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disparition"Le sida prospère sur l'ignorance" : Frédéric Edelmann, mort du dernier fondateur d'Aides

Par Thomas Vampouille le 26/01/2024
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Le journal Le Monde, où Frédéric Edelmann fut journaliste pendant toute sa carrière, nous a appris ce vendredi la mort à l'âge de 72 ans de Frédéric Edelmann, figure de la lutte contre le sida qui avait participé, avec son compagnon de l'époque, Jean-Florian Mettetal, à créer l'association Aides aux côtés de Daniel Defert.

Un an après la disparition de Daniel Defert, Aides perd le troisième de ses papas. Frédéric Edelmann est mort ce jeudi 25 janvier à l'âge de 72 ans, a annoncé le quotidien Le Monde, où il fut journaliste pendant toute sa carrière. Avec le médecin Jean-Florian Mettetal (mort du sida en 1992), il avait répondu il y a tout juste 40 ans à l'appel rédigé le 29 septembre 1984"Je ne retournerai pas mourir chez maman" – par le sociologue après la mort de son compagnon, le philosophe Michel Foucault, proposant la création d'une association contre le sida.

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"C’est ainsi qu’en 1984, nous avons, à la demande de Daniel Defert, commencé à bâtir Aides, entourés d’une poignée de bénévoles", écrit Frédéric Edelmann en 1992 dans sa nécrologie de son compagnon, Jean-Florian Mettetal, que Le Monde présente comme l'un de ses "deux grands amours", avec Caroline Bagros : "En digne disciple du grand penseur [Michel Foucault, dont il suivait les cours au Collège de France], Frédéric Edelmann aura trouvé dans la bisexualité un levier pour inventer de nouvelles formes d'existence, de nouvelles modalités relationnelles."

Edelmann, Aides, Arcat

"En février 1985, Frédéric Edelmann propose son appartement de la rue Michel-Le Comte, qui abritera la genèse de l'association", écrivait têtu· en l'an 2000, tournant de siècle que l'intéressé ne pensait pas voir advenir. "Si je passe l'an 2000, je fais un truc impossible, j'apprends le chinois", rapporte en effet le quotidien du soir en préambule de la longue nécrologie consacrée à son ancien collaborateur, qui y écrivit principalement sur l'architecture, notamment en Chine. C'est que l'homme était un survivant : au printemps 1996, il n'a plus de défense immunitaire quand les trithérapies arrivent enfin, lui sauvant la vie in extremis.

C'est également chez lui que sera installée la première permanence téléphonique pour les malades, prélude de Sida Info Service, avec ce leitmoviv : "Le sida prospère sur l'ignorance". En 1992 dans Le Journal du sida, fondé par le duo Mettetal-Edelmann en 1989, Daniel Defert publie un hommage après "la mort de deux pionniers", Jean-Florian Mettetal et le sociologue Michaël Pollac, qui "ont contribué à modeler en France, au sein de Aides et au-delà, la lutte contre le sida". Il raconte : "Avec la collaboration fraternelle du journaliste du Monde, Frédéric Edelmann, le docteur Mettetal rédigeait pour Aides les premiers documents d’information qui circulèrent en France."

Mais le duo Edelmann-Mettetal se trouve vite en désaccord avec Aides sur l'objectif poursuivi. Daniel Defert écrit : "Un mouvement associatif doit-il être tourné vers les professionnels, ou vers la mobilisation des gens atteints ou exposés ? Sur cet enjeu, nous nous séparâmes ; Jean-Florian et ses plus proches amis rejoignirent Arcat, créée en 1985." Bon joueur, il ajoute : "Ils en firent un lieu de référence pour les professionnels, médecins et paramédicaux." Arcat-Sida est une association présidée par Pierre Bergé (qui finança aussi la création de têtu·), que Frédéric Edelmann rejoint en 1986 et dont il deviendra le secrétaire général puis président (1996-1997). "Pierre Bergé m'a accueilli très chaleureusement avec Jean-Florian Mettetal à Arcat-Sida pour que je m'en occupe, racontera-t-il dans un entretien à Libération après la mort du multimillionnaire. De sa part, cet engagement était courageux, le monde de la mode ne voulait pas trop s’associer au sida, à l’exception de quelques personnalités."

Un journaliste anti-sida

"Pour aider les malades, justifie Edelmann en 1992, il ne suffisait pas de leur apporter réconfort ou réassurance, ni de les aider à avoir confiance en tel ou tel médicament. Il fallait - cela paraît simple ? - apporter information et formation à tous les professionnels qui peuvent être amenés à les prendre en charge. Il fallait trouver de nouvelles marques pour la médecine de ville et celle de l’hôpital. Il fallait contraindre à s’entendre des administrations qui estimaient normal de s’ignorer mutuellement, et tenter ainsi de faire advenir de nouveaux dispositifs de prise en charge des patients. Il fallait trouver les nouvelles données d’un dialogue entre chercheurs, médecins et malades. Et puis il fallait enfin inlassablement prévenir, inlassablement informer."

Le Journal du sida est un élément clef dans cette vision de la lutte contre le sida. Dans un entretien sur le sujet, en 2007, Frédéric Edelmann explique : "C'est un projet que nous avions depuis longtemps, Jean-Florian Mettetal et moi, mais que nous n'avions pas pu réaliser dans le cadre de Aides. C'était d'ailleurs un des éléments du conflit autour de la question de l'expertise et de la transmission du savoir que nous avions avec Daniel Defert." Arcat leur permet de lancer le projet : "À l'inverse de Aides, Arcat devait reposer sur l'expertise et la transmission des connaissances (…). Le conflit avec Aides était alors permanent et assez violent, et le fait que le journal ait réussi à s'imposer a permis à Arcat de s'affirmer dans sa spécificité, et de devenir la deuxième association la plus forte." Sur ces désaccords qui minaient les rapports entre les militants de la cause sida, il avait écrit en 1992, sibyllin quant aux personnes précisément visées (entretemps était aussi née Act Up-Paris, en 1989, sur un modèle plus radical et médiatique) : "Ce projet [Arcat], ambitieux, cohérent, était inconfortable pour qui aime les idées simples, et difficile à vivre pour qui aime la visibilité et la reconnaissance de la presse."

Frédéric Edelmann n'était pas qu'un militant anti-sida, mais un journaliste anti-sida. Double raison pour têtu· de saluer sa mémoire et d'adresser, à toutes les personnes qui l'ont connu et le pleurent aujourd'hui, nos condoléances. En rappelant les mots de Sénèque par lesquels il avait choisi d'ouvrir son hommage à Jean-Florian Mettetal : "Le souvenir de mes amis défunts m’est doux et agréable, le les avais comme si je devais les perdre un jour. Je les ai perdus et c’est comme si je les avais toujours."

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Crédit photo : Facebook