mes mains sur la tête de l’un, puis de l’autre. Alors que les deux tiers de l’assistance avaient les larmes aux yeux, nous avons prié en silence puis à haute voix ensemble", témoigne Dominique M., prêtre d’un diocèse de la région parisienne qui a chapeauté cette prière en civil.
À la marge, en France comme dans d’autres pays, des prêtres prennent la liberté de bénir des couples. "Ce ne sont pas des sacrements, il s’agit simplement de dire que je souhaite le bien de ces personnes, que j’encourage ces couples en les reconnaissant. Faisant cela, je n’ai pas le sentiment d’aller à l’encontre de ma charge ecclésiastique", témoigne Dominique M., qui compare ces unions avec celles issues d’un second mariage après un divorce. "Avant mon intervention, je rappelle que l’Église ne reconnaît pas le mariage de ces couples, ainsi que le sens de l’acte de bénédiction, qui étymologiquement signifie 'dire du bien'. Par ces prières, je reconnais que ce qui leur arrive est positif", poursuit le prêtre.
"Que de telles bénédictions puissent avoir lieu ne répare pas le tort qui m’a été fait mais permet de restaurer mon estime."
On pourrait légitimement être déçu que cette distinction avec le mariage perpétue une discrimination avec les couples hétéros, mais il faut prendre la mesure du chemin parcouru. Lors de cette cérémonie en 2022, de nombreux invités s’étaient fait porter pâles, considérant la bénédiction comme une atteinte à leur foi catholique. La catéchèse considère en effet que "les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés et (…) ne peuvent en aucun cas recevoir quelque approbation." "Comme de nombreux catholiques gays, lorsque j’étais adolescent, j’ai subi une 'thérapie de conversion'. Que de telles bénédictions puissent avoir lieu ne répare pas le tort qui m’a été fait mais permet de restaurer mon estime. Une bénédiction, cela signifie que l’on n’est pas en dehors de ce que souhaite Dieu", appuie Jean-Michel Dunand, 58 ans, fondateur de la Communion Béthanie, un cercle œcuméniste de spiritualité accueillant des personnes LGBTQI+ lors de retraites.
Un tel rite correspond à "une vraie demande" des adhérents de David et Jonathan, association de croyants LGBTQI+, témoigne son président, Cyrille de Compiègne. "Cela correspond à une aspiration que des couples rejetés depuis toujours soient accueillis au sein de l’Église", ajoute-t-il. En 2013, un journaliste demandait au pape son opinion sur l’homosexualité : "Si quelqu’un est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour le juger ?" répondit le pontife tout juste élu. Dix ans plus tard, les plus fondamentalistes en ont encore des sueurs froides. "Je suis un grand partisan du pape François qui travaille sincèrement à une nouvelle culture de l’Église. Mais il faut reconnaître les limites de son action : dans le quotidien des paroisses, on est très loin de l’ouverture ! La plupart évitent le sujet quand d’autres sont clairement homophobes", souligne Emmanuel Gabriot, 50 ans, qui a quitté une messe il y a dix ans à l’occasion d’un prêche faisant l’apologie de La Manif pour tous. Depuis lors, cet ancien enfant de chœur a vu un prêtre interdire à une femme lesbienne de devenir la marraine d’un enfant au motif qu’elle s’était présentée avec sa compagne.
Risque de schisme au sein de l'Église
Dans la théologie catholique traditionnelle, les homosexuels sont porteurs d’un désordre, sont perçus comme une erreur et ne doivent pas avoir de place dans l’Église, car leur sexualité ne conduit pas à la procréation. C’est la raison pour laquelle le mari d’Emmanuel a choisi l’apostasie, c’est-à-dire le reniement de son baptême, tandis que lui a cherché une paroisse plus accueillante. "Il y a un raidissement entre des conservateurs qui pensent qu’accepter l’homosexualité c’est entacher l’Église, et des catholiques réformistes qui assimilent le déclin du nombre de croyants à un écart de plus en plus grand entre les valeurs de la religion et celles des sociétés occidentales", poursuit-il.
C’est ainsi que la curie allemande, où l’Église est empêtrée par des scandales sexuels et une désaffection des croyants, a engagé la bataille en lançant en 2019 un "chemin synodal", un important chantier de réforme. À une écrasante majorité (93%), les participants (laïcs et prélats) ont voté pour la possibilité d’accorder une bénédiction à tous les couples, hétéros comme homos. Certes les résultats n’ont pas de valeur contraignante, mais ils disent l’état de tension d’une Église au bord du schisme avec Rome. D’autant qu’à échelle mondiale, le même exercice, demandé par le pape, a conclu le 29 octobre à un rejet de telles bénédictions. "Le risque, c’est que ce sujet aboutisse à un clivage géographique avec des pays qui s’opposent à une Église jugée occidentale, notamment lorsqu’elle dénonce la criminalisation de l’homosexualité", pointe Cyrille de Compiègne. D’autant que les vocations dans les pays occidentaux sont en déclin et qu’elles sont en augmentation dans ceux du Sud.
La bénédiction d'un couple gay "ne sera jamais accomplie en même temps que les rites civils d'union, ni même en relation avec eux".
Le pape François est loin d’avoir tranché définitivement en faveur de l’ouverture. Dans sa réponse aux cardinaux, il précisait bien qu’il est hors de question de confondre cette bénédiction avec un mariage, c’est-à-dire, selon lui, avec "une union exclusive, stable et indissoluble entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la procréation d’enfants". Surtout, il insistait pour dire qu’il s’agit de "situations qui, d’un point de vue objectif, ne sont pas moralement acceptables". Aussi, ces bénédictions au cas par cas "ne doivent pas nécessairement devenir une norme", considérant que "le droit canonique ne doit pas et ne peut pas tout couvrir". Le dicastère précise en outre que la bénédiction d'un couple gay "ne sera jamais accomplie en même temps que les rites civils d'union, ni même en relation avec eux".
Fin octobre, le même Dicastère pour la Doctrine de la foi a donné des règles très spécifiques concernant le baptême, là encore sous conditions. Rappelant une fois de plus que l’homosexualité est "un péché", il indiquait que le baptême pourra reconnaître comme pères ceux qui auront eu recours à la GPA s’il y a un "espoir fondé" que l’enfant sera élevé dans la religion catholique. Quant aux personnes trans, elles peuvent être baptisées "s’il n’existe pas de situation dans laquelle il y a un risque de générer un scandale public ou une incertitude parmi les fidèles". "On aura beau dire que l’on accepte les personnes homosexuelles, cela s’opposera toujours à une théologie queer qui veut qu’en créant le monde, Dieu crée des personnes LGBTQI+, que l’humanité comprend l’homosexualité et la transidentité", soutient Anthony Favier, historien qui s’intéresse aux rapports de genre et de démocratie sexuelle dans le catholicisme occidental. Que le Vatican porte une telle théologie, ça, ce serait un miracle.
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